Le prodigieux auteur marocain Abdelkébir Khatibi s'est distingué des autres écrivains maghrébins par sa verve poétique et la tonalité tragique de ses textes. Ainsi, son roman majeur, La Mémoire tatouée, est toujours considéré par la critique littéraire comme étant l'un des chefs-d'œuvre incontournables de la littérature maghrébine. Le prodigieux auteur marocain Abdelkébir Khatibi s'est distingué des autres écrivains maghrébins par sa verve poétique et la tonalité tragique de ses textes. Ainsi, son roman majeur, La Mémoire tatouée, est toujours considéré par la critique littéraire comme étant l'un des chefs-d'œuvre incontournables de la littérature maghrébine. En littérature, les grands auteurs refusent de se complaire dans le tragique et s‘attachent toujours à penser leur liberté. Il est aussi une «race» d‘écrivains dont le regard critique et la vision «déconstructive» qui imprègnent leurs œuvres n‘a guère cessé de susciter les polémiques les plus vives et les débats les plus animés. Ces enfants terribles de la plume ont pu de cette manière façonner les esprits de leurs contemporains pour les libérer de toutes les formes de la pensée absolutiste. A cet égard, le prodigieux auteur marocain Abdelkébir Khatibi s‘est distingué des autres écrivains maghrébins par sa verve poétique et la tonalité tragique de ces textes. De ces œuvres, il en ressort, comme un chant lancinant, un rejet total et un refus magistral de l‘intolérance, du fanatisme et de la «dévastation de l‘humain» dans ce qu‘il a de plus digne. Ainsi, son roman majeur, La Mémoire tatouée est toujours considéré par la critique littéraire comme étant l‘un des chefs-d‘œuvre incontournables de la littérature maghrébine. Mêlant l‘originalité à l‘éclectisme, le récit est construit en deux parties - «Série hasardeuse I» et «Série hasardeuse II», comportant respectivement sept et trois chapitres -, le «roman» ainsi que l‘indique le sous-titre de couverture de la première édition, supprimé dans la seconde, est aussitôt mis en question par un deuxième sous-titre contradictoire : «Autobiographie d‘un décolonisé», qui fait écho au Portrait du colonisé (1957) d‘Albert Memmi. Le titre lui-même, la tonalité du récit, renvoie à la présence obstinée et exclusive du «je» et la thématique des épisodes relatés. En vérité, tout donne à penser qu‘en fait de roman, il s‘agit bien d‘une autobiographie - à l‘instar d‘ailleurs de nombreux «romans» maghrébins; simplement, ici, comme pour le «roman» inachevé de Jean Sénac, Ebauche du père, l‘invention de la fiction est réduite au strict minimum, qui ne s‘embarrasse ni d‘une histoire, ni de personnages, de sorte qu‘avec le lecteur est scellé un pacte autobiographique - qui ne préjuge d‘ailleurs aucunement de l‘entière véracité des faits. «Je dois à tous cette blessure» Force est de constater, par ailleurs, que du genre autobiographique, la Mémoire tatouée emprunte tous les topos. Le récit bouleverse certes, la chronologie, mais les principaux événements, depuis la naissance jusqu‘au mariage, y figurent pour relater l‘origine d‘une vocation d‘écrivain. Khatibi ne manque pas d‘évoquer également le milieu familial - l‘image austère d‘un père qui «habitait le Coran», disparu précocement, d‘une mère infiniment attentive à l‘enfant dans sa souffrance quotidienne. Mais plus significative encore semble la reprise, comme dans la plupart des romans autobiographiques maghrébins, de certains thèmes étroitement liés à la culture arabo-islamique: ainsi du rite de la circoncision, qui occupe ici une place centrale, et qu‘il faut rapporter au motif du «tatouage» et plus généralement à cette «déchirure nominale», à cette «blessure du nom propre», au cœur des œuvres suivantes de Khatibi: «Je dois à tous cette blessure.» Le récit, par son titre, inscrit ainsi profondément le souvenir dans le corps. Parmi les thèmes obligés de l‘autobiographie d‘un «décolonisé», Khatibi met également en scène l‘entrée à l‘école