En marge du colloque international « Penser la ville », Abdelkader Lakjaâ, sociologue à l'université d'Oran, s'est confié à El Watan, expliquant les ambitions du colloque et les perspectives de la question urbaine du point de vue des chercheurs. Qu'est-ce qui a motivé l'organisation de ce colloque ? Et pourquoi la ville de Khenchela ? L'organisation du colloque sur les villes s'explique par la nécessité de faire le point sur la question urbaine en Algérie et cela sous différents angles : sociologique, anthropologique, historique, psychologique, géographique, architectural, urbanistique, politique, économique... et là, il me faut avouer l'absence d'autres points de vue comme celui du juriste par exemple mais aussi celui du psychiatre. Notre objectif a consisté à croiser les regards et à amener les spécialistes des différentes disciplines à s'écouter, à se contredire, à s'entendre et enfin à produire collectivement un certain nombre d'idées. Je ne pense pas faire preuve d'un optimisme béat, en disant qu'effectivement nous avons assisté à des communications et peut-être surtout à des débats qui contribuent à la consolidation d'un travail de renouvellement de la problématique urbaine en Algérie. Je cite, à ce propos, l'exemple de la nécessité de théoriser l'expérience propre à l'Algérie en matière d'urbanisation informelle, ou encore l'idée qui consiste à relier le processus d'urbanisation à celui d'individuation, même s'il a été précisé que cette individuation se trouve contrariée comme le montre la montée du suicide, du divorce, l'extension du phénomène de la harga, l'accroissement du nombre des filles-mères et des malades mentaux... Autre motif qui a milité pour l'organisation de ce colloque, est bien celui de la nécessité de regrouper, sous une forme ou une autre, tous ceux et celles qui travaillent sur la question urbaine en Algérie et à ce propos, il a été question de la mise sur pied d'un réseau national pour lequel la réflexion est lancée. Alors, pourquoi Khenchela ? Il me semble que les raisons qui ont conduit à la tenue de ce colloque sont essentiellement au nombre de deux : tout d'abord il y a eu une offre émanant du centre universitaire de Khenchela et ce, en vue de lancer une nouvelle formation autour des nouveaux métiers de la ville et la deuxième raison est que les membres du comité scientifique ont « marché » parce qu'ils ont voulu signifier par ce choix que la question urbaine en Algérie, ce n'est plus seulement Oran, Alger, Constantine, et encore moins les capitales occidentales. Par ce choix, il a été montré concrètement que la réflexion sur les villes algériennes peut être décentrée et réfléchie à partir de l'Algérie profonde. C'est là le sens de ce qui a été répété durant les deux ou trois jours de colloque : que la réflexion sur la question urbaine s'empare des villes réelles comme cadre de la vie réelle et non plus seulement de la ville planifiée ou programmée ou même la ville idéale qui n'a jamais existé... Je note aussi que c'est à travers la question urbaine que la société réelle se révèle relativement le mieux mais à condition, bien sûr, qu'on ne procède pas par raccourcis en réduisant la question urbaine à la seule question de l'habitat... Au-delà des conclusions théoriques, ce type de rencontres peut-il livrer des solutions pratiques ? Je pense que même s'il y a eu des conclusions théoriques, il est vraiment trop tôt pour pouvoir parler de livraison de solutions pratiques, pour la simple raison qu'il faut encore et encore multiplier et diversifier les travaux empiriques et l'accumulation de données, sans lesquelles aucune théorisation ne serait pertinente. En fait, je pense qu'il nous faut parler en termes d'accumulation primitive au sens où l'entend Marx et sans laquelle la reproduction du capital n'aurait pas été possible. En science et particulièrement en sciences sociales cela est vraiment de la plus haute importance. J'avoue que votre question me rappelle la position épistémologique et donc philosophique d'Emile Durkheim à propos de la sociologie lorsqu'il notait que celle-ci « ne mériterait pas une seule heure de peine, si elle n'avait pas d'utilité publique ». Dans les sciences sociales, le parcours du scientifique producteur de connaissances est plus long qu'on ne le pense et cela est d'autant plus vrai pour la société algérienne... A la lumière de ce qui a été présenté, avez-vous une meilleure lecture de l'état de la ville algérienne aujourd'hui ? A la fin d'un colloque de deux ou trois jours comme celui-ci, ce n'est sûrement pas la lecture de l'état des villes algériennes qui se