El Watan, 16 juillet 2010 Eté 2010. Sidi Salem est une contrée triste. Dès que le visiteur y pénètre, il découvre un paysage de désolation. Ordures jetées pêle-mêle, routes éventrées, pylônes électriques à même le sol, quartiers insalubres et commerce informel dans tous les coins de rue. Pourtant, Sidi Salem, qui porte le nom d'un marabout ayant laissé ses empreintes dans l'histoire de Annaba tels que Sidi Brahim et Abou Merouane, a servi de cadre à l'ouverture officielle de la saison estivale 2010 à partir de sa magnifique plage devenue ces derniers temps un lieu privilégié des candidats à l'émigration clandestine. Après les événements des dernières semaines (voir ci-contre), l'Etat a voulu calmer la situation en invitant les habitants de la SAS à arborer l'emblème national sur leurs habitations. Dans cette entreprise à caractère national, c'est les Scouts musulmans algériens qui s'en sont occupés en distribuant à chaque famille un drapeau symbolisant leur appartenance à la République. Dans cette cité bidonville, tous les facteurs étaient depuis longtemps réunis pour l'expression d'un ras-le-bol poussé à l'extrême par la malvie et l'apparente indifférence affichée par les autorités locales aux appels de détresse de cette population. Passeurs « J'habite cette cité depuis une cinquantaine d'années. De grand bidonville constitué de baraques, Sidi Salem est devenu un ghetto construit en dur. La situation empire, témoigne Zahouane Ali, un des habitants de cette cité. Nous ne savons plus à quelle porte frapper pour faire entendre nos appels. Chômage, drogue et violence caractérisent le quotidien de nos jeunes. Les plus sages pratiquent la pêche avec leurs propres moyens. Ce qui leur permet quelques menus revenus. » Située à 6 kilomètres du chef-lieu de wilaya, Sidi Salem, 48 années après l'indépendance, porte toujours les stigmates de la période coloniale. Eté comme hiver, les quelque 3000 familles qui y habitent, la majorité depuis plus d'une cinquantaine d'années, vivent dans la misère, les pieds dans l'eau ou dans une boue sale et nauséabonde et au contact des maladies. Au milieu d'anciennes habitations du « bloc 1000 » héritées du sinistre SAS de l'armée coloniale, de nouveaux logements ont été réalisés, certains il y a plus d'une décennie. D'autres ont été réceptionnés durant les années 2000. « Durant la guerre de Libération, malgré les exactions quotidiennes commises par l'armée française, Sidi Salem avait été une grande pépinière des moudjahidine. A partir du début des années 1990, il s'est transformé en un terreau de l'islamisme extrémiste », atteste un ancien moudjahid, Ami Ali comme aiment l'appeler les habitants du quartier la SAS. C'est également un bidonville, un pâté de baraques, un labyrinthe à l'ombre duquel se sont développés la délinquance, la prostitution, le trafic et la consommation de drogue et surtout le phénomène des harraga. En effet, la première expédition de harraga a été « inaugurée » à la plage de Sidi Salem. C'était la soirée du 31 décembre 2006 où une centaine de jeunes avaient pris la mer à bord de plusieurs embarcations artisanales à destination de la rive nord de la Méditerranée. Depuis, des opérations similaires plus soutenues se succèdent jusqu'au jour d'aujourd'hui. « La pêche ne nourrit plus son homme. Je loue une à deux fois/an ma felouque à des passeurs en contrepartie de 200 000 DA le voyage, assorti d'une caution de 500 000 DA pour assurer son retour sinon j'achète une autre. Cela me permet de respirer en période de vaches maigres. La pollution maritime a fait fuir le poisson et nos filets sont souvent vides », témoigne sous le couvert de l'anonymat un pêcheur quinquagénaire habitant la SAS de Sidi Salem. Affairisme Il a également abordé le problème épineux du logement en indiquant que « la réalisation de plusieurs centaines de logements sociaux et leur attribution grâce à des opérations improvisées ou de conjoncture n'ont rien changé. A chaque fois que des jeunes se marient ce sont des noms qui se greffent à la longue liste des demandeurs ». Pour les superstitieux, Sidi Salem est un lieu maudit. Même si elle