franco-marocaine, qui détache l‘enfant de la culture arabe acquise à l‘école coranique, et, ultime séparation d‘avec la mère après que l‘enfant aura quitté le lieu natal d‘El Jadida pour Essaouira, puis Marrakech, le voyage en France avec la découverte, à la fin de la première «Série hasardeuse», de la rive gauche, enfin le mariage avec une Suédoise. Démystification Cependant, l‘originalité indéniable de la Mémoire tatouée ne réside pas tant dans cette thématique autobiographique que dans sa démystification. La division de l‘ouvrage en deux «séries hasardeuses» - dont les termes même ne sont pas sans évoquer Logique du sens (1969) de Gilles Deleuze - indique déjà la volonté de ne pas recomposer l‘existence, et de montrer que l‘écriture n‘a ni commencement ni fin. Le récit lui-même est constamment remis en question par une forme dialogique, le narrateur relatant sa vie à la deuxième personne, et le plus souvent au présent, quand ce n‘est pas à l‘impératif: «Enfant, accompagne tes parents, de préférence ta mère, de préférence un jour de mariage. Pendant la cérémonie, il y a des femmes et des hommes, ceci est un signe qui te trouble un peu. Chante, même déguisé en fille, on te saura gré de ton ondulation! Assieds-toi autour des danseurs travestis et en double robe...» Le dédoublement, outre qu‘il pose le problème de l‘identité, introduit, par le biais de l‘impératif et du futur, la voix de la conscience morale et des conventions sociales qui pèsent sur l‘enfant, de sorte que le dialogue que le narrateur entretient avec lui-même s‘élargit à la société tout entière. Cet emploi de l‘impératif peut être rapproché des commandements du Coran, auquel Khatibi fait allusion par des citations plus ou moins dissimulées, dès le début du texte qui cite littéralement la sourate «la Vache»: «Vivifier mon esprit, mourir, vivre, mourir, vivre, double à double, suis-je né aveugle contre moi-même? [...] Pas d‘herbe verte ni desséchée qui ne soit dans un écrit explicite!» Ces citations coraniques remplissent elles-mêmes la fonction de la «parodie» que le narrateur avoue pratiquer dans ses compositions françaises lorsqu‘il est au lycée: «J‘avais viré carrément vers la parodie que je croyais décolonisante.» Et le texte entier peut se lire comme une vaste parodie du discours social et religieux inculqué à l‘enfant, mais aussi du genre autobiographique. Le style de Khatibi, marqué par une extrême concision, une densité qui tourne le plus souvent à l‘ellipse - sémantique et syntaxique, comme l‘atteste l‘emploi de fréquentes anacoluthes -, semble remplir une fonction ironique. Le procédé le plus constant, à cet égard, est celui de la parataxe, qui permet de construire le récit sur la juxtaposition «hasardeuse» des épisodes et, au sein de ceux-ci, des phrases: «Va à l‘Est, apparais de l‘autre côté, tu verras. Douanier souterrain me pointe sur place, rien à dire, une glissade dans l‘autre ville, magasins et un café comme ailleurs, rien ne me revient, pas de guerre ni de grimace.» Cette écriture, qui dénie le sérieux et le narcissisme inhérents à l‘autobiographie, empêche le narrateur de forger une image flatteuse de lui-même. En cela, l‘œuvre est elle-même parodique : des Mots, de Sartre, dont le narrateur a lu sans le comprendre L‘existentialisme est un humanisme, la Mémoire tatouée reprend presque à la lettre certains thèmes (en particulier celui de l‘identification à «Dieu»), et elle s‘en rapproche plus sûrement encore par sa tonalité constamment ironique, attestant que l‘objet même du livre est bel et bien la naissance d‘une vocation d‘écrivain. C‘est dire qu‘enfin, tout n‘est que littérature… Bio express : Né à El-Jadida en 1938, Abdelkebir Khatibi a étudié la sociologie à la Sorbonne et soutenu en 1969 la première thèse sur le roman maghrébin. Découvert par Maurice Nadeau, il fait paraître en 1971, son premier roman, La Mémoire tatouée. Il a continué son œuvre en publiant des récits et des romans, de la