Le premier novembre 1954 annonciateur du déclenchement de la révolution populaire algérienne a entraîné l'éclosion de beaucoup d'œuvres littéraires et artistiques traitant des sacrifices que le peuple eut à payer pour la guerre d'indépendance. Il a été particulièrement important que l'art en général se mêlât au combat , afin de développer de nouvelles méthodes susceptibles de faire revivre les éléments traditionnels de notre culture. Il y a eu des poètes qui même pendant la période coloniale ne renoncèrent pas à leur liberté intérieure .Certains d'entre eux seront connus dans le monde entier , tels que les auteurs de graphie française Kateb Yacine , Mohamed Dib, Mouloud Maameri , Mouloud Feraoun , Malek Haddad , Myriam Ben, Frantz Fanon ,Jean Sénac, Mostéfa Lacheraf, etc.… tout comme ceux de graphie arabe, Moufdi Zakaria, Reda Houhou , Mohamed laid Khalifa, Mohamed Chebouki, etc.… autant d'auteurs dont les écrits d'expressions plurielles se répandirent comme une traînée de poudre dans le monde arabo - musulman , et le "Tiers - Monde " en général ,pour ne pas dire le monde entier, sauvant ainsi l'honneur de la littérature algérienne qu'elle qu'en fût la langue ou le mode utilisés .Le lecteur ordinaire connaissait leurs noms en prison, dans les camps , au maquis , à la campagne et à la ville… Certains d'entre nos écrivains se sont engagés dans la lutte directe , alors que d'autres ont su mener à bien le combat grâce à leurs poèmes , leurs romans , leurs pièces dramatiques ou en écrivant des exposés . Ainsi, la plume ou la parole humaine , tout aussi efficace que le feu , a pu traverser le cercle infernal de la spoliation de l'imposture , des représailles et du génocide .C'est pourquoi la majorité de nos poètes ont étendu leur engagement au - delà des limites ,strictement esthétiques, parce qu'ils appartenaient ,d'une manière ou d'une autre, au mouvement nationaliste de l'époque , et parce qu'ils ont beaucoup souffert des incidences et des répercussions de la politique de répression coloniale. Déjà bien auparavant lors des sauvages répressions du 8 mai 1945 Kateb Yacine , l'auteur du monumental Nedjma (1956),se sentit solidaire corps et âme avec son peuple meurtri : "Mon nationalisme se cimenta à Sétif " dira- t- il en évoquant les effroyables massacres de Guelma , Sétif et Kherrata , survenus aux lendemains de la victoire des forces alliées sur le nazisme et les espoirs de paix et de liberté que cela a suscité chez les peuples des contrées opprimées. Le poète arabophone Mohamed Laid Khalifa laissa également un émouvant poème - témoin sur cette tragique période .Bref, à travers une histoire bouleversée par le morcellement de ses origines et par le schisme de la conquête coloniale , la littérature algérienne de graphie française a pu retrouver, à partir de 1945 et pendant toute la durée de la lutte de libération , sa profonde unité. Elle a retrouvé les racines de son chant qu'elle a su faire renaître , prolonger et perpétuer .Avant 1954, les romans alimentaient surtout le courant dit ethnographique qui privilégiait des aspects sociaux traités trop souvent de façon superficielle. Après l'avènement de la lutte de libération , le roman algérien va assumer un rôle bien plus engagé. Dans son essai sur la littérature algérienne , Abdelkebir Khatibi signalera que " le premier Novembre fut une véritable apocalypse pour que les écrivains algériens se sentent responsables d'une nouvelle histoire , dominée par la violence et le sang ". La conséquence de cet engagement inconditionnel fut que beaucoup d'écrivains, de poètes furent tués, emprisonnés, torturés, ou exilés. Ce qui ne fit que renforcer la détermination et l'affirmation de soi dans le combat engagé contre les forces d'oppression et d'assujettissement des libertés , sensibles surtout dans les écrits de braise allant de 1956 jusqu'aux lendemains de l'indépendance. Littérature et guerre vont, ainsi, cheminer ensemble et l'écrivain ne se définit surtout, qu'en référence à la ligne du combat libérateur , tant il est vrai que le phénomène de la colonisation envahit tous les paliers de la vie de l'autochtone . " L'incendie " de Mohamed Dib , paru en 1954 , " Le métier à tisser " en 1957, sont des romans qui posent avec audace le problème national algérien au centre de la préoccupation littéraire .Malek Haddad , avec " La dernière impression ", " Je t'offrirai une gazelle ", met en avant des attitudes passionnelles , mais avec des moments forts s'imbriquant dans le contexte de la guerre et la question d'engagement. On pourrait citer également les écrits de Mouloud Feraoun, de Maameri, de Assia Djebbar , mais incontestablement c'est avec " Nedjma " de Kateb Yacine, paru en 1956, que s'amorce le grand tournant de la littérature algérienne. Le thème tout autant que la forme originale de l'œuvre tentent de refléter le drame de la société algérienne , les tourments psychologiques, les réminiscences mythiques et historiques sur toile de fond d'actualité politique des déambulations des héros et voix multiples des personnages en bute à une dialectique de la résistance et de la destruction d'un roman véritablement fondateur. Coté littérature algérienne d'expression arabe, on compte tout autant un nombre appréciable d'auteurs et poètes engagés, à l'image de cette autre grande figure de proue