De retour de New York où il a rencontré le secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, le président de la République sahraouie, Mohamed Abdelaziz, a bien voulu nous recevoir en sa résidence de Rabouny pour évoquer les différents sujets de l'heure et surtout ses entretiens avec M.Kofi Annan. M.Abdelaziz dira entre autres que «le peuple sahraoui attend avec impatience que l'ONU prenne ses responsabilités!» Le président sahraoui n'a pas manqué de souligner que «dans les territoires occupés, un peuple, le nôtre, subit avec honneur et dignité une féroce répression accompagnant l'Intifadha de la dignité et de la liberté». Comme il souligne le rôle négatif de la France qui, par son soutien au Maroc, fait durer le conflit. L'Expression: Monsieur le président, où en sont vos relations avec la France. M.Mohamed Abdelaziz: Les relations avec le gouvernement français existent au niveau de contacts mais j'ai le déplaisir de constater que sur le terrain, ce gouvernement est franchement pro-marocain. Il nous semble que par ce soutien quasi ouvert, la France donne des ‘'forces'' aux Marocains. Sans ce soutien, il y aurait longtemps que le conflit serait terminé et le problème réglé! Cette politique empêche en fait la construction du Maghreb. Des observateurs vont jusqu'à affirmer que la France considère en fait, cette zone du Maghreb, comme son ‘'protectorat''. Il y en a d'autres qui disent que du fait que le Sahara occidental était une ex-colonie espagnole, il fallait que la France élimine cet îlot afin de faire de la région une zone francophone, d'autres enfin disent que si le Polisario est ami de l'Algérie, alors, la France entend «peser» sur ce pays en étant inamicale avec le Polisario. En fait au Maroc, les intérêts français sont importants, d'où le penchant de la France officielle pour le Maroc. De toutes les façons et quelles que soient les raisons, cette attitude est dangereuse, et même, nuit, y compris au Maroc. Le Maroc ne peut qu'être bénéficiaire dans une région en paix et en ayant des relations de bon voisinage avec les peuples de la région. Nous regrettons qu'il fasse aujourd'hui dans l'illégalité internationale. M.le président, qu'en est-il de vos entretiens avec Kofi Annan? On s'est rendu lors de la première semaine d'avril à New York où nous avons rencontré le 5 avril courant, le secrétaire général de l'ONU. Je l'ai informé du problème sahraoui et des développements surgis jusque-là, notamment sur l'état des libertés et des droits de l'homme avec la répression marocaine contre nos concitoyens des territoires occupés. Vous savez qu'il y a une Intifadha, ce mouvement de protestation tout pacifique est décidé et déclenché par les Sahraouis de ces territoires, en étroite liaison avec la direction du Polisario, pour demander le respect des droits de l'homme, des libertés et aussi exiger la libération des prisonniers. Laissez-moi m'arrêter un instant, pour la mémoire de plusieurs de nos frères morts durant cette lutte déclenchée voici presque une année. Je pleure M'Barki et Lekhlifi Abba Cheikh et d'autres jeunes parmi les meilleurs de mon peuple ! Notez qu'il y a encore des Sahraouis prisonniers, ils sont plus de trente internés depuis seulement cette période de l'Intifadha! Parmi eux, Ali Salem Tamek et Brahim Daham ainsi que Sidi Sailli. Leurs jours sont vraiment en danger. D'autres citoyens sont également internés et la liste serait longue à établir ici. Notre population des territoires occupés vit une situation très critique due à une répression terrible; il y a plus de 130 blessés à Smara et plusieurs arrestations rien que lors de l'action du 27 mars dernier. Ceci est d'ailleurs arrivé alors que le roi du Maroc était contre la légalité internationale et la volonté du peuple sahraoui, en visite dans ces territoires. Savez-vous que le gouvernement marocain interdit toute visite, dans les territoires occupés, des observateurs internationaux, des diplomates étrangers et des délégations étrangères? Par exemple celles de Suède, de Finlande et de Norvège ont été récemment refoulées d'El Ayoun. Jusqu'aux représentants de la commission des droits de l'homme de l'ONU qui n'a pu accéder à ces régions où le Maroc organise un massacre dans le silence. C'est donc de tout cela que l'on a informé le secrétaire général de l'ONU. La situation est dangereuse et on ne peut rester les bras croisés. Cela ne saurait durer indéfiniment. Nous avons également demandé à M.Kofi Annan que la Minurso s'implique davantage dans la partie consacrée à la défense des droits de l'homme. Actuellement, elle se contente de compter les coups que nous recevons. Nous avons donc exigé que dans son nouveau mandat, les prérogatives de la Minurso incluent les droits de l'homme. Pour ce qui est de l'ONU, nous avons souligné à M.Kofi Annan, que cette organisation s'est à l'origine, saisie du dossier afin d'organiser un référendum qui devait avoir lieu dans les six mois. Elle devait appliquer le Plan Baker sans que les deux parties, marocaine et sahraouie, ne s'impliquent dans l'organisation. Nous attendons toujours et cela fait déjà des années. Si maintenant l'ONU s'avère incapable d'assurer