Tabou, culpabilisant et accusateur pour l'auteur et son entourage, le suicide est aggravé par le jugement religieux qui le considère comme un manque de foi, de confiance en Dieu. Pourtant, il n'épargne ni les imams ni les croyants. Les praticiens le réduisent à la pathologie psychiatrique. Les violences sociales, cause principale, sont occultées. Les études sur le suicide sont négligées, quasi inexistantes. Les chiffres sont peu fiables, le suicide n'est considéré comme tel que si la mort a été visiblement donnée. Or bon nombre de suicides sont maquillés en accidents. Le suicidé pense, souvent, à protéger son entourage de l'opprobre sociale et lui-même de l'enfer. Ces dernières années, les harragas ont choisi la tombe aquatique : suicide, sans se donner directement la mort. Qui s'y intéresse ? La justice, pour les condamner en cas de sauvetage de la noyade? Pourquoi cette négation dans une société en crise ? Ailleurs, il est étudié depuis plus d'un siècle. Dans l'Europe du XIXème siècle, déjà, les aspects extra-sociaux et sociaux ont été analysés par Durkheim. En France, depuis 1994, le Haut comité de la santé le classe parmi les priorités. Si les raisons paraissent différentes, les causes sont identiques. Le suicide est le résultat d'une détresse. La souffrance est si intense que mourir semble moins douloureux que vivre. Le suicidé ne vise pas la mort mais la fin de son calvaire. Les médecins constatent le suicide de leurs patients, victimes de violences domestiques ou de la mal-vie. Or la répétition de ces cas ne les interpelle pas pour agir ou alerter les pouvoirs publics. Les femmes ne sont pas écoutées, de crainte qu'elles «n'aggravent la situation familiale», déjà critique, en saisissant la justice. Les jeunes sont ignorés. Le suicidaire reçoit-il l'aide qu'il attend ? Doit-il toujours se battre pour se faire entendre ? Le suicide n'est pas un instinct. Ce n'est pas un acte spontané. Il survient suite à l'incompréhension générale, une longue déprime. Car, on nie son état, «on lui remonte le moral», ce qui accroît son sentiment d'incompréhension. Dans le meilleur des cas, le médecin prescrit des médicaments. Quels sont les moyens mis en œuvre pour accompagner le suicidaire, communiquer avec lui, le guider pour exprimer sa douleur et surmonter sa situation? Consulter est un appel au secours. Une femme qui se fait délivrer des certificats pour coups et blessures sans ester en justice ses agresseurs attend du médecin légiste une aide. Son but n'est pas la condamnation de son agresseur mais l'espoir que le médecin soit le guérisseur du mal qu'elle subit. Elle passe à l'acte après avoir renoncé à cette aide et que sa douleur devient intolérable. Elle trouvera, alors, «la force» de faire cesser cette souffrance. L'hypocrisie sociale occulte le phénomène. En parler, c'est aider les victimes en dénonçant les violences et le silence des acteurs sociaux est une non assistance à personne en danger. N. M. * Sociologue et militante associative pour les droits des Femmes Tabou, culpabilisant et accusateur pour l'auteur et son entourage, le suicide est aggravé par le jugement religieux qui le considère comme un manque de foi, de confiance en Dieu. Pourtant, il n'épargne ni les imams ni les croyants. Les praticiens le réduisent à la pathologie psychiatrique. Les violences sociales, cause principale, sont occultées. Les études sur le suicide sont négligées, quasi inexistantes. Les chiffres sont peu fiables, le suicide n'est considéré comme tel que si la mort a été visiblement donnée. Or bon nombre de suicides sont maquillés en accidents. Le suicidé pense, souvent, à protéger son entourage de l'opprobre sociale et lui-même de l'enfer. Ces dernières années, les harragas ont choisi la tombe aquatique : suicide, sans se donner directement la mort. Qui s'y intéresse ? La justice, pour les condamner en cas de sauvetage de la noyade? Pourquoi cette négation dans une société en crise ? Ailleurs, il est étudié depuis plus d'un siècle. Dans l'Europe du XIXème siècle, déjà, les aspects extra-sociaux et sociaux ont été analysés par Durkheim. En France, depuis 1994, le Haut comité de la santé le classe parmi les priorités. Si les raisons paraissent différentes, les causes sont identiques. Le suicide est le résultat d'une détresse. La souffrance est si intense que mourir semble moins douloureux que vivre. Le suicidé ne vise pas la mort mais la fin de son calvaire. Les médecins constatent le suicide de leurs patients, victimes de violences domestiques ou de la mal-vie. Or la répétition de ces cas ne les interpelle pas pour agir ou alerter les pouvoirs publics. Les femmes ne sont pas écoutées, de crainte qu'elles «n'aggravent la situation familiale», déjà critique, en saisissant la justice. Les jeunes sont ignorés. Le suicidaire reçoit-il l'aide qu'il attend ? Doit-il toujours se battre pour se faire entendre ? Le suicide n'est pas un instinct. Ce n'est pas un acte spontané. Il survient suite à l'incompréhension générale, une longue déprime. Car, on nie son état, «on lui remonte le moral», ce qui accroît son sentiment d'incompréhension. Dans le meilleur des cas, le médecin prescrit des médicaments. Quels sont les moyens mis en œuvre pour accompagner le suicidaire, communiquer avec lui, le guider pour exprimer sa douleur et surmonter sa situation? Consulter est un appel au secours. Une femme qui se fait délivrer des certificats pour coups et blessures sans ester en justice ses agresseurs attend du médecin légiste une aide. Son but n'est pas la condamnation de son agresseur mais l'espoir que le médecin soit le guérisseur du mal qu'elle subit. Elle passe à l'acte après avoir renoncé à cette aide et que sa douleur devient intolérable. Elle trouvera, alors, «la force» de faire cesser cette souffrance. L'hypocrisie sociale occulte le phénomène. En parler, c'est aider les victimes en dénonçant les violences et le silence des acteurs sociaux est une non assistance à personne en danger. N. M. * Sociologue et militante associative pour les droits des Femmes