En moins de quatorze ans, l'Algérie se trouve pour la deuxième fois en conflit avec le peuple frère marocain. Parmi nos soldats et nos enfants, les uns sont prisonniers ou blessés et les autres sont morts sans que la responsabilité de notre peuple ait été engagée. Nos morts, ceux des marocains, le traitement indigne infligé à nos frères de nationalité marocaine expulsés d'Algérie, le drame et le désarroi des populations nomades de Seguia-El-Hamra et Oued-Ed-Hab montrent que ce conflit a déjà exercé ses ravages. Demain ce conflit risque de se généraliser et de plonger toute l'Afrique du nord dans un bain de sang. Les haines qu'il engendrera compromettrons l'union du Maghreb Arabo-islamique, espérance de nos peuples et de notre prospérité et de notre bien-être. Halte à la guerre, nous lançons un appel aux responsables algériens et aux responsables marocains, à tous les niveaux, pour que nos deux pays cessent d'être un simple pion dans l'échiquier international. Halte à la guerre! au nom de la fraternité musulmane et de la solidarité humaine. Les guerres modernes peuvent détruire en un jour le travail de plusieurs générations. Elles ont cessé d'être des solutions valables pour nos problèmes, y recourir, c'est accepter le suicide collectif. L'Afrique du nord deviendrait un nouveau terrain où s'affronteront les super-grands au détriment de nos intérêts et de la paix dans le monde. L'image que nous offre la malheureuse population d'Angola déchirée entre pro-Russe et pro-Americain devrait nous inciter à la réflexion. Nous perdrions notre indépendance nationale et ce serait alors la rupture avec le principe de non-alignement, clé de voute de notre politique international depuis plus de vingt ans. Les peuples marocains et algériens furent unis dans le combat pour leur indépendance, ils ne peuvent se résigner aujourd'hui à la politique du pire. Durant plus de sept ans, la Tunisie et le Maroc nous ont apporté leur appui constant et positif. L'ingratitude est la marque des peuples faibles. Le peuple algérien est assez fort pour rendre le bien et affirmer sa solidarité maghrébine. Restons objectifs et réalistes. Certes, nous sommes fermes pour sauvegarder notre souveraineté nationale et l'intégrité de notre territoire, mais il n'en est pas moins vrai que d'autres taches impérieuses nous sollicitent. Faute d'institutions, l'état algérien n'existe pas. Il faut le créer; l'Algérie n'a pas de constitutions ni de lois. Elle vit dans le provisoire. Le temps est venu d'y mettre fin. Le coup d'état du 19 juin 1965 devait rétablir notre peuple dans son entière souveraineté. Ses auteurs ont condamné, sans équivoque, le pouvoir personnel par la proclamation suivante. « le pouvoir personnel, aujourd'hui consacré, toutes les institutions nationales et régionales du parti et de l'état se trouvent à la merci d'un seul homme qui confère les responsabilités à sa guise, fait et défait selon une tactique malsaine et improvisée les organismes dirigeants, impose les options et les hommes selon l'humeur de moment, les caprices et le bon plaisir ». Hélas ce coup d'état n'a rien réglé. Le culte de la personnalité est toujours en honneur. Le pouvoir personnel s'exerce sans contrôle. Il dispose à son gré du destin de notre pays, de nos ressources, du budget. Il impose a nos enfants un système éducatif de son choix. Il nous soumet à une idéologie hostile aux valeurs morales et spirituelles de l'Islam. Cet Islam pour lequel un million et demi d'algériens sont morts. Il est seul juge du maintien de la paix ou de la guerre. Le peuple n'est jamais consulté; pas plus d'ailleurs que les responsables algériens, y compris les membres du conseil de la révolution. A notre époque, un tel pouvoir est un anarchisme. La solution de nos problèmes internes aussi bien qu'externes passe par l'(exercice de la souveraineté populaire. Il ne s'agit pas de vouloir imposer au pays une charte nationale comme projette de le faire le président du conseil de la révolution, afin d'institutionnaliser son pouvoir, une seule voie reste ouverte pour la confection de cette charte: un débat public, a l'échelle nationale, pour l'élection au suffrage universel direct et sincère, d'une assemblée nationale constituante et souveraine, et sans pour autant préjuger de l'option socialiste du pays. C'est au sein de cette assemblée que les représentants librement mandatés par le peuple, pourront traduire dans les textes les légitimes aspirations de la nation. Toute autre charte établie dans le secret des anti-chambres du pouvoir ne pourrait être que nulle et non avenue. Algériens, algériennes! Le régime colonial contre lequel nous nous sommes mobilisés nous avait humilié. Il nous avait interdit dans notre propre pays l'exercice de la souveraineté nationale en limitant nos problèmes aux questions alimentaires et économiques. Depuis notre indépendance, le régime du pouvoir personnel nous a conduit progressivement à la même condition de sujets, sans liberté et sans dignité. Cette subordination est une insulte à la nature même de l'homme et de l'algérien en particulier. Elle est une atteinte à sa personnalité. C'est pourquoi des hommes, militants de bonne volonté, se sont rencontrés pour dénoncer cet état de chose et mettre fin à l'indignité qui nous frappe. Ils appellent les algériens à lutter afin: 1. D'élire par le peuple, librement consulté, une assemblée nationale constituante et souveraine. 2. De mettre fin au système totalitaire actuel et élever des barrières légales contre toute velléité de ce genre. 3. D'établir les libertés d'expression et de pensée pour lesquelles le peuple algérien a tant combattu. 4. D'œuvrer pour un Maghreb arabe uni, islamique et fraternel. Alger, mars 1976 FERHAT ABBAS Ancien président du Gouvernement Provisoire de la République Algérienne BENYOUCEF BENKHEDDA Ancien président du Gouvernement Provisoire de la République Algérienne CHEIKH MOHAMED KHERIDDINE Ancien Membre du Conseil National de la Révolution Algérienne HOCINE LAHOUEL Ancien secrétaire Général du Parti du Peuple Algérien et du Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques, ancien représentant du FLN à l'extérieur