poésie, du théâtre, de nombreux essais sur les sociétés et l'art islamiques. Abdelkebir Khatibi enseigne actuellement la littérature et dirige le Bulletin économique et social du Maroc qui devient en 1987 Signes du présent. Universitaire de renom, il est aujourd'hui un des commentateurs les plus en vue de la vie politique marocaine. En littérature, les grands auteurs refusent de se complaire dans le tragique et s‘attachent toujours à penser leur liberté. Il est aussi une «race» d‘écrivains dont le regard critique et la vision «déconstructive» qui imprègnent leurs œuvres n‘a guère cessé de susciter les polémiques les plus vives et les débats les plus animés. Ces enfants terribles de la plume ont pu de cette manière façonner les esprits de leurs contemporains pour les libérer de toutes les formes de la pensée absolutiste. A cet égard, le prodigieux auteur marocain Abdelkébir Khatibi s‘est distingué des autres écrivains maghrébins par sa verve poétique et la tonalité tragique de ces textes. De ces œuvres, il en ressort, comme un chant lancinant, un rejet total et un refus magistral de l‘intolérance, du fanatisme et de la «dévastation de l‘humain» dans ce qu‘il a de plus digne. Ainsi, son roman majeur, La Mémoire tatouée est toujours considéré par la critique littéraire comme étant l‘un des chefs-d‘œuvre incontournables de la littérature maghrébine. Mêlant l‘originalité à l‘éclectisme, le récit est construit en deux parties - «Série hasardeuse I» et «Série hasardeuse II», comportant respectivement sept et trois chapitres -, le «roman» ainsi que l‘indique le sous-titre de couverture de la première édition, supprimé dans la seconde, est aussitôt mis en question par un deuxième sous-titre contradictoire : «Autobiographie d‘un décolonisé», qui fait écho au Portrait du colonisé (1957) d‘Albert Memmi. Le titre lui-même, la tonalité du récit, renvoie à la présence obstinée et exclusive du «je» et la thématique des épisodes relatés. En vérité, tout donne à penser qu‘en fait de roman, il s‘agit bien d‘une autobiographie - à l‘instar d‘ailleurs de nombreux «romans» maghrébins; simplement, ici, comme pour le «roman» inachevé de Jean Sénac, Ebauche du père, l‘invention de la fiction est réduite au strict minimum, qui ne s‘embarrasse ni d‘une histoire, ni de personnages, de sorte qu‘avec le lecteur est scellé un pacte autobiographique - qui ne préjuge d‘ailleurs aucunement de l‘entière véracité des faits. «Je dois à tous cette blessure» Force est de constater, par ailleurs, que du genre autobiographique, la Mémoire tatouée emprunte tous les topos. Le récit bouleverse certes, la chronologie, mais les principaux événements, depuis la naissance jusqu‘au mariage, y figurent pour relater l‘origine d‘une vocation d‘écrivain. Khatibi ne manque pas d‘évoquer également le milieu familial - l‘image austère d‘un père qui «habitait le Coran», disparu précocement, d‘une mère infiniment attentive à l‘enfant dans sa souffrance quotidienne. Mais plus significative encore semble la reprise, comme dans la plupart des romans autobiographiques maghrébins, de certains thèmes étroitement liés à la culture arabo-islamique: ainsi du rite de la circoncision, qui occupe ici une place centrale, et qu‘il faut rapporter au motif du «tatouage» et plus généralement à cette «déchirure nominale», à cette «blessure du nom propre», au cœur des œuvres suivantes de Khatibi: «Je dois à tous cette blessure.» Le récit, par son titre, inscrit ainsi profondément le souvenir dans le corps. Parmi les thèmes obligés de l‘autobiographie d‘un «décolonisé», Khatibi met également en scène l‘entrée à l‘école franco-marocaine, qui détache l‘enfant de la culture arabe acquise à l‘école coranique, et, ultime séparation d‘avec la mère après que l‘enfant aura quitté le lieu natal d‘El Jadida pour Essaouira, puis Marrakech, le voyage en France avec la découverte, à la fin de la première «Série hasardeuse», de la rive gauche, enfin le mariage avec