ce référendum, alors, on est en droit de dire «à quoi elle sert?» Nous avons, et d'ailleurs, les deux belligérants, accepté le Plan Baker, mais le Maroc a fait un pas en arrière, violant jusqu'à ses engagements internationaux. Quelles sont les perspectives M.le président? Le Conseil de sécurité se réunit ces jours-ci alors on verra ce qui sera décidé. On souhaite que l'ONU se définisse nettement sur cette question qui n'est pas autre chose qu'une question de décolonisation. Il est attendu que l'ONU s'engage fermement sur l'organisation du référendum d'autodétermination et dise enfin au Maroc: «suffis de jouer avec le sort d'un peuple!» Que l'ONU arrête donc les manoeuvres du roi et la fuite en avant de l'agresseur. Maintenant si l'organisation ne fait rien alors le peuple sahraoui et à sa tête le Polisario prendra ses responsabilités. Cependant, nous espérons profondément que l'Organisation des Nations unies mette enfin le holà à cette occupation d'un territoire qui, jamais, n'a été marocain. Vous avez dit Intifadha... Oui , et cela en est une ! Vous savez, on a pris les armes jusqu'en 1991 et le Maroc a été contraint d'admettre l'inanité d'une victoire de ses armées contre notre peuple. La solution de recours au référendum est ensuite venue. Les deux belligérants ont accepté cela, mais après 1996, le Maroc est revenu sur ses engagements ; il essaie de trahir et de gruger les instances internationales et le peuple sahraoui. A bout de patience et, sans recourir à la solution armée, par respect à ses engagements, le peuple sahraoui, notamment dans les territoires occupés et aussi dans les villes et universités marocaines, est sorti en organisant des manifestations pacifiques. Depuis le mois de mai dernier, les Sahraouis ont déclenché une autre forme de combat: c'est l'Intifadha! On ne pouvait rester les bras croisés ! Nos frères réclament le respect des droits de l'homme, l'organisation du référendum d'autodétermination et exigent aussi la reconnaissance du fait national sahraoui. Cette action s'étend dans toutes les régions de notre pays occupé. Nous disons que le peuple suit cette nouvelle politique tracée par le Polisario. M.le président, y a-t-il de la lassitude chez le peuple? Je dois remonter loin dans le temps pour dire que depuis 1844 et ce, jusqu'en 1975 soit près d'un siècle d'occupation espagnole, et après la naissance du Polisario en 1973, nous étions finalement arrivés à la victoire contre l'occupant espagnol. Nous avions alors entrepris des négociations avec l'Espagne et entre-temps, voici un pays que nous pensions frère qui envahit notre territoire. C'était en octobre 1975, et il avait alors carrément opté pour la politique de la terre brûlée. A l'époque, les hauts responsables marocains disaient que ‘' la pacification était l'affaire d'une semaine !'', nous y sommes toujours. Cela fait trente années de lutte et de souffrance, notre peuple compte bien des martyrs, plus de 500 disparus, tous des civils, des femmes, des enfants, des vieillards, 151 prisonniers politiques, des familles divisées, déchirées: une partie dans les camps de réfugiés en Algérie, une autre dans les prisons ou encore disparue... n'est-ce pas une colonisation? Il faut également souligner qu'actuellement, il y a un mur fait par le Maroc qui mobilise 150.000 soldats; ce mur est truffé de mines. Près de 10 millions de ces engins de mort sont semés là par les Marocains. Enfin, il me faut souligner cette féroce répression contre notre peuple qui a fait de notre territoire occupé une vaste prison, sans compter le vol de nos richesses. Aujourd'hui, le Sahara occidental est en fait une vaste caserne secrète marocaine. Le peuple du Sahara doit payer un tribut pour reconquérir sa liberté et nous acceptons ce sort. Ce tribut est celui de la liberté et de la dignité. Alors parler de lassitude me semble exagéré. Nous sommes là et serons toujours là pour réclamer notre liberté. Cela a des conséquences sur la construction du Maghreb ... Oui, bien entendu, cela ne peut qu'avoir de lourdes conséquences. Aujourd'hui, ce vieux rêve des peuples de la région est ... en panne. Nous n'y sommes pour rien, ce ne sont pas les Sahraouis qui occupent et détruisent un pays. Le Maroc en porte l'entière responsabilité. L'Algérie le sait très bien et bien des nations en savent quelque chose. Avez-vous des contacts avec le Maroc officiel? Aucun depuis 1991 et tous nos contacts se faisaient dans le cadre de l'ONU. M.le président, peut-on dire du Polisario qu'il soit toujours fort? Plus fort que jamais, car ce n'est pas un parti comme ceux-là qui n'existent que pour prendre le pouvoir, mais c'est un instrument de lutte. Le Polisario est synonyme de liberté, de dignité. Les Sahraouis qui sont en prison aujourd'hui avec l'Intifadha, les blessés et les disparus, sont ceux qui appartiennent à la génération née après l'envahissement de nos territoires. Cela veut dire que toutes les générations, y compris celles qui manifestent au Sahara occidental, se reconnaissent dans cet instrument de lutte avec pour mission essentielle l'indépendance. Le Polisario est fier de compter sur tout le peuple uni derrière lui.