Notre berbérité, ou notre amazighité, comme il nous plaira de la nommer, est le socle sur lequel s'est bâtie notre identité plurielle. La nier, ou tenter de la réduire à la portion congrue, serait nous renier nous même, en tant que nation et en tant que peuple. Car c'est en elle, la matrice millénaire, le creuset intemporel, que sont venues se fondre les autres flux ethniques qui s'y sont déversés, au fil des siècles. L'apport arabe dans cette matrice berbère, a constitué la confluence et la symbiose des deux principales dimensions de notre identité présente, qui allaient en achever la constitution définitive, à fortiori que celle-ci se fera à l'ombre d'une même religion, l'Islam, qui en sera le ferment fertilisant, et le ciment indissoluble, non seulement en Algérie, mais dans tout le Maghreb, où vivent, même s'ils n'y prospèrent pas comme ils le devraient, les enfants d'un même peuple, dont l'histoire, d'une richesse remarquable, est intimement imbriquée. Les frontières actuelles qui séparent nos pays respectifs, ont toutes été tracées par le crayon du dernier colonisateur, celui qui n'est pas parvenu, malgré des décennies d'occupation de nos terres et d'asservissement de nos peuples, à s'amalgamer à notre identité, même si sa langue, ou ses langues, sont partie intégrante de notre patrimoine, un tribut de guerre, comme l'a si bien dit Kateb Yacine. Certains, parmi nos compatriotes, et surtout parmi ces « dirigeants » qui se sont imposés à nous, ont tentés, et tentent toujours, d'occulter une dimension de notre identité, pourtant omniprésente et inaltérable. Les uns, avec une haine née du reniement de leur propre identité par un régime, tombent dans l'excès inverse, et soutiennent, contre l'évidence historique, qu'il n'y a pas d'arabes dans cette contrée qui est la nôtre, et à laquelle ils refusent même la dénomination de Maghreb, parce que celle-ci, pour eux, porte une connotation arabe. Les autres, arabistes intégraux, à l'instar du Président Ben Bella, hurlent que nous ne sommes que des Arabes, faisant table rase, avec une violence affichée, de notre berbérité. A ces positions irréductibles de bêtise et d'exclusion, sont venues se greffer des considérations, parfois supranationales, parfois issues de forces tapies dans l'antre du régime, qui attisent les feux de la discorde, pour des raisons inavouées, mais dont on devine les sombres desseins. Et ainsi, pendant que les uns et les autres s'étripent par algériens interposés, dans des « conflits ethniques » qui se font de plus en plus fréquents, et de plus en plus violents, nos intellectuels sombrent dans une sorte de repli désabusé. Ils ne veulent plus se mêler de cette question, pourtant cruciale. Il faut signaler cependant, que le régime fait tout et n'importe quoi pour laisser en jachère cette grave question de notre identité. Une situation qui pourrait échapper à tout le monde, et qu'il est pourtant urgent de désamorcer. Avant qu'elle ne devienne le prétexte à des visions irréconciliables. Avant qu'elle ne devienne la cause de clivages infranchissables, et qu'elle ne mène notre nation au chaos, comme cela a été le cas pour des pays dont les peuples ont longtemps cohabité dans la concorde et la cohésion, et qui ont été précipités dans d'atroces guerres civiles. C'est pour éviter que ce conflit latent, non pas entre deux communautés, mais entre deux visions, toutes deux erronées, que nous devons prendre à bras le corps le sujet de notre identité. Reconnaissons qu'il existe dans notre pays des populations berbères et berbérophones qui ont un le droit inaliénable, et même le devoir, et même le mérite, de ne pas laisser leur langue, notre langue, mourir. Le sujet de la langue berbère est trop ardu, trop complexe, pour être traité de façon lapidaire dans ce billet. Mais nous pouvons dire, haut et clair, que la langue berbère est en droit d'attendre de nous qu'elle soit reconnue, promue, qu'elle soit l'objet de recherches scientifiques, d'un objectif d'uniformisation, de façon à en faire une langue nationale, enseignée dans nos écoles. Et d'autre part, pour ne plus laisser le champs libre à tous ces prêcheurs de malheur, qui tentent de distiller au sein de nos compatriotes berbérophones, le venin de la haine de tout ce qui s'apparente à la langue arabe et à l'islam, faisons en sorte de dévoiler l'histoire, telle qu'est s'est réellement déroulée. Pour que tous sachent que l'identité algérienne est définitivement formée, et qu'il ne sera possible à quiconque de la défaire. Les Egyptiens ont une histoire prestigieuse, et leurs ancêtres ont marqué du sceau du génie leur temps et les siècles à venir, mais ils ne répugnent pas à se reconnaître arabes. Ils en sont même très fiers, même s'il n'est plus rentable, de nos jours, de se revendiquer de cette appartenance. L'arabité n'est ni une race, ni même une ethnie, mais une idée et une culture. C'est aussi le cas des Irakiens, des Syriens, des Libanais, des Soudanais, et d'autres peuples encore, dont l'histoire a illuminé l'humanité, et qui pourtant se revendiquent de cette arabité tellement décriée par les hérauts de la haine. Mais malgré cela n'imposons pas à nos compatriotes, dont les vicissitudes de l'histoire ont préservé la berbérité exclusive, une arabité dont ils ne veulent pas. Il ne viendrait à l'idée de personne, en France, d'exiger des Corses, qu'ils se reconnaissent Gaulois. Et de la même manière, n'imposons pas à nos compatriotes dont les vicissitudes, les hasards, où les pérégrinations de leurs ancêtres, ont fait en sorte qu'ils restent exclusivement arabes, de se reconnaître berbères. Il suffit que nous admettions que nous pouvons nous revendiquer de notre berbérité ou de notre arabité, ou des deux à la fois, mais de comprendre nos autres compatriotes qui ne se rangent que dans l'une ou l'autre de nos deux identités. Avec le temps, l'algérianité en sortira grandie, parce qu'elle se sera accommodée, avec bienveillance, de l'identité profonde des habitants de ce pays, dans leur diversité, dans leur harmonieuse mosaïque. Encore que ce mot évoque des réminiscences équivoques. Pour le reste, si nous nous engageons résolument dans la reconnaissance de notre diversité, le temps fera œuvre utile. Jusqu'au jour où, riches d'eux mêmes et de leur tolérance les uns pour les autres, nos enfants, ceux du Grand Maghreb enfin accompli, et enfin uni, porteront le passé de leurs ancêtres au pinacle de leur histoire.