L'attaque du bus de l'équipe du Togo en Angola n'est que le dernier d'une longue série d'irruptions de la violence politique dans le football. Dimanche 24 janvier 2010 Le samedi 9 janvier, le bus de l'équipe nationale de football du Togo a été attaqué en Angola. Les coups de feu ont fait trois victimes (le chauffeur du bus, le chargé de communication de l'équipe et son entraîneur adjoint); le Togo a décidé de se retirer de la Coupe d'Afrique des nations. Des tensions politiques sont venues salir ce sport magnifique. C'est malheureusement loin d'être une première… La guerra del fùtbol (1969 – Honduras, Salvador) En juin 1969, les équipes du Honduras et du Salvador se sont rencontrées lors d'un match de barrage qualificatif pour la Coupe du monde; deux semaines plus tard, les deux pays étaient en guerre – la «guerre du football». A la fin des années 1960, le Honduras était déjà en froid avec son voisin, en raison notamment des 300.000 immigrés salvadoriens résidant clandestinement sur son territoire. Les tensions s'exacerbèrent au printemps 1969, lorsque le Honduras décida d'expulser un grand nombre de clandestins vers leur pays d'origine. Pendant le match de barrage, le déferlement de violence entre supporters (plusieurs d'entre eux furent tués) déclencha une hystérie médiatique dans les deux pays; le 27 juin, le Honduras décida de rompre tout lien diplomatique avec son voisin. (L'équipe du Honduras gagna le premier match éliminatoire, 1-0; celle du Salvador remporta le deuxième, 3-0; enfin, le Salvador se qualifia pour la Coupe du monde 1970 en battant son voisin sur un score de 3-2 obtenu en territoire «neutre», au Mexique). Le 14 juillet, le Salvador bombarda plusieurs sites au Honduras; le jour suivant, son armée avait envahi le pays sur 8 kilomètres. Un manque de ravitaillement stoppa l'invasion salvadorienne; un cessez-le-feu orchestré par l'Organisation des Etats américains pris effet le 20 juillet. Au total, l'affrontement fit 2.000 morts (des civils du Honduras, pour la plupart), et des dizaines de milliers de Salvadoriens furent expulsés du pays où ils avaient cru pouvoir trouver refuge. Le drame du Heysel (1985 – Liverpool FC, Juventus FC) Juste avant la finale de la coupe de l'UEFA 1985, à Bruxelles, des affrontements entre supporters ont fait 39 morts (et 600 blessés). Le match fut tout de même disputé, quelques heures plus tard. Si l'on en croit les supporters de Liverpool, quelques tifosis de la Juve avaient réussi à acheter des billets habituellement réservés aux Belges, dans la tribune «neutre» du stade. Une heure avant le début du match, ces tifosis commencent à lancer divers projectiles en direction des supporters anglais. Un grand nombre de fans de Liverpool se ruent alors vers la tribune neutre; les occupants de cette dernière tentent de fuir vers un mur de séparation, qui s'effondre bientôt sous la pression, écrasant de nombreuses personnes. Les autorités belges furent vertement critiquées: les policiers chargés du maintien de l'ordre étaient en sous-effectifs, et le stade était vétuste. La Juventus remporta la coupe, sur le score d'un but à zéro. Pendant cinq ans, tous les clubs anglais furent exclus des compétitions européennes; la pénalité fut rallongée de deux années supplémentaires pour le Liverpool FC. Explosion des tensions ethniques dans les Balkans (1990 – Etoile rouge de Belgrade, NK Dinamo Zagreb) «A la mémoire des supporters de ce club, qui ont déclaré la guerre à la Serbie ici-même, le 13 mai 1990», peut-on lire aujourd'hui sur une plaque située à l'extérieur du Stade Maksimir de Zagreb (Croatie). La victoire des indépendantistes croates aux élections parlementaires d'avril 1990 avait exacerbé les tensions ethniques dans la Yougoslavie d'alors. Au cours des mois suivants, un groupe de hooligans fans de l'Etoile Rouge, les Delije («durs à cuire»), dirigé le Serbe «Arkan» (Zeljko Raznjatovic), futur criminel de guerre, se rendit à Zagreb pour assister au match opposant le meilleur club de Serbie à son équivalent Croate. De violents affrontements éclatèrent dans les rues; à l'intérieur du stade, les policiers chargés d'assurer la sécurité laissèrent les Delije attaquer les supporters