Il y a beaucoup de différence, à mon avis, entre l'auto flagellation et la prise de conscience.La longue nuit coloniale dans notre pays, hormis les flambées de colère et les tentatives infructueuses de secouer la torpeur de populations qui étaient tombées dans la passivité, et même dans l'indignité, il ne s'est pas produit de sursaut salvateur massif. Puis, un cheminement vers la libération a commencé à se produire vers ce qui allait être la révolution de novembre. Ce ne fut ni facile, ni comme nous l'affirment d'aucuns, un mouvement qui suscita d'emblée l'adhésion populaire. Depuis l'OS, puis le CRUA qui tenta vainement de rabibocher des courants nationalistes qui s'entredéchiraient, jusqu'à la journée de novembre 1954, il a fallu qu'un groupe d'hommes déterminés se battent, non pas contre l'occupant, mais contre l'indifférence du peuple qu'ils voulaient libérer de l'étreinte coloniale. Nous en sommes presque à la même situation aujourd'hui, dans un tout autre contexte bien évidemment. Les Partis politiques qui ont le « droit » d'exister se livrent à une pathétique empoignade. Le FIS a été laminé par ses propres contradictions avant de l'être par la répression et la manipulation des services. Le FFS se noie dans des batailles d'appareil, et le PT s'est allié à l'archétype de la tromperie politique qu'est le RND. Le FLN, qui se prétend l'héritier de ceux qui ont libéré le pays est devenu l'outil de l'oppression. L'ALN qui se dit furieusement l'héritière des combattants de la liberté est prise en otage par des prédateurs de haut vol. Et pendant ce temps, l'humeur générale du peuple algérien est à l'arrivisme, au désir de s'enrichir à tout prix, à la flagornerie généralisée, à la démission collective, et à la harga massive. L'Appel du 19 mars, dont je m'honore de faire partie du groupe qui l'a lancé, prend des allures de cri dans le désert. Pourtant, si on prend le temps de le lire, il procède des mêmes objectifs politiques que le CRUA, puisqu'il cherche à susciter une union sacrée des principales tendances politiques sous un même front. Il appelle à une action politique unifiée de toutes les tendances politiques latentes ou déclarées, « islamistes » et « démocrates », voire même » nationalistes », contre ce même ennemi qu'est ce régime prédateur. Mais, jusqu'à preuve du contraire, cet Appel reste sans véritable écho. Parce que l'ambiance politique est à la léthargie et à la démission. Parce que l'opportunisme est devenu le plus grand parti du pays. Parce que comme l'a si bien dit Abdul « Le moindre petit médiocre, incompétent et corrompu trouve son compte sous ce régime en putréfaction ». Ce régime pourri a réussi à nous pourrir. Nous ne raisonnons plus que par rapport à ce qui pourrait nous rapporter de privilèges et de dividendes. En 1954, Krim Belkacem, fils de notable Kabyle, était déjà au maquis depuis 1947. Mustapha Benboulaïd qui possédait un moulin et une ligne de transport était par rapport à la masse algérienne, un richissime propriétaire. Mohamed Boudiaf, Larbi Ben M'hidi, Didouche Mourad, Rabah Bitat étaient d'un niveau qui aurait pu leur permettre de vivre bien au dessus du niveau de leurs compatriotes indigènes. Aït Ahmed, fils de notable, était d'une famille aisée, Ben Khedda était pharmacien, et je passe, qu'ils m'en excusent, sur les nombreux, très nombreux, révolutionnaires qui ont rejoint le FLN dès son engagement décisif, à un moment où il était inimaginable qu'ils puissent représenter la moindre menace pour l'empire colonial français. Tous ces hommes, et toutes ces femmes, admirables, et dont on peut être fiers à juste titre, n'ont pas hésité à mettre en péril leurs situations ô combien enviables, en ces temps où le seul fait de porter des chaussures était considéré comme un signe d'aisance. Et lorsque le train de la révolution se mit en branle, ils furent rejoints par leur peuple qui n'hésita plus, dès lors, à donner sa vie, ses maigres biens, à s'exposer à toute sorte de répression. Ben M'hidi, l'un des combattants, et des martyrs les plus attachants de le révolution algérienne, intellectuel, politicien et fin