Argentine : l'ex-dictateur Videla, un prisonnier sans remords Par Pierre Bratschi | Tribune des droits humains | 18/10/2010 | 12H12 (De Cordoba) Condamné à perpétuité, gracié, puis assigné à résidence, l'ex-chef de la junte argentine entre 1976 et 1983, Jorge Videla, comparaît à nouveau devant la justice. Il invoque toujours le combat contre la subversion pour justifier les crimes de sa dictature. Face aux médias, le greffier du tribunal de Cordoba reste perplexe : « L'attitude de Videla est étrange : il est là, sans l'être vraiment. On dirait un fantôme. Il a même l'air surpris de ce qu'il entend au procès, comme s'il n'était pas coupable de tout ce qui s'est passé. » Condamné à perpétuité en 1985, puis gracié en 1990 par le président Menem suite à la promulgation de la loi d'amnistie, Jorge Rafael Videla a été arrêté et assigné à résidence en 1998 pour enlèvement d'enfants. La loi d'amnistie ayant été jugée inconstitutionnelle en 2005, le général argentin a été remis en prison. C'est dans une cellule de deux mètres sur trois, avec un lit, une table et des toilettes, que l'ex-dictateur attend son jugement pour l'assassinat de 31 prisonniers politiques et de 5 policiers suspectés de subversion un mois après le coup d'Etat en 1976. Et ce alors que d'autres procès l'attendent. Un gardien de la prison de haute sécurité de Bouwer, près de Cordoba, précise : « Il se comporte très correctement, il est éduqué et respectueux avec les autres prisonniers. Il ne gêne personne, je l'ai même vu balayer sa cellule. » Pour autant, l'ancien chef d'une junte responsable de 30 000 disparitions forcées entre 1976 et 1983 n'a rien d'un repenti. Si le personnage joue profil bas, son discours n'a pas changé. Après vingt-cinq ans de silence, et sans le moindre indice de remords, il revendique encore et toujours la répression, déclarant à son procès : « Nous avons peut-être été cruels, mais jamais sadiques. J'assume pleinement ma responsabilité concernant l'action de l'armée pendant la guerre contre la subversion. Etant seul responsable, il est donc illégal de priver mes subordonnés de leur liberté. » Rendre justice Le procès de l'ex-dictateur ne paraît toutefois guère passionner les Argentins. La presse le suit de loin, et une partie au moins de la société civile semble vouloir tourner la page. Pour de nombreuses associations, il est plus important de se projeter dans le futur que de remuer le passé. Mais pour les militants des droits de l'homme − notamment, les Mères de la place de Mai − il faut que la justice passe pour envisager un avenir serein. Quant au gouvernement, qui se pose volontiers en champion de la défense des libertés, il est en fait embarrassé par ce procès. La présidente Cristina Kirchner (dont le mari et ancien président Nestor Kirchner a annulé les lois d'amnistie en 2005) a, par exemple, éludé le sujet lors du traditionnel repas de la camaraderie des forces armées, sorte de réunion annuelle entre le pouvoir et ses militaires. « J'ai déjà souvent mentionné les pages glorieuses de notre armée, et les moins glorieuses », a-t-elle seulement concédé face aux diverses périodes de dictature qu'a connues le pays au cours du XXe siècle. Pour les militaires, la réapparition sur le devant de la scène de Videla « est une affaire de la justice. Près de 98% des militaires n'ont absolument rien à voir avec ça », a déclaré un haut gradé lors du même repas. Et pourtant. Bien des tortionnaires et des cadres de l'armée, alors aux ordres de Videla, ne sont pas inquiétés et touchent leur pension, suscitant rancœur et incompréhension parmi la population. Endormi sur sa chaise Pendant ce temps à la prison de haute sécurité, l'épouse et deux des sept enfants de Jorge Videla viennent régulièrement lui rendre visite. Ses médicaments pour soigner son cancer de la prostate arrivent une fois par semaine, et il va ponctuellement voir l'aumônier en attendant le verdict, qui doit être prononcé à la fin de l'année. « C'est vrai que ce n'est pas un prisonnier comme les autres, mais il est soumis au même traitement », assure un employé de la prison, tout en ajoutant qu'il avait droit de temps en temps à un régime spécial dicté par les médecins. Version contredite immédiatement par des détenus : « Quoi ? Nous sommes tous égaux ? Vous n'y pensez pas. Lui et ses acolytes mangent du poulet et d'autres de bons menus, alors que nous, nous avons droit à une espèce de soupe avec quelques pâtes qui flottent en surface. » Après avoir fait sa déposition mi-septembre, Jorge Videla, 85 ans, a décidé de ne plus se présenter devant ses juges, comme la loi l'y autorise. Cela lui évitera peut-être de faire la une des journaux, comme ce fut le cas lors de l'audition des témoins : il s'était alors endormi sur sa chaise. Photo : Jorge Videla entouré d'anciens officiers de l'armée argentine, lors de leur procès, le 22 juillet 2010 (Marcos Brindicci/Reuters). En partenariat avec La Tribune des droits humains