Finalement, la nuit avait porté conseil. Hier, au matin, les émeutiers n'ont pas repris les hostilités contre les forces de l'ordre. Néanmoins, la tension était perceptible malgré le calme apparent. En effet, la rumeur ayant trait entre une vingtaine et une cinquantaine d'arrestations opérées par les gendarmes au petit jour s'était confirmée. Mais les groupes d'intervention rapide (GIR) sont restés cantonnés hors du village après leur départ vers 22h30. D'autres renforts sont venus les remplacer dans la matinée. Le siège de l'APC, le parc communal, Algérie Poste, les issues de l'agglomération... sont sous bonne garde. On craint une nouvelle flambée de violence après la prière du vendredi. En effet, un mot d'ordre en faveur de la reprise des manifestations a circulé au cas où les personnes arrêtées ne seraient pas libérées. Dans la nuit, les autorités de wilaya avaient tenté de reconstituer le fil rompu avec la population. Elles ont cherché des relais parmi elle. Une douzaine de personnes des principales familles du village avaient été invitées par le chef de daïra à se rendre chez le wali. L'entrevue a eu lieu vers 23h. Au cours de celle-ci, le chef de l'exécutif de la wilaya s'est engagé sur la fermeture de la carrière et la prise en charge ultérieurement des autres revendications, dont principalement la dissolution de l'APC. Le maire est injoignable. Les autres autorités restent muettes. Deux parlementaires promettent d'aller intercéder une nouvelle fois auprès du wali pour la libération des personnes arrêtées. La matinée est une longue demi-journée d'attente. Seuls témoins de la furie qui avait saisi la bourgade : les pierres qui jonchent la chaussée. Pour preuve de l'engagement des forces de l'ordre, les grosses douilles blanches des bombes lacrymogènes se comptent par dizaines à travers rues et ruelles. Les troncs d'arbres et les pneus en flammes que nous avions découverts la veille au soir avaient fini par se consumer. Les débris de verre des lampadaires recouvrent le sol. La déblayeuse des GIR avait néanmoins déplacé la carcasse d'une voiture qui barrait la route. Mais comment en est-on arrivé là ? Voici le film des évènements dont le début remonte à mercredi 15 juin. Ce jour-là, une déflagration a produit l'effet d'un séisme. La secousse avait pour origine une nouvelle carrière d'agrégats. L'émotion avait été vive. La panique causée par la secousse tellurique qui avait secoué la région trois semaines plus tôt était de retour. Mais cette fois un certain nombre d'habitants constatent des fissures dans leurs maisons. Cependant, tout un chacun a cru à une erreur qui ne se reproduirait pas, une erreur imputable, selon un spécialiste, à une excessive charge de dynamite. « Et comme le sol est dur, c'est-à-dire rocailleux de bout en bout jusqu'au village, la transmission de l'onde de choc du tir a été au maximum. » Il se peut également, indique notre interlocuteur, qu'il y ait eu un mauvais tir. C'est précisément cette thèse que le directeur des mines et de l'industrie (DMI) privilégie, ajoutant que ce sont les mêmes tirs qui sont opérés avec une charge de 500 kg. Parmi la population en colère, on parle plutôt d'un tir effectué avec le double de cette charge. Mais voilà que le mercredi suivant, le 22 juin, un autre tir réinstalla la population dans la panique. La coupe était pleine d'autant que le passif avec les carrières d'agrégats était lourd à Terga. En effet, l'on s'est toujours plaint de l'autre carrière d'agrégats, un peu plus loin que la dernière. On lui avait déjà reproché d'être à l'origine de fissures causées aux maisons et à la baisse du niveau de la nappe phréatique (El Watan du 28 octobre 1993). Des citoyens ont déposé plainte auprès de la brigade de gendarmerie. Ils espéraient une réaction des autorités locales. Mais, le lendemain, le jeudi matin, ne voyant aucune autorité se manifester, la population coupe la route, empêchant les estivants de rejoindre la mer à Terga-Plage. A 10h, les manifestants plantèrent une tente à l'entrée de la bourgade pour y accueillir le wali qu'ils voulaient pour seul interlocuteur. Le chef de daïra, accompagné du maire, n'avait pu leur faire entendre raison. Le DMI ne réussit pas mieux, même en assurant que la carrière est fermée jusqu'à nouvel ordre. Finalement, le chef de daïra proposa la constitution d'une délégation représentative qui serait reçue par le wali. L'effet foule jouant, le niet est catégorique. C'est le wali qui doit faire le déplacement vers eux. Les manifestants se méfient de toutes les tractations en coulisses. Selon certains, c'est moins l'épreuve de force qui est voulue qu'une perte de crédibilité de l'autorité. Vers 15h, ce sont les unités antiémeutes qui arrivent au lieu des autorités qu'on attendait. La colère éclate. L'officier commandant tente de dialoguer pour obtenir l'évacuation de la rue. En vain. L'épreuve de force s'engage. Jets de pierres contre bombes lacrymogènes et coups de matraque. L'affrontement dure deux heures et demie. Terga est toujours interdite d'accès. Les gendarmes sont submergés. Ils se retirent pour attendre du renfort. Le siège de l'APC est alors pris pour cible. Des citoyens interviennent pour arrêter à temps les casseurs. Ils empêchent d'autres qui s'apprêtaient à saccager le parc de la commune. Les renforts arrivent vers 19h et l'affrontement reprend. La chasse aux émeutiers s'effectue jusque dans les haouch. « El horma » en prend un coup, ce qui décuple l'ire des jeunes offusqués de voir parents, frères et sœurs hébétés et larmoyants sous l'effet des bombes lacrymogènes. Les personnes jointes au téléphone nous ont recommandé de ne pas venir à cause du risque de se faire tabasser par les gendarmes ou d'être victimes d'un quelconque projectile outre le fait que l'accès au village est impossible. Cependant, lorsque nous accédons au village vers 21h30, la tension des affrontements était tombée. Les GIR pourchassaient dans les ruelles sombres leurs derniers adversaires. L'un d'eux, arrêté - sous bonne garde - était dans une attitude de prosternation. Deux autres étaient ramenés sans ménagement. Un gendarme, qui apparemment avait été copieusement abreuvé d'insultes par un manifestant qu'il pourchassait, lui faisait répéter : « Dis pour qu'on t'entende, crie-le devant tous que tu es l'âne des gendarmes. » Le jeune, tenu par le col de sa chemise, s'exécute, vaincu. La vingtaine de personnes qui observent la scène restent impassibles. Pointant vers nous sa matraque, mais parce que nous n'avons pas l'âge des manifestants, le gendarme se contente de nous intimer l'ordre de rentrer chez nous : « Vous risquez d'être arrêtés dans la foulée. » Les habitants du village confirment qu'il y a eu des arrestations parmi les non-manifestants. On parle de beaucoup de blessés, même du côté des gendarmes. Deux femmes auraient accouché avant terme.