du Dinamo. Les Croates lancèrent une contre-attaque fulgurante, et parvinrent à déborder policiers et Delije, dans ce qui reste l'invasion de terrain la plus monumentale de l'histoire du football. Lorsque des policiers arrivèrent en renfort, le milieu de terrain croate Zvonimir Boban avait déjà réussi à asséner un violent coup de pied à l'un de leurs collègues. (Boban a ensuite passé 8 ans au Milan A.C.; il a également été capitaine de l'équipe de Croatie, qui prendra la troisième place lors de la Coupe du monde de 1998). Le match du 13 mai 1990 ne sera jamais disputé, mais un grand nombre d'ultras ayant pris part aux rixes rejoindront les forces paramilitaires de leurs nations respectives pendant les guerres de Yougoslavie. Egypte-Algérie: le choc (2009 – Algérie, Egypte) Les tensions existant entre les deux grands rivaux nord-africains ont redoublées en novembre dernier, lors d'un match de barrage opposant leurs équipes en vue d'une qualification pour le Mondial 2010. La même situation s'était présentée il y a vingt ans: l'Egypte avait vaincu l'Algérie et s'était qualifiée pour la Coupe du monde de 1990, organisée en Italie. Le match de barrage avait alors tourné à l'émeute; Lakhdar Belloumi, star du football algérien, fut même accusé d'avoir grièvement blessé à l'œil le médecin de l'équipe égyptienne en le frappant avec une bouteille en verre. Plusieurs semaines avant la rencontre de novembre 2009, les sites internet des deux équipes furent piratés, ce qui ne fit qu'envenimer les choses. Le bus de l'équipe nationale algérienne fut caillassé par des supporters Egyptiens peu après son arrivée au Caire; plusieurs joueurs furent blessés. (Les médias égyptiens prétendirent que l'attaque était une mise en scène). L'Egypte marqua à la dernière minute (décrochant du même coup un billet pour un match d'appui en territoire neutre, au Soudan) et Le Caire explosa de joie. Vingt algériens furent blessés dans le chaos qui s'ensuivit, mais les médias algériens brossèrent un tout autre portrait des évènements: supporters brûlés vivants ou abattus dans les rues, femmes déshabillées de force… En Algérie, plusieurs commerces égyptiens furent pillés. Fin novembre, la victoire de l'Algérie lors du match d'appui provoqua une nouvelle éruption de violence. Alaa Mubarak, l'un des deux fils du président égyptiens Hosni Mubarak, accusa alors les Algériens d'avoir prémédité l'agression des supporters égyptiens. Les deux régimes autocratiques ont joyeusement profité des événements pour détourner les critiques dont ils pouvaient être la cible, du moins sur le court terme. La polémique retomba lorsque les deux gouvernements ordonnèrent aux médias nationaux de ne plus couvrir le sujet. Le Clasico Real Madrid-FC Barcelone (de 1902 à nos jours – FC Barcelone, Real Madrid) L'affrontement Barcelone-Madrid compte parmi les rivalités politiques les plus célèbres et les plus anciennes du monde du football. Depuis leur première rencontre, en 1902, la bataille fait rage – et ne faiblit guère. Pendant la Guerre d'Espagne, l'aviation nationaliste avait bombardé le clubhouse du FC Barcelone. Sous Franco, le Real Madrid était considéré comme le club du régime; le FC Barcelone, celui des régionalistes catalans. En 1939, l'usage du catalan fut interdit, et le FC Barcelone fut contraint de faire disparaitre le drapeau catalan de son logo. Franco favorisait clairement Madrid, et faisait souvent pression auprès des joueurs sur le point de signer avec Barcelone pour qu'ils rejoignent le Real. Sous la dictature franquiste, le stade du FC Barcelone fut néanmoins l'un des seuls endroits permettant aux Catalans de parler leur langue, ce qui explique la devise du Barça: «Plus qu'un club». Le climat s'est apaisé depuis la mort de Franco; pour autant, les joueurs des deux clubs doivent encore faire face à des supporters animés par une certaine idée de la loyauté. Le joueur Luis Figo l'apprit à ses dépends: en 2002, lors d'un classico disputé au Camp Nou de Barcelone, un spectateur lui lança une tête de cochon alors qu'il s'apprêtait à tirer un corner. Trois ans plus tôt, il avait abandonné le Barça pour le Real Madrid… Andrew Swift Traduit par Jean-Clément Nau