dispose d'une interminable plage, un atout incontournable de développement touristique, aucun projet n'a réussi de la faire hisser au niveau des autres cités de la wilaya. Le projet qui consistait à faire de Sidi Salem le deuxième plus important centre urbain de la wilaya n'a pas dépassé le stade de l'amélioration urbaine. Il devait être concrétisé à partir de l'an 2000 au lendemain de la visite de travail et d'inspection du président de la République qui avait inauguré le site. « Les concepteurs avaient beau fixer de nouvelles règles d'urbanisme, préciser les caractéristiques techniques des logements sociaux, infrastructures d'accompagnement et des espaces verts à réaliser. Il fallait compter sans la corruption, l'affairisme et les luttes d'intérêts de certains décideurs, accuse Hakima, une habitante de Sidi Salem, architecte. Des bâtiments RDC + 4 avec des F2 et F3 ont été réalisés sur un terrain sablonneux et sans balcon. Très mal entretenues les conduites d'évacuation des eaux usées, placées sous le niveau de la mer, sont inopérantes. Quant aux logements évolutifs, les règles techniques de construction ont été bafouées. La tornade de septembre et les intempéries de décembre 2003 ont mis à nu toutes les imperfections et les malfaçons. » Complexe hôtelier A Sidi Salem, Sidar, un promoteur saoudien, devait lancer en 2007 les travaux d'un village touristique doté de moyens de détente et de loisirs à même de pourvoir les capacités d'accueil de la ville de quelque 1200 lits supplémentaires. Une aubaine pour cette pauvre cité qui souffre énormément du chômage. Ce projet devait être suivi d'un autre dans cette même cité portant sur la réalisation d'un complexe hôtelier haut standing en bordure de mer. Ces projets devaient créer, selon leur fiche technique, pas moins de 4000 postes de travail directs et 8000 indirects. La décision d'annulation de ce projet est politique. Elle serait motivée par le non-respect par le promoteur immobilier saoudien des clauses contractuelles, notamment celles liées au prix au dinar symbolique des assiettes de terrain et aux délais de réalisation. En 2010, Sidi Salem est toujours ce bidonville sale et crasseux. C'est une base arrière de délinquants, de repris de justice et même d'extrémistes. La situation s'est, davantage, dégradée pour devenir invivable. Les faits : Le 20 juin dernier, des manifestations ont secoué la cité de Sidi Salem, dans la banlieue de Annaba. Ces mouvements de protestation sont le résultat d'une situation de laisser aller flagrant dans la gestion du quotidien des citoyens de cette localité. Durant plusieurs jours, des centaines de pères, mères et enfants ont occupé la voie publique, dressé des barrages sur l'autoroute Annaba-El Tarf, racketté les automobilistes et s'étaient opposés à l'intervention de la brigade antiémeute. Ils exprimaient ainsi leur colère longtemps contenue et exacerbée par un problème récurrent de logements. Bilan : une vingtaine de policiers victimes de jets de pierres, de cocktails Molotov et des perturbations de la circulation entre Annaba et l'aéroport Rabah Bitat. Le procès : 18 des manifestants interpellés lors des échauffourées ont été traduits devant le juge d'instruction près le tribunal d'El Hadjar. Ils seront rejoints par 18 autres émeutiers. Cette fois-ci, les accusations sont jugées graves. Il s'agit, selon l'arrêt de renvoi de leur affaire, d'une atteinte à l'emblème national. A ce grief, vient s'ajouter un autre jugé plus grave. Les mis en cause sont accusés également d'avoir déployé le drapeau français en pleine manifestation. Photographiés par les services de sécurités, ils seront arrêtés un à un, chez eux. La peine : Les 18 premiers ont été condamnés à des peines de 4 à 5 ans de prison ferme. Les 4 mineurs placés sous mandat de dépôt dans la même affaire, ont été mis sous l'autorité du juge des mineurs. D'autres se sont vus infliger des peines allant de 2 à 8 ans de prison ferme. La justice a ainsi frappé de manière sévère ses justiciables accusés d'acte antinational à tel point qu'ils se sont mis en grève de la faim pour exprimer leur rejet des condamnations.