de la cause nationale Moufdi Zakaria .. Né en avril 1913 à Beni Yezguen à Oued M'zab (Ghardaia) Moufdi Zakaria est notamment connu pour être l'auteur en 1955 du poème " Kassaman " de l'hymne national algérien dont on doit la connotation musicale à l'égyptien Mohamed Faouzi .Emprisonné et malmené plusieurs fois , le poète insurgé n'abdique pas pour autant dans sa résistance et combat anticolonialiste , si bien qu'il parvient en 1959 à s'évader de prison et rejoignit les rangs des troupes de l'historique FLN révolutionnaire d'avant 1962 . Parmi ses œuvres multiples , citons " Ellahab el moqades "(La flamme sacrée , 1961), et sa célèbre " Iliadet el- Djazair " (Odyssée de l'Algérie ,1973) ,etc. D'une manière générale, la guerre a permis de préciser le sens d'une revendication, qui s'est traduite également sur le terrain de la presse ,du théâtre,et des autres formes d'expressions artistiques ,en général ( chants, medhs, folklores,etc.), et comme le dira A.Khatibi " Si les Révolutions ne sont pas les fruits d'une action littéraire , elles peuvent provoquer par contre les conditions favorables pour son accomplissement ".( Cf. Abdelkébir Khatibi, le roman Maghrébin, réédition Gallimard, Paris 1994). Parallèlement à la littérature écrite de combat , celle de la poésie populaire du Melhoun d'arabe dialectal et berbère en général, s'est incontestablement taillée la part de lion dans l'exaltation du combat libérateur , et ce, bien avant l'avènement des textes imprimés, et qui n'a jamais cessé de fustiger la présence coloniale depuis 1830 sur le sol algérien, témoignant pratiquement de chaque période des soulèvements successifs faits héroïques à travers l'ensemble du territoire national, jusqu'aux confins du Sahara : Certains poèmes sont de véritables documents sur la situation des troupes armées algériennes de l'époque , leur discipline , leurs effectifs, leurs moyens de lutte. D'autres pièces relatent dans le détail le déroulement des combats, donnent des précisions sur les résultats des opérations militaires, le nombre de victimes, l'état psychologique des combattants, etc. Ainsi le poème de cheikh Abdelkader " L'entrée des français à Alger ", recueilli par Jean Desparmet ,et datant selon lui de 1830 ! Tout comme c'est le cas, vraisemblablement, pour l'autre poème berbère " Tukksa n lzzayer " ( La prise d'Alger) du poète El Hadj -Ameur-ou-El Hadj , des Imecheddalen ( région de Bouira ( cf. In Poésie Kabyle d'antan, présenté et commenté par M'hammed Djellaoui, Editions Zyriab- Algérie2004). Les pièces conçues après le premier Novembre 1954 sont pour beaucoup dans la continuité de cette tradition. Il est certain que la thématique s'est plus ou moins modifiée en raison des caractères inhérents à la période. Mais ce qui lui est proprement caractéristique , c'est le projet global , commun à une population engagée entièrement dans le combat anti-colonial. Une particularité : les pièces post 54 ne s'attachent plus à chanter l'acte isolé d'une tribu, d'un homme contre l'oppression coloniale, mais la contribution totale d'un peuple réalisant un dessein de grande envergure , tant sur le plan de l'action que sur celui de l'option politique . Avant 1954, la poésie populaire orale chantait la révolte d'un groupement humain localisé. Après 54 elle chante la Révolution de tout un peuple, de tout un pays ! Ceci a eu une double conséquence : la multiplication des chantres de la résistance -combat et la maturation d'un projet littéraire , car liée à l'élaboration politique affinée d'une époque et d'un peuple. Les poètes populaires ont pris en charge le déclenchement de la lutte armée de 1954 comme le prolongement tout à fait logique d'une thématique imposée par les contingences historiques. C'est que " Le poète a saisi l'importance du thème du combat armé depuis les anciennes époques " ( cf. Kerbouh , entretien in El Moudjahid de juin 1980, festival national de la poésie populaire algérienne). Un autre poète , Fizazi Mohamed , continue dans le même ordre d'idées : " En somme, le poète est familiarisé avec cette sorte de composition car elle reflète la dure réalité de sa vie ".( On ne pourrait jamais citer tous ces poètes ,ici, sans compter qu'il y a eu également nombre de chanteurs populaires qui ont chanté la patrie comme le martyr Ali Maachi, l'interprète de la mythique "Biladi El Djazair'( Algérie ma patrie, quelques temps avant son exécution) , ou citons encore la mémorable chanson " Ya El Menfi " du militant Akli Yahiaten., etc.… Ainsi, la guerre est une étape de la vie sociopolitique , un acte de survie dans un monde sur lequel plane la menace coloniale. Ce qui est important ,fera remarquer l'aède, c'est que cette poésie de combat devienne un acquis de notre conscience et mémoire collectives. En 1830 Cheikh Adelkader pleurait la prise d'Alger par les français mais implorait le Miséricordieux pour qu'un jour la nuit coloniale disparaisse. Un siècle et demi plus tard, El Hadj M'Hamed El Anka répondait " Hamdoulillah ma b'qach isti'e'mar fi bladna ", ( Dieu merci , il n' y a plus de colonialisme dans notre pays) signifiant que l'Algérie , en ce mémorable 5 juillet 1962, n'accédait pas seulement à l'indépendance mais restaurait également la souveraineté d'une nation historique , multimillénaire. Mohamed Ghriss (auteur - journaliste indépendant)