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La société algérienne et ses élites
Publié dans Le Quotidien d'Algérie le 07 - 09 - 2010

Cette semaine, il a été beaucoup question des élites, sur LQA. N'étant pas armé intellectuellement pour aborder un sujet aussi complexe sous un angle scientifique, j'aimerais quand même donner mon point de vue sur la question, le point de vue d'un Algérien ordinaire qui essaie de théoriser son expérience personnelle et ses observations.
En 2010, une société capitaliste (forcément moderne) est une machine à produire des marchandises compétitives sur le marché mondial où la concurrence devient de jour en jour beaucoup plus rude. Cette tâche mobilise toute la population du pays. Il y a, bien sûr, la masse des producteurs de base – le fameux prolétariat de Marx –, mais il y a aussi une armée de techniciens, ingénieurs, savants, inventeurs, économistes, managers, etc. Il y a aussi la classe politique et les intellectuels (philosophes, sociologues, etc.), qui veillent au bon fonctionnement de l'ensemble et essaient de prévenir les crises, d'opérer les correctifs nécessaires en cas de dysfonctionnement et éventuellement de faire passer la pilule, lorsque celle-ci est particulièrement amère. Il y a les médias et les artistes qui veillent à maintenir un bon moral et à divertir la population après une dure journée de travail. Une belle machinerie, en somme, malgré les dégâts «collatéraux». Il est clair, et il n'est pas besoin d'être grand clerc pour le comprendre, que cette société ne peut fonctionner et rester compétitive qu'en faisant la promotion – j'allais dire l'élevage – du talent et du génie créatif dans tous les domaines. Les grandes écoles ont pour rôle principal de former l'élite qui prendra les commandes du pays afin de le maintenir toujours dans le peloton de tête. Dans une telle société, l'armée ne peut avoir qu'un rôle purement militaire : défendre le territoire ou agir à l'extérieur afin de sécuriser des sources d'approvisionnement ou des marchés. C'est un instrument parmi d'autres entre les mains des élites civiles qui dirigent le pays.
L'Algérie a commencé à exister en tant que nation, dans ses frontières actuelles, après l'occupation turque. A cette époque, c'était une société agraire traditionnelle. Dans ce type de sociétés – qui s'opposent aux sociétés industrielles modernes –, la production agricole est la principale source de richesses. La Régence d'Alger pratiquait aussi la course en Méditerranée, dont elle tirait des profits substantiels, mais les janissaires turcs faisaient régulièrement la tournée des campagnes afin de prélever l'impôt sur les paysans et éleveurs autochtones. Dans cette société traditionnelle, les élites étaient de deux sortes : guerrières ou religieuses. Autrement dit, pour compter dans la société et espérer avoir un rôle dirigeant, c'est-à-dire conduire la masse des producteurs, il fallait être un chef militaire courageux qui manie l'épée avec brio ou un homme de religion qui connaît le Coran, le Hadith et la Chariàa, et qui sert de guide spirituel et de juge. Les familles maraboutiques et autres grandes tentes servaient donc de relais entre le pouvoir central turc et la population autochtone pourvoyeuse de richesses.
La colonisation française ayant amené avec elle les structures de production capitalistes n'avait d'autre rôle pour les Algériens – les indigènes s'entend – que celui de «génocidés» par le fusil, la faim, la maladie et la misère ou celui de main d'œuvre taillable et corvéable à merci. Le plus chanceux d'entre nos ancêtres avait un emploi stable en tant qu'ouvrier agricole dans la ferme du colon local, emploi qui lui permettait de ne pas mourir de faim. Le dernier souci de cette colonisation était de promouvoir les élites indigènes. Les élites traditionnelles, quant à elles, seront utilisées au début par l'administration coloniale, mais une fois la colonisation bien implantée, leur rôle deviendra secondaire, les structures tribales ayant été cassées par la machine de production capitaliste. Les vraies élites qui dirigeaient le pays se recrutaient parmi la population européenne. Bien sûr, il y eut quelques pharmaciens, instituteurs et autres médecins indigènes, formés plus pour avoir bonne conscience et répondre aux détracteurs du système colonial en métropole que pour permettre aux fils des ouvriers agricoles saisonniers d'entrer en compétition avec les enfants de leurs maitres.
