ContenuLe périple fut rude. Dix heures de route pour parcourir presque 700 km. Le trajet n'était finalement pas une tâche aisée. Des plaines du nord noyées dans la verdure jusqu'à la mer des dunes de la vallée du Souf, le regard se promène sur une terre où les paysages défilent avec une harmonie de couleurs et de lumières éblouissantes. Impossible dans ces moments-là de ne pas penser à Isabelle Eberhardt, Fromentin, Delacroix, Dinet et à bien d'autres qui s'aventurèrent, il y a plus d'un siècle de cela, dans un voyage singulier pour tâter l'âme du Sahara. Ces écrivains, ces penseurs, ces peintres et artistes ont sillonné l'Algérie pour découvrir ses multiples visages et goûter aux diverses sensations que procure cette terre diversifiée au cœur insondable. Aujourd'hui, les temps ont changé et l'exotisme a prêté le flanc à la hideur. El-Oued, «cette oasis aux mille coupoles» n'attire que rarement les visiteurs en quête de dépaysement. Et pour cause, la contrebande, le salafisme ambiant et la défiguration urbanistique dont est victime depuis des années la ville font fuir les gens. Mais à Oued Souf, on tente de faire contre mauvaise fortune bon coeur. On ne baisse pas les bras. On ne se laisse pas faire et on ne donne pas cher des préjugés et des idées préconçues qui souillent désormais la réputation des Soufis. Le centre historique de la mémoire «Oued Souf est l'une des plus importantes régions de l'Algérie. C'est aussi un centre historique incontournable dans la mémoire de ce pays. Mais, aujourd'hui, vous les journalistes, vous ne parlez que d'une seule chose concernant Oued Souf : le terrorisme et le salafisme», nous lance tout de go Chakib, 22 ans, étudiant et enfant de la région. «Il est vrai que la société ici est conservatrice. A Oued Souf, on ne badine pas avec la religion, mais on n'est pas pour autant tous des fanatiques. Croyez-moi, l'image véhiculée par les médias nous est très nuisible», confie-t-il encore. A chaque rencontre, les Soufis n'hésitent plus à lancer de pareils coups-de-gueule à propos de cette étiquette que la presse leur a collée. En réalité, les Soufis se sentent blessés dans leur amour-propre à chaque fois qu'on aborde avec eux le délicat sujet de la filière djihadiste irakienne qui a embrigadé, selon des sources sécuritaires concordantes, ces dernières années pas moins de 29 jeunes, dont 5 sont issus de la petite commune de Reguiba. Le climat de psychose est tel qu'aujourd'hui, c'est l'ensemble des 500 mosquées de la wilaya qui font l'objet de suspicion. Pour Ahmed Rezzag, ancien correspondant de plusieurs titres arabophones et directeur de publication de l'hebdomadaire local El-Jadid, une publication qui paraîtra sous peu, le courant islamiste est certes, très bien implanté dans la région, toutefois, pour notre interlocuteur, les proportions du salafisme relayées par les médias sont très exagérées. «De par son histoire, la région de Oued Souf connaît une tradition religieuse qui remonte à la nuit des temps. En plus, c'est une région frontalière qui partage 300 km avec la Tunisie, ce qui favorise la contrebande, le trafic d'armes et les infiltrations vers l'étranger. Cette caractéristique a fait croire aux salafistes qu'ils trouveront ici un vaste terrain pour se déployer et conquérir les wilayas environnantes et ensuite, le reste du pays. Mais leurs calculs ont été déjoués, car la région abrite de prestigieuses zaouïas dont l'influence sur la société soufie remonte à des siècles. La zaouia Tidjania et la zaouia Kadiria ainsi que d'autres encore ont fait barrage aux projets des salafistes. En réalité, les salafistes n'ont pas trouvé un écho favorable dans la région du Souf et leur influence n'a plus de prise», explique notre interlocuteur qui reconnaît néanmoins que de nombreuses mosquées de la région demeurent sous la coupe des salafistes qui y organisent des halaqate nocturnes en visant principalement les jeunes, afin de faire grossir leurs rangs. Sur ce plan, la mosquée Tolba de Guemar s'est distinguée ces derniers temps par son «activisme religieux» puisqu'elle regroupe en son sein l'essentiel du courant salafiste de la région qui ne recule devant rien pour séduire et endoctriner les jeunes de la région. Ainsi, beaucoup de témoignages attestent que de nombreuses «hamlatte» sont mises en oeuvre à partir de cette mosquée, à travers lesquelles les salafistes proposent des aides sociales aux couches sociales démunies, ce qui leur garantit parfois un capital sympathie auprès de la population locale. Salafisme : les pour et les contre Celle-ci formule d'ailleurs des avis divergents sur la réalité du phénomène salafiste dans la vallée du Souf. «J'ai connu des salafistes. J'ai même des amis qui en font