une Suédoise. Démystification Cependant, l‘originalité indéniable de la Mémoire tatouée ne réside pas tant dans cette thématique autobiographique que dans sa démystification. La division de l‘ouvrage en deux «séries hasardeuses» - dont les termes même ne sont pas sans évoquer Logique du sens (1969) de Gilles Deleuze - indique déjà la volonté de ne pas recomposer l‘existence, et de montrer que l‘écriture n‘a ni commencement ni fin. Le récit lui-même est constamment remis en question par une forme dialogique, le narrateur relatant sa vie à la deuxième personne, et le plus souvent au présent, quand ce n‘est pas à l‘impératif: «Enfant, accompagne tes parents, de préférence ta mère, de préférence un jour de mariage. Pendant la cérémonie, il y a des femmes et des hommes, ceci est un signe qui te trouble un peu. Chante, même déguisé en fille, on te saura gré de ton ondulation! Assieds-toi autour des danseurs travestis et en double robe...» Le dédoublement, outre qu‘il pose le problème de l‘identité, introduit, par le biais de l‘impératif et du futur, la voix de la conscience morale et des conventions sociales qui pèsent sur l‘enfant, de sorte que le dialogue que le narrateur entretient avec lui-même s‘élargit à la société tout entière. Cet emploi de l‘impératif peut être rapproché des commandements du Coran, auquel Khatibi fait allusion par des citations plus ou moins dissimulées, dès le début du texte qui cite littéralement la sourate «la Vache»: «Vivifier mon esprit, mourir, vivre, mourir, vivre, double à double, suis-je né aveugle contre moi-même? [...] Pas d‘herbe verte ni desséchée qui ne soit dans un écrit explicite!» Ces citations coraniques remplissent elles-mêmes la fonction de la «parodie» que le narrateur avoue pratiquer dans ses compositions françaises lorsqu‘il est au lycée: «J‘avais viré carrément vers la parodie que je croyais décolonisante.» Et le texte entier peut se lire comme une vaste parodie du discours social et religieux inculqué à l‘enfant, mais aussi du genre autobiographique. Le style de Khatibi, marqué par une extrême concision, une densité qui tourne le plus souvent à l‘ellipse - sémantique et syntaxique, comme l‘atteste l‘emploi de fréquentes anacoluthes -, semble remplir une fonction ironique. Le procédé le plus constant, à cet égard, est celui de la parataxe, qui permet de construire le récit sur la juxtaposition «hasardeuse» des épisodes et, au sein de ceux-ci, des phrases: «Va à l‘Est, apparais de l‘autre côté, tu verras. Douanier souterrain me pointe sur place, rien à dire, une glissade dans l‘autre ville, magasins et un café comme ailleurs, rien ne me revient, pas de guerre ni de grimace.» Cette écriture, qui dénie le sérieux et le narcissisme inhérents à l‘autobiographie, empêche le narrateur de forger une image flatteuse de lui-même. En cela, l‘œuvre est elle-même parodique : des Mots, de Sartre, dont le narrateur a lu sans le comprendre L‘existentialisme est un humanisme, la Mémoire tatouée reprend presque à la lettre certains thèmes (en particulier celui de l‘identification à «Dieu»), et elle s‘en rapproche plus sûrement encore par sa tonalité constamment ironique, attestant que l‘objet même du livre est bel et bien la naissance d‘une vocation d‘écrivain. C‘est dire qu‘enfin, tout n‘est que littérature… Bio express : Né à El-Jadida en 1938, Abdelkebir Khatibi a étudié la sociologie à la Sorbonne et soutenu en 1969 la première thèse sur le roman maghrébin. Découvert par Maurice Nadeau, il fait paraître en 1971, son premier roman, La Mémoire tatouée. Il a continué son œuvre en publiant des récits et des romans, de la poésie, du théâtre, de nombreux essais sur les sociétés et l'art islamiques. Abdelkebir Khatibi enseigne actuellement la littérature et dirige le Bulletin économique et social du Maroc qui devient en 1987 Signes du présent. Universitaire de renom, il est aujourd'hui un des commentateurs les plus en vue de la vie politique marocaine.