Les maigres élites indigènes formées au compte-goutte eurent quand même le courage de monter â l'assaut de la citadelle coloniale. Les plus résolus d'entre ces diplômés, pas forcément les plus instruits, finirent par prendre la tête du mouvement nationaliste et déclenchèrent l'insurrection qui devait mener à l'indépendance du pays et marquer la fin du système colonial en Algérie.
En 1962, comme chacun le sait, la devise fut : «tag 3la men tag». Les Ferhat Abbas, Benkhedda et leurs alliés – la crème de la crème de l'époque – utilisés un temps par les chefs militaires de la révolution pour diriger le Gouvernement Provisoire, ne pesèrent pas lourd, une fois l'indépendance acquise, face à ces derniers, autrement plus redoutables, tout comme leurs ancêtres de l'époque turque. Ce qu'il advint de l'Algérie, dans les décennies qui suivirent, est connu. Le point qui mérite d'être souligné, cependant, est la nouveauté du système mis en place, qui n'était ni le système traditionnel turc, ni le système capitaliste colonial. C'était un système dictatorial rentier : un colonel mégalomane, disposant d'un trésor inépuisable (le pétrole et le gaz) et d'une armée docile secondée par une police politique féroce et un appareil de propagande bien rôdé, s'amusa jusqu'à sa mort à remodeler la société algérienne selon ses fantasmes, détruisant systématiquement tout ce qui fonctionnait, pour le remplacer par des créations monstrueuses dont le peuple algérien découvrit progressivement la nocivité.
Ce système rentier n'avait besoin que de larbins et autres porte-voix du chef incontesté et génial. Des ingénieurs et des techniciens, il en fut formé certes et de très bonne qualité entre 1962 et 1978 – date de la disparition prématurée du raïs – , la majorité des enseignants de l'époque étant constituée de coopérants français venus de l'ancienne métropole, dont beaucoup se dévouaient à leur tâche. Mais que devinrent-ils, une fois leur diplôme en poche – et je parle en connaissance de cause, étant moi-même ingénieur de la promotion 76? Ils furent systématiquement stockés dans des bureaux par des ministres et autres PDG formés à l'école de la révolution (celle du FLN), c'est-à-dire quasi analphabètes. Quelques intellectuels talentueux résistèrent à la main mise progressive de l'appareil du FLN et de la SM sur tous les secteurs, mais ils furent rapidement réduits au silence. Le système dictatorial rentier de Boumédiène n'avait pas besoin d'élites pour fonctionner, ou du moins ses seules élites étaient celles de l'armée et de la police politique. Tous les autres n'étaient que des diplômés qui devaient se plier à ses lubies ou disparaître.
Après la mort de Boumédiène, la perversion du système s'aggrava. C'était toujours une dictature militaire rentière, mais cette fois livrée à tous les parvenus sans scrupules que la logique de fonctionnement du pouvoir avait promus aux postes de commande. Les élites, c'était chadli, belkheir, toufiq, lamari et autres militaires du même acabit. Même un Kasdi Merbah, pourtant pur produit du système boumédièniste, s'avéra trop qualifié pour les nouveaux dirigeants. Car c'est cela la vérité de ces années-là (et d'aujourd'hui) : il faut être un hchicha talba m3icha, un khobziste, pour survivre, car le système dictatorial rentier n'a pas besoin de mkhakh – il n'en a que faire.
