Yahia pas de chance, le premier roman de Nabil Fares, parut en 1970, vient d'être réédité par la nouvelle maison d'édition Achab. Cette initiative est louable, d'autant plus que ce roman n'était pas du tout présent sur les étagères des librairies et encore moins dans les bibliothèques. Cette réédition est une aubaine pour les étudiants qui s'échangeaient avant le seul exemplaire de la bibliothèque périodique du département de français de Bouzaréah. Les œuvres romanesques de Nabil Fares s'articulent généralement autour des thèmes du déplacement, de la migration, des exils et des ruptures. Par les femmes il gardera la proximité de la parole, de la langue berbère, du chant, des contes et des mythes millénaires, bref, de la culture de l'oralité. Enfant de la guerre, il adhère au FLN à 20 ans en 1960, poursuit ses études de philosophie, d'anthropologie et enseigne à l'université. Son travail d'écriture repousse les techniques narratives, les procédés de la confession (c'est le sujet même du premier roman, Yahia pas de chance : la guerre est inracontable cas la langue de «l'Organisation» ne connaît pas la vibration de la nature, des mythes), ou quelque forme de réalisme que ce soit qui, selon lui, sont trop proches de la littérature officielle. Son écriture participe ainsi d'un travail «d'élaboration secondaire» par laquelle émerge sa propre parole. Ainsi se construit une esthétique qui lui est propre, subjective, une écriture de bris, d'éclats, de télescopages, d'anamnèses, de dissémination du récit, de circulation entre langues (l'écrit français et l'oralité arabe, berbère ou même espagnole) qui ont plus à voir avec des façons de poète. L'humour, le recours fréquent au calembour ne sont pas un jeu gratuit mais renvoient au colonisateur sa violence en minant la sacralité de sa langue. De même s'emploie-t-il à travers les mythes, comme ceux de l'ogresse ou de la Kahena, à travers les éléments naturels, comme la terre, le fleuve, l'obscurité, la lumière, à rendre compte de la circulation des symboles et de leur recyclage dans de nouveaux contextes politiques. L'œuvre majeure de cet écrivain dans l'espace maghrébin est malheureusement occultée au prétexte «d'hermétisme», alors qu'il faudrait l'accueillir comme on l'a fait des grands auteurs sud-américains avec qui il partage cette séduisante instabilité que donne la marche sur les lignes de fracture culturelles. Yahia pas de chance, le premier roman de Nabil Fares, parut en 1970, vient d'être réédité par la nouvelle maison d'édition Achab. Cette initiative est louable, d'autant plus que ce roman n'était pas du tout présent sur les étagères des librairies et encore moins dans les bibliothèques. Cette réédition est une aubaine pour les étudiants qui s'échangeaient avant le seul exemplaire de la bibliothèque périodique du département de français de Bouzaréah. Les œuvres romanesques de Nabil Fares s'articulent généralement autour des thèmes du déplacement, de la migration, des exils et des ruptures. Par les femmes il gardera la proximité de la parole, de la langue berbère, du chant, des contes et des mythes millénaires, bref, de la culture de l'oralité. Enfant de la guerre, il adhère au FLN à 20 ans en 1960, poursuit ses études de philosophie, d'anthropologie et enseigne à l'université. Son travail d'écriture repousse les techniques narratives, les procédés de la confession (c'est le sujet même du premier roman, Yahia pas de chance : la guerre est inracontable cas la langue de «l'Organisation» ne connaît pas la vibration de la nature, des mythes), ou quelque forme de réalisme que ce soit qui, selon lui, sont trop proches de la littérature officielle. Son écriture participe ainsi d'un travail «d'élaboration secondaire» par laquelle émerge sa propre parole. Ainsi se construit une esthétique qui lui est propre, subjective, une écriture de bris, d'éclats, de télescopages, d'anamnèses, de dissémination du récit, de circulation entre langues (l'écrit français et l'oralité arabe, berbère ou même espagnole) qui ont plus à voir avec des façons de poète. L'humour, le recours fréquent au calembour ne sont pas un jeu gratuit mais renvoient au colonisateur sa violence en minant la sacralité de sa langue. De même s'emploie-t-il à travers les mythes, comme ceux de l'ogresse ou de la Kahena, à travers les éléments naturels, comme la terre, le fleuve, l'obscurité, la lumière, à rendre compte de la circulation des symboles et de leur recyclage dans de nouveaux contextes politiques. L'œuvre majeure de cet écrivain dans l'espace maghrébin est malheureusement occultée au prétexte «d'hermétisme», alors qu'il faudrait l'accueillir comme on l'a fait des grands auteurs sud-américains avec qui il partage cette séduisante instabilité que donne la marche sur les lignes de fracture culturelles.