trouve plus aisée mais beaucoup plus la manière d'aborder la question par les différents chercheurs, qui ont à faire à différentes expériences urbaines historiques et sociales et s'il peut être permis de parler d'un avancement c'est sur le plan du renouvellement et de l'enrichissement de la problématique urbaine, selon les différents points de vue adoptés selon telle ou telle discipline en sciences sociales. Vous avez assisté sûrement à l'échange très vif et serré entre un sociologue et une historienne lorsqu'il a été question de tradition et de modernité, comme vous avez aussi relevé, je suppose, qu'il a été question de périphéries comme laboratoires d'expérimentation de nouvelles manières d'être, de penser et de faire ou de refaire la ville en Algérie. Au risque de décevoir, je dirais que s'il y a eu à la fin du colloque une meilleure lecture de l'état des villes algériennes, c'est essentiellement une relative meilleure lecture de la complexification de la question urbaine que nous avons enregistrée à la fin de ce colloque et cela est déjà un énorme progrès que nous engrangeons. Croyez-vous qu'au niveau politique, il existe une volonté d'impliquer l'université dans la conception, la création et la gestion de la ville ? Je pense que l'université algérienne, en dépit de toutes ses tares, renferme quelques îlots de réflexion nouvelle et pertinente qui ne demandent qu'à être repérés et encouragés. Il en va de même pour la question des villes. D'autre part, c'est aussi à l'universitaire de faire entendre d'une manière ou d'une autre son son de cloche. Il y va de l'implication de l'universitaire comme de la liberté : cela ne se donne pas mais cela s'arrache par le travail de recherches productif de connaissances pertinentes sur la société. En parlant d'approches comparatives, quel est le rapport de niveau entre les travaux des chercheurs nationaux et ceux exerçant dans les universités occidentales ? Je pense que le problème de niveau entre chercheurs nationaux et occidentaux est largement dépassé, si l'on entend par chercheurs nationaux ceux qui travaillent sur la société algérienne réelle avec ses villes réelles. Dans le cas de la question urbaine, et à ce propos, je rappelle que la recherche scientifique n'a pas de nationalité dans la mesure où il s'agit toujours de réfléchir d'abord sur le local si on veut prétendre à contribuer à la réflexion universelle. Par approches comparatives et en ayant retenu des communications de chercheurs suisses, français, mexicains et bien sûr celles proposées par des chercheurs algériens, notre objectif consistait à rappeler à certains que les villes algériennes sont des villes comme les autres et, de ce point de vue, elles méritent d'être comparées aux autres villes étrangères. Par exemple, on a eu droit à la comparaison entre la ville de Aïn Sefra et la ville française de Roubaix, comme nous avons suivi une communication sur les villes espagnoles du XIXe siècle sous l'angle des défaillances de la gestion des espaces urbains, mais aussi une communication sur la comparaison entre les rapports des femmes algériennes à l'espace résidentiel et les rapports des femmes immigrées en France à ces mêmes espaces, en termes de chambre à coucher, chambre d'enfant, séjour... Le sujet intéresse aussi plusieurs disciplines scientifiques... Et c'est là tout le sens de la démarche comparative comme je l'ai dit plus haut, dans le sens où la ville ou même la question urbaine n'est plus la question d'une seule discipline. Une des séances en atelier a été entièrement consacrée aux villes du Sud : réalité des ksour, dimension spirituelle, nouvelles réalités urbaines de ces villes où selon Marc Côte l'urbanisation était déjà, depuis les résultats du RGPH 1987, plus rapide et plus intense que dans les villes du Nord en Algérie. Un mot pour la fin… Le mot de la fin revient de droit aux participants et peut-être surtout aux jeunes chercheurs et autres doctorants et tous les étudiants de Khenchela qui y ont participé durant les trois jours. Mais je souhaite sincèrement que ce colloque soit de nature à marquer un moment fort dans la recherche sur la question urbaine en Algérie. Je dis cela parce que je suis convaincu, à la fin des travaux, que la manière dont ont été posés ou abordés les problèmes des villes algériennes est relativement nouvelle et suggestive. Et cela n'est pas dû à la seule volonté des organisateurs ou ceux qui ont assumé la responsabilité scientifique de ce colloque, mais simplement au fait que la société algérienne, à l'instar de l'humanité, ne se pose que les problèmes qu'elle peut résoudre.