Voilà donc ce qu'était devenue l'Algérie après moins de vingt ans de règne sans partage des colonels : un système qui tourne à vide, si l'on excepte le secteur des hydrocarbures, poule aux œufs d'or du pouvoir en place. Le chadlisme, médiocratie prédatrice institutionnalisée, fit encore plus de ravages puisqu'il largua les couches les plus démunies à partir de 1985, laminant la fragile classe moyenne qui avait survécu difficilement jusque là, ne se faisant aucune illusion, mais essayant quand même d'arracher quelques avantages acquis au prix de maintes compromissions : un petit logement dans une cité dortoir, un bon Sonacome qui donne droit à une Rytmo ou une Passat neuve…
Et c'est là que, resurgi du fin fond de l'histoire, l'imam, que le chef militaire avait réduit au silence – la SM étant plus efficace que la mosquée pour maintenir la paix sociale – reprit du service, mobilisant cette fois tout le lumpen prolétariat des villes et les nouveaux diplômés bloqués par un système qui n'en avait que faire. Ce même système, surtout du temps de Boumédiène dans sa folie mégalomaniaque, les avait formés par dizaines de milliers, et pour certains bernés par une arabisation hâtive, pour devenir des chômeurs de luxe professionnels. L'imam et le guerrier, jadis alliés dans la conquête du pouvoir et sa conservation, devinrent dans le système dictatorial rentier algérien, véritable monstruosité du 20ème siècle, des ennemis acharnés. Un combat à mort s'engagea entre eux, dont on connaît le prix payé par notre pays. Je ne parle pas ici de la religion en tant que spiritualité, que ce soit l'islam ou le christianisme, instaurés par des prophètes dont le souci n'était pas la conquête du pouvoir, mais la réforme de la société. Je parle de la religion en tant qu'elle est utilisée par ceux qui veulent conquérir le pouvoir et gouverner dans la paix sociale. La religion a été à ce titre un instrument très efficace, donnant des résultats magnifiques lorsqu'elle était utilisée par des leaders éclairés, mais menant à la catastrophe lorsque le but poursuivi faisait oublier l'aspect spirituel pour ne montrer que le pouvoir de régenter et de modeler les masses selon son bon vouloir.
Voilà donc la société algérienne et ses élites. Mais peut-on parler d'élites dans un pareil système? Bien sûr, tout n'est pas noir dans ce tableau, car il y a fort heureusement des exceptions. Les Addi , Sidhoum, Benchenouf, Azzouz, Si Mozrag ou Samraoui, pour n'en citer que quelques uns parmi ceux qui font LQA ou y interviennent régulièrement, nous font honneur et nous donnent de l'espoir. Mais à quel prix ont-ils conservé leur indépendance vis-à-vis du pouvoir? L'exil ou le harcèlement permanent par la police politique et la stagnation dans la carrière professionnelle. Car ce pouvoir ne tolère que les larbins. Toute Algérienne, tout Algérien honnête qui veut jouer un rôle dans la société – faire partie de l'élite en somme – se doit de rester loin de ce pouvoir. Dès qu'il s'en rapproche, il est irrémédiablement aspiré et contaminé par la médiocrité et la pourriture qui y règnent. Se plier ou disparaitre, telle est la règle du jeu dans ce système monstrueux. Quelle élite peut survivre dans un environnement aussi hostile?
Ce système est un broyeur. Il ne peut que broyer sans pitié tous les esprits talentueux car ils constituent une menace pour lui. Il redoute par-dessus tout ceux qui sont compétents, car ils dévoilent toutes ses insuffisances et ses tares. Il ne veut pas produire à moindre coût. Il ne veut pas d'une production nationale. Tout ce dont il a besoin – nourrir la population et mettre en place les infrastructures de base minimales, routes, écoles, logements, hôpitaux, etc. – il peut l'acheter à l'étranger ou le faire réaliser clés en mains par des entreprises chinoises. Il va sans dire que les généraux algériens ne font pas cela dans le but de faire le bonheur du peuple algérien, mais pour maintenir la paix sociale et continuer à profiter de la rente et à se prélasser dans le luxe tout en surveillant leurs comptes en banque bien garnis en Suisse.
Ce système monstrueux a ruiné l'Algérie sur le plan culturel et moral encore plus que sur le plan économique. La masse souffre en silence sans pouvoir compter sur qui que ce soit pour la libérer car, à la différence du système colonial, le pouvoir des généraux algériens n'obéit même pas à la logique économique capitaliste. Il ne sait créer que la médiocrité et ne fait la promotion que des larbins, dans tous les domaines.
Où se trouve l'espoir, donc? Aussi ténues soient-elles, quelques petites lumières commencent à poindre. Elles s'appellent LQA ou Rashad. Des Algériennes et des Algériens, de plus en plus nombreux, viennent quotidiennement s'y désintoxiquer en lisant les contributions de leurs compatriotes et en dialoguant sincèrement entre eux. C'est là que se trouve l'élite qui libèrera le pays, pas ailleurs. Il faut continuer dans cette voie, jusqu'à ce que les petites lumières deviennent un grand feu, un immense brasier qui brûlera toute la pourriture.


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