partie. Ils n'ont rien à avoir avec le terrorisme. Ils ont juste une vision particulière de la religion. Moi, je n'ai jamais entendu de leur bouche une incitation à la haine», relève Ali, 23 ans, jeune chômeur qui fréquentait naguère beaucoup les mosquées salafistes. De son côté, Nadia, 21 ans, diplômée en comptabilité et membre d'une association culturelle «Les amis du Souf» porte un regard très critique sur la mouvance salafiste. «Moi, je ne les aimes pas. Ils ont sali l'image de notre région avec leur pensée rétrograde et moyenâgeuse. Mais leur influence n'est pas aussi importante que vous le croyiez, car la majorité des soufis désapprouvent leurs idées et leur pensée. Leur champ est très limitée même si leur propagande laisse entendre le contraire», souligne-t-elle. Pour d'autres, le règne du salafisme dans la région connait un déclin. Selon des sources bien au fait de ce dossier, les services des affaires religieuses se montrent de plus en plus fermes avec les salafistes et n'hésitent plus à intervenir pour interdire leur ‘'halaqate'' dans les mosquées de la wilaya. Des affrontements ont même eu lieu entre les services du département et des groupes de taleb salafistes. D'autres encore estiment que la population, notamment les jeunes, n'est plus dupe et ne se laisse plus entraîner dans des mouvances obscurantistes. Il faut dire à cet égard que l'histoire tragique de Walid hante encore les esprits. Walid, alors âgé de 20 ans, était un jeune homme très aimé dans son entourage à Guemar. Ce jeune brillant dans sa scolarité était aussi un sportif. Pratiquant depuis longtemps le basket, il n'hésitait pas à passer le plus clair de son temps à jouer des matches avec ses amis profitant ainsi de cette ambiance conviviale. Jeune, instruit et bien éduqué, rien ne laissait augurer le sort tragique que le temps allait réserver à Walid. Il y a deux ans, lors d'une journée ordinaire, le jeune homme disparaît et ne donne plus de signes de vie. Quelque temps plus tard, sa famille apprend qu'il s'est fait exploser en Irak, à Bassora. Il devint ainsi le premier kamikaze algérien en Irak. Le choc fut terrible pour toute la population soufie qui ne s'attendait pas à un drame aussi cruel dans une région ô combien pieuse. Depuis, parents comme enfants, jeunes et vieux, hommes comme femmes crient d'une seule et même voix : plus jamais ça ! ContenuLe périple fut rude. Dix heures de route pour parcourir presque 700 km. Le trajet n'était finalement pas une tâche aisée. Des plaines du nord noyées dans la verdure jusqu'à la mer des dunes de la vallée du Souf, le regard se promène sur une terre où les paysages défilent avec une harmonie de couleurs et de lumières éblouissantes. Impossible dans ces moments-là de ne pas penser à Isabelle Eberhardt, Fromentin, Delacroix, Dinet et à bien d'autres qui s'aventurèrent, il y a plus d'un siècle de cela, dans un voyage singulier pour tâter l'âme du Sahara. Ces écrivains, ces penseurs, ces peintres et artistes ont sillonné l'Algérie pour découvrir ses multiples visages et goûter aux diverses sensations que procure cette terre diversifiée au cœur insondable. Aujourd'hui, les temps ont changé et l'exotisme a prêté le flanc à la hideur. El-Oued, «cette oasis aux mille coupoles» n'attire que rarement les visiteurs en quête de dépaysement. Et pour cause, la contrebande, le salafisme ambiant et la défiguration urbanistique dont est victime depuis des années la ville font fuir les gens. Mais à Oued Souf, on tente de faire contre mauvaise fortune bon coeur. On ne baisse pas les bras. On ne se laisse pas faire et on ne donne pas cher des préjugés et des idées préconçues qui souillent désormais la réputation des Soufis. Le centre historique de la mémoire «Oued Souf est l'une des plus importantes régions de l'Algérie. C'est aussi un centre historique incontournable dans la mémoire de ce pays. Mais, aujourd'hui, vous les journalistes, vous ne parlez que d'une seule chose concernant Oued Souf : le terrorisme et le salafisme», nous lance tout de go Chakib, 22 ans, étudiant et enfant de la région. «Il est vrai que la société ici est conservatrice. A Oued Souf, on ne badine pas avec la religion, mais on n'est pas pour autant tous des fanatiques. Croyez-moi, l'image véhiculée par les médias nous est très nuisible», confie-t-il encore. A chaque rencontre, les Soufis n'hésitent plus à lancer de pareils coups-de-gueule à propos de cette étiquette que la presse leur a collée. En réalité, les Soufis se sentent blessés dans leur amour-propre à chaque fois qu'on aborde avec eux le délicat sujet de la filière djihadiste irakienne qui a embrigadé, selon des sources sécuritaires concordantes, ces dernières années pas moins de 29 jeunes, dont 5 