Je crois que nous tenons le coup, comme on dit, et que nous persévérons dans notre opposition à ce régime qui a fait de nous de ce que nous sommes devenus, uniquement parce que nous refusons de voir l'affreuse réalité, comme elle est. En vérité, la situation est beaucoup plus grave qu'on ne veut le reconnaitre. L'atroce difficulté, en effet, ne se trouve pas dans la nature de ce régime répugnant, mais dans la passivité de notre peuple. Et le mot est faible. Comment un peuple qu'on dit fier et digne peut-il accepter d'être traité de cette manière ? Comment font les Algériens pour être aussi égoïstes, se comporter comme s'ils étaient dans une jungle de bêtes malfaisantes, où seul le plus lâche, et le plus vil, survit ? Comment font ces millions de musulmans, avec leur conscience, eux dont la religion dit : « Nul n'est véritablement croyant entre vous, tant qu'il ne souhaite pour son frère ce qu'il veut pour lui même », ou « Dieu ne change rien en l'état d'un peuple, tant qu'il ne change pas ce qui est en lui » ? Ils croient qu'il leur suffit d'aller se bousculer dans des mosquées bondées pour s'acheter une conduite. Ceux qui combattent ce régime disent de ce peuple qu'il est grand, qu'il est le digne héritier de ceux qui l'ont libéré. Où ont-ils vu cela ? Ce peuple a définitivement démissionné de sa dignité, et même ceux qui ont combattu pour le libérer, d'authentiques moudjahidines, ont rejoint les rangs de ceux qui lui sucent le sang. Rares, très rares, sont ceux qui n'ont pas rallié ce régime de bandits. Ouvertement, publiquement, en s'affichant ostensiblement. Et pendant ce temps, depuis des décennies maintenant, les Algériens se sont enfermés dans leurs logements, pour ceux qui ont en un, derrière des barreaudages artistiques, à rêver d'avoir une plus grosse voiture que celle du voisin, plus d'argent, pour le faire crever de jalousie. Les Algériens ne sont plus que des rêveurs compulsifs, atteints de fièvre acheteuse, qui veulent tous habiter de somptueuses villas, dont les épouses rêvent gros bijoux et vacances en Tunisie, où elles pourront enfin se débarrasser de leurs khimars, le temps de leur évasion. Et tous sont devenus sourds et aveugles à la détresse de leurs compatriotes qui fouillent dans les poubelles pour se nourrir