La principale fonction du cerveau chez certains, comme moi, est de dire des bêtises. Normal puisque sans mémoire le cerveau n'arrive plus à faire de liens. L'un des doyens de nos juristes nous dit combien la fonction de la mémoire est dévoyée. En effet au lieu que nous utilisions notre mémoire pour oublier nous allons à contre courant de sa fonction essentielle et nous essayons d'apprendre et de comprendre alors qu'il est plus simple d'oublier et de laisser filer. D'oublier et de mourir. Triste cheminement de la pensée, privée de mémoire chez ce monsieur, qui lui fait dire des choses pleines de gué-guerre contre la rigueur. Epoustouflant ! Normal puisqu'il est juriste et qu'il est admis que la démarche intellectuelle des juristes est connue pour être rigoureuse. Comme nous sommes condamnés à l'oubli, nous ne pouvons donc être tenus pour responsables de nos écarts, car sitôt commis ils seront oubliés, ni même d'ailleurs à priori les déceler puisque nous aurons oublié leur caractère illicite. Il serait donc normal de balancer un pavé dans la direction de la source de toute insanité, pour ensuite oublier totalement ce geste. Mais pourrions nous le faire ? Il faudrait pour ça que son raisonnement soit juste. Le référendum dont il est question et qui s'est déroulé dans des conditions de terrorisme et de lois d'urgence, ne peut asseoir une réconciliation véritable, dans la mesure ou le peuple se trouvait dans une situation qu'on peut assimiler en droit à l'état de contrainte, non susceptible quant il s'agit de contrats, d'asseoir de responsabilité et rend le contrat caduque. Un référendum de ce type ne peut être valable que dans une conjoncture de paix où l'électeur ne se sent pas menacé et donne son avis en son âme et conscience, loin de toute pression terroriste, loin de toute contrainte, certain que la réconciliation qu'on lui réclame ne lui soutire pas des consentements qu'il peut refuser sans en payer le prix fort mais qu'il ne peut refuser car il a peur. Tout cela notre cher maitre doit le dire en apparté, en tout cas il le sait. Mais s'il développe les thèses de la fonction d'oubli de la mémoire qu'il érige en bon docteur de la loi en système de gouvernance, puisqu'il n'est pas médecin, c'est que si cette fonction n'est pas enclenchée chez le peuple, s'il arrive un accident et que les mécanismes mis pour son activation cessent de fonctionner, il risque avec ses pairs et ses compères d'en payer le prix. Voila pourquoi il souhaite que l'oubli soit la fonction essentielle du cerveau. S'il le pouvait, il conforterait cette idée en droit et créerait une doctrine complexe, justifiant de lobotomiser tous ceux qui ont encore une mémoire intacte. Car pour lui et ses semblables, le danger d'une mémoire persistante est qu'au bout d'un temps, elle se réorganise et permet à l'intelligence de faire des relations, de tirer des conclusions, d'agir sur la volonté pour l'engager à une action. Or, lui ne veut surtout pas d'une action que cette mémoire agissante peut déclencher.