sont issus de la petite commune de Reguiba. Le climat de psychose est tel qu'aujourd'hui, c'est l'ensemble des 500 mosquées de la wilaya qui font l'objet de suspicion. Pour Ahmed Rezzag, ancien correspondant de plusieurs titres arabophones et directeur de publication de l'hebdomadaire local El-Jadid, une publication qui paraîtra sous peu, le courant islamiste est certes, très bien implanté dans la région, toutefois, pour notre interlocuteur, les proportions du salafisme relayées par les médias sont très exagérées. «De par son histoire, la région de Oued Souf connaît une tradition religieuse qui remonte à la nuit des temps. En plus, c'est une région frontalière qui partage 300 km avec la Tunisie, ce qui favorise la contrebande, le trafic d'armes et les infiltrations vers l'étranger. Cette caractéristique a fait croire aux salafistes qu'ils trouveront ici un vaste terrain pour se déployer et conquérir les wilayas environnantes et ensuite, le reste du pays. Mais leurs calculs ont été déjoués, car la région abrite de prestigieuses zaouïas dont l'influence sur la société soufie remonte à des siècles. La zaouia Tidjania et la zaouia Kadiria ainsi que d'autres encore ont fait barrage aux projets des salafistes. En réalité, les salafistes n'ont pas trouvé un écho favorable dans la région du Souf et leur influence n'a plus de prise», explique notre interlocuteur qui reconnaît néanmoins que de nombreuses mosquées de la région demeurent sous la coupe des salafistes qui y organisent des halaqate nocturnes en visant principalement les jeunes, afin de faire grossir leurs rangs. Sur ce plan, la mosquée Tolba de Guemar s'est distinguée ces derniers temps par son «activisme religieux» puisqu'elle regroupe en son sein l'essentiel du courant salafiste de la région qui ne recule devant rien pour séduire et endoctriner les jeunes de la région. Ainsi, beaucoup de témoignages attestent que de nombreuses «hamlatte» sont mises en oeuvre à partir de cette mosquée, à travers lesquelles les salafistes proposent des aides sociales aux couches sociales démunies, ce qui leur garantit parfois un capital sympathie auprès de la population locale. Salafisme : les pour et les contre Celle-ci formule d'ailleurs des avis divergents sur la réalité du phénomène salafiste dans la vallée du Souf. «J'ai connu des salafistes. J'ai même des amis qui en font partie. Ils n'ont rien à avoir avec le terrorisme. Ils ont juste une vision particulière de la religion. Moi, je n'ai jamais entendu de leur bouche une incitation à la haine», relève Ali, 23 ans, jeune chômeur qui fréquentait naguère beaucoup les mosquées salafistes. De son côté, Nadia, 21 ans, diplômée en comptabilité et membre d'une association culturelle «Les amis du Souf» porte un regard très critique sur la mouvance salafiste. «Moi, je ne les aimes pas. Ils ont sali l'image de notre région avec leur pensée rétrograde et moyenâgeuse. Mais leur influence n'est pas aussi importante que vous le croyiez, car la majorité des soufis désapprouvent leurs idées et leur pensée. Leur champ est très limitée même si leur propagande laisse entendre le contraire», souligne-t-elle. Pour d'autres, le règne du salafisme dans la région connait un déclin. Selon des sources bien au fait de ce dossier, les services des affaires religieuses se montrent de plus en plus fermes avec les salafistes et n'hésitent plus à intervenir pour interdire leur ‘'halaqate'' dans les mosquées de la wilaya. Des affrontements ont même eu lieu entre les services du département et des groupes de taleb salafistes. D'autres encore estiment que la population, notamment les jeunes, n'est plus dupe et ne se laisse plus entraîner dans des mouvances obscurantistes. Il faut dire à cet égard que l'histoire tragique de Walid hante encore les esprits. Walid, alors âgé de 20 ans, était un jeune homme très aimé dans son entourage à Guemar. Ce jeune brillant dans sa scolarité était aussi un sportif. Pratiquant depuis longtemps le basket, il n'hésitait pas à passer le plus clair de son temps à jouer des matches avec ses amis profitant ainsi de cette ambiance conviviale. Jeune, instruit et bien éduqué, rien ne laissait augurer le sort tragique que le temps allait réserver à Walid. Il y a deux ans, lors d'une journée ordinaire, le jeune homme disparaît et ne donne plus de signes de vie. Quelque temps plus tard, sa famille apprend qu'il s'est fait exploser en Irak, à Bassora. Il devint ainsi le premier kamikaze algérien en Irak. Le choc fut terrible pour toute la population soufie qui ne s'attendait pas à un drame aussi cruel dans une région ô combien pieuse. Depuis, parents comme enfants, jeunes et vieux, hommes comme femmes crient d'une seule et même voix : plus jamais ça !