stratège, confiera à plusieurs de ses interlocuteurs qu'il serait heureux de libérer son peuple, mais de mourir avant l'indépendance, car il se doutait de ce qui allait advenir à son pays. Il savait déjà que ceux qui étaient embusqués, et qui n'avait rejoint la révolution que tardivement, en bons opportunistes, feraient subir à son peuple ce que même les colonialistes n'avaient pas osé faire. Ses prédictions sont aujourd'hui vérifiées. Nous avons pu entendre, au cours de ces derniers jours, que Bouteflika, qui n'a jamais connu le maquis, rendait hommage à Belkheir, ancien officier de l'armée francaise, et qui n'a rejoint l'ALN qu'en 1961, en disant de lui qu'il était un Moudjahid etc… Nous qui savons ce que Belkheir a fait de ce pays, nous lisons, sans autre possibilité que de nous taper le front contre le mur, des éloges funèbres écrits par des patrons de presse qui se disent nos héraults, et qui parlent en notre nom, au nom du peuple algérien, au nom de ceux pour qui sont morts Ben M'hidi et Benboulaïd. Alors, cher H'mida, ne me dites pas que je fais dans l'auto flagellation. Tout ce que j'ai pu dire dans ce modeste, très modeste billet, ne reflète qu'une toute petite partie de l'indicible indignité que nous vivons sans broncher. Ce peuple que des hommes admirables ont délivré de l'oppression, au prix de leur vie, de leur jeunesse, de leurs positions sociales privilégiées, de leurs rêves, de ceux de leurs mamans, est devenu une foule, un ghachi, une tambouille de vils égoïsmes, un opportunisme en marche. Nous avons les dirigeants que nous méritons. Nous ne sommes pas dignes de ceux qui ont donné leur vie pour nous. Leur vie ! Saviez vous que la révolution algérienne a été embrassée à corps perdu par des algériens d'origine européenne ? Tels Chaulet, Maillot, Minne, Jeanson, et tellement d'autres qui me pardonneront de ne pas les citer. Souvent des hommes et des femmes de gauche, des communistes, mais qui avaient des situations enviables, et qui, au nom de leurs admirables convictions, ont tout sacrifié à la révolution algérienne. Demandez à Hadjeres de vous les raconter, lui qui les a côtoyés, qui a combattu à leurs côtés. Aujourd'hui, ceux d'entre eux qui sont encore de ce monde n'ont pas droit à la moindre considération. Beaucoup ont dû quitter ce pays qui n'était plus le leur, parce qu'il est devenu celui des chiens qui avaient capté leur belle victoire. Celle de l'Humanité contre le mal. Parce que ces hommes et ces femmes admirables, et qui me sont plus proches que n'importe quel baron goitreux du régime algérien, ces frères et ces sœurs qui ont honoré l'histoire de l'humanité, ces hommes et ces femmes que je chéris, plus que n'importe quel censeur encensé de djaoui, ont subi la pire défaite de leur vie. Ils ont été ignoré par ceux là même pour lesquels ils ont tout sacrifié. Quelle honte! Et quelle brûlure pour nous tous ! Comme j'aurais voulu les honorer ces hommes et ces femmes qui ont sacrifiés pour nous leur vie, leur quiétude et qui ont eu le courage, au nom de leurs belles convictions, de combattre leur propre société, leur patrie, leurs coreligionnaires pour ceux d'entre eux qui avaient de la religion. Presque tous ne sont plus de ce monde, et ils sont partis avec de l'amertume dans le cœur, nous condamnant pour l'éternité à l'ingratitude, et à la bêtise. Pourquoi faut-il que les plus belles âmes soient ainsi flétries par ceux-là même qu'elles ont chéries. Pourquoi l'humanité est-elle ainsi faite, pour que les plus vils puissent être l'écume de la vie, au moment où les plus nobles sont ravalés à l'oubli et à l'indignité ? Qu'est ce qui explique que les plus tonitruants, les plus audacieux, au sens brutal du terme, soient les plus adulés, les plus admirés. Les Algériens sont-ils aveugles au point d'être fascinés plus par Abdelaziz Bouteflika que par Sadek Hadjeres ? A la falsification de l'Histoire, qui aurait été un pretexte commode, est venue se greffer, malheureusement, une disposition imbécile, voire une propension presque naturelle, à bêler avec les moutons. La seule réaction du mouton à la présence du loup. D.Benchenouf