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«Le Maroc a retardé la libération des prisonniers»
LE PRESIDENT DE LA RASD MOHAMED ABDELAZIZ À L'EXPRESSION
Publié dans L'Expression le 23 - 08 - 2005

«De nombreux paramètres sont venus nous renforcer dans le choix de cette décision».
Accompagné de M.le ministre des Affaires européennes M.Mohamed Sidati, un homme de culture et aussi un politique remarquable, on a eu le plaisir de rencontrer Son Excellence le président de la Rasd et président en exercice du Polisario M.Mohamed Abdelaziz. L'homme est d'apparence simple et surtout accueillant et affable. Aux diverses questions, le chef du Polisario a répondu sans aucune hésitation.
L'Expression: M.le président, récemment le Polisario, et donc la Rasd, a libéré les prisonniers marocains retenus depuis des années. Voulez-vous nous expliquer ce qui a conduit la Rasd à ce geste humanitaire et hautement significatif?
M.Mohamed Abdelaziz: Vous savez, c'est au début du mois de mai dernier que le secrétariat national s'est réuni en session extraordinaire pour examiner la situation prévalant sur le front politique et essayer de prendre des décisions en mesure de débloquer la situation. Aussi, c'est là que nous avons pensé à cette mesure d'élargissement en faveur des prisonniers marocains.
Cette décision devant en principe être rendue effective à l'occasion de la commémoration du 32e anniversaire de la création du Polisario. Cette décision étant une mesure parmi d'autres afin de faire bouger les choses. Comme il nous faut souligner que de nombreux paramètres sont venus nous renforcer dans le choix de cette décision.
Justement, M.le président, ces paramètres peut-on les connaître?
Tout d'abord, il y a le peuple marocain frère. Vous savez, de plus en plus, de larges pans de la société marocaine ne partagent pas l'occupation de mon pays, comme d'ailleurs de nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer les assassinats et autre s commises contre le peuple sahraoui, surtout depuis le début des manifestations pacifiques dans les villes et territoires du Sahara occupé. Ces voix se sont amplifiées et sont ainsi devenues importantes et à cela se sont joints les appels de nos amis et des personnalités internationales qui ont appelé au respect de la légalité internationale et à la tenue du référendum d'autodétermination. C'est donc pour renforcer ces actions et en vue de dégeler la situation que nous avions décidé de frapper un grand coup. Comme c'est devant la situation de blocage de l'action de l'ONU, du gel rencontré par le plan de paix que cette décision a été prise. Comme il y a lieu de noter que durant, cette réunion du secrétariat national du Polisario, il a été également fait état des démarches diverses des pays amis et aussi des organisations et des personnalités qui, à travers le monde, n'ont pas manqué de soulever le cas de ces prisonniers marocains détenus par la Rasd. Toutes ces parties se sont rapprochées de nous et je ne veux citer que le parti marocain Nadjd Edemocrati et aussi le journaliste marocain Ali Lemrabet. D'où donc cette décision du geste de paix fort, effectué par la Rasd en direction de tout le monde et principalement en direction du peuple marocain et ce en réponse aux voeux et aux souhaits des amis et aussi afin de créer une nouvelle dynamique en vue d'arriver à la paix.
Mais il y a le fait que cette décision intervient en cette période .... !
C'est vrai que la décision a été prise en mai dernier, entre temps et notamment depuis le 21 mai, des manifestations pacifiques ont été organisées dans les villes et les territoires occupés et même dans certaines villes du sud marocain et dans les universités marocaines, là où il y a des étudiants sahraouis. A ces manifestations pacifiques, le gouvernement marocain a opposé la force et la répression les plus brutales. Cette démarche des autorités marocaines ont en quelque sorte retardé la libération de ces prisonniers.
D'ailleurs rappelez-vous que le 13 juillet dernier et à Madrid je confirmais dans l'entretien accordé au journal français le Monde cette décision du secrétariat national du Polisario. En fait, depuis, on examinait juste les termes de la procédure. Entre temps il faut savoir que le président américain a fait part de son profond intérêt pour cette question et a émis le voeu de voir ces prisonniers «retourner enfin dans leur pays». Cela explique la présence de M.Richard Lugar, un parlementaire républicain à la tête d'une forte délégation américaine et le Polisario lui a donc remis ces prisonniers.
On peut donc dire qu'une page est tournée?
Je crois qu'il me faut tout d'abord remercier tous les Etats, les gouvernements, les personnalités et tous ceux qui ont eu à coeur ce problème. Je ne peux oublier le président Bouteflika, l'administration américaine et le président Buch ainsi que le sénateur Lugar et la Croix-Rouge internationale pour nous avoir aidé à résoudre ce problème humain. Je félicite, au nom de mon peuple et du gouvernement ainsi que du Polisario, les familles marocaines pour leur joie d'avoir enfin retrouvé ces soldats retenus pour fait de guerre. A travers ces familles, je félicite le peuple marocain à l'occasion de cette libération des soldats et officiers marocains détenus durant, le plus souvent, de longues années. Il y a cependant lieu d'attirer l'attention de tous: et en premier lieu le président américain ainsi que les USA en général, et le peuple marocain sur la situation grave et dangereuse que traverse le peuple sahraoui, notamment dans les territoires occupés depuis toujours et principalement depuis le début des manifestations pacifiques. Une sévère et inhumaine répression s'abat quotidiennement sur notre peuple. Nous avons ainsi recensé 33 détenus et parmi eux une jeune femme Aminatou Haïder, défenderesse des droits de l'homme. Aujourd'hui, leur situation est critique, ils sont entrés dans une grève de la faim illimitée. Leurs jours sont en danger ! Ils sont détenus dans les prisons d'El Ayoun, d'Agadir, et ailleurs.
Le Polisario, au nom de notre peuple, n'arrête pas de multiplier les gestes de bonne volonté. On a fait plusieurs concessions, on a milité et on continue de le faire pour la paix, la fraternité envers les Marocains et le monde, mais la réponse est connue hélas! La guerre, l'occupation, la répression et aussi la fermeture du Sahara occupé devant les observateurs internationaux. Il est temps que cesse cette démarche et il faut mettre un terme à cette situation! La patience du peuple sahraoui a des limites!
Peut-on revenir à ces libérations? Y a-t-il un lien entre la visite de M.Lugar et cette libération des prisonniers?
Il me semble que cela s'explique par l'importance de l'initiative et de la décision des Sahraouis de libérer ces prisonniers sans conditions et sans aucune contrepartie, dans le strict cadre humanitaire, d'où justement l'importance de la délégation américaine. Il se peut qu'aux yeux du président Bush et de l'administration US, l'on se pose des questions. Ils vont certainement mettre dans la balance cette libération de plus de 400 prisonniers et aussi se dire que pour un peuple qui a pu avoir plus de 2400 prisonniers de guerre veut dire que ce peuple a une armée et est en mesure de prouver son existence sur le terrain. Comme très certainement, cela aura sans doute des retombées sur la politique extérieure US et l'on peut s'attendre à une meilleure implication de Bush dans le conflit!
M.le Président, peut-on évoquer la situation en Mauritanie?
Ce pays est voisin, nous avons avec lui une importante frontière et nous avons par conséquent un important volume d'échanges humains. Ses régions comme Nouadhibou et Zouérate sont proches de mon pays et des similitudes culturelles existent entre les deux peuples. D'où justement ces échanges importants. La sécurité de la Mauritanie est importante à nos yeux. Comme il faut rappeler que depuis 1976 et la signature des accords de paix, la Mauritanie s'est retirée du conflit et a reconnu la Rasd ; depuis les accords d'Alger, on vit dans le respect mutuel. Après ce qui s'est récemment passé dans ce pays, on a envoyé le ministre en charge des territoires occupés auprès des nouveaux dirigeants mauritaniens qui l'ont assuré de la continuité des relations et ont développé leur vision future et les horizons qu'ils se sont tracés.
M.le président, on prétend qu'en Mauritanie il existe une «école» de formation des intégristes et que des jeunes Sahraouis seraient passés par ce centre?
Sachez que le Polisario est un mouvement de libération démocratique et qu'il tend à installer une autorité démocratique. Regardez ce qu'il a pu faire déjà en exil et vous comprendrez ! Demain, dans le Sahara libre, il y aura le pluralisme politique et le respect de toutes les libertés tant individuelles que collectives. Notre position est claire là-dessus, nous sommes contre toute utilisation de la religion à des fins politiques! Nous sommes des musulmans mais pas des extrémistes. Certes, nous ne vivons pas dans une île et tout ce qui touche l'Afrique, le monde arabe et le Maghreb nous touche ! Il se peut que l'attente, les déceptions, ainsi que les «idées» ayant cours au Maghreb puissent toucher quelque peu notamment la jeunesse. Il se peut qu'il puisse se trouver de jeunes Sahraouis «intéressés» par l'islamisme radical, mais, je le répète, cela n'a aucune ampleur car le peuple refuse cela!
Parlons un peu des problèmes dans les camps.
Depuis 1975, devant l'occupation, une importante fraction du peuple a fui le pays. Il s'est installé dans cette région grâce à l'aide de l'Algérie que nous ne saurons assez remercier. Cette zone est difficile, aride, Aussi on peut dire que les Sahraouis ont supporté un très grand fardeau depuis trente ans ! On s'est organisés et une administration a été mise en place, ce qui semble avoir facilité les choses! C'est aussi grâce à cela que nous avons le plaisir de dire que dans les camps, nous n'avons pas les problèmes rencontrés ailleurs comme la drogue, la criminalité, la prostitution.
L'organisation nous a protégé de ces épiphénomènes. Je veux, à travers votre journal, rendre un hommage appuyé à la ahraouie. C'est elle qui a pris à bras-le-corps la société au moment où l'homme était au combat et elle continue d'ailleurs à faire sa part. Certes, nous manquons de moyens mais tous les efforts sont tendus vers la libération et cela nous aide à supporter les privations. Nous avons en somme investi dans l'homme! Le Polisario, issu du peuple, vit et travaille au milieu du peuple!
Un dernier mot M. le président?
Je crois qu'il ne me reste qu'à dire que nous saurons nous rappeler des efforts précieux du peuple et du gouvernement algériens et nous souhaitons à ce peuple frère et ami tout le bonheur du monde ! Comme nous espérons la fin du conflit avec le Maroc et enfin la paix régnera au Maghreb! Nous avons confiance en le destin, car quand un peuple veut la vie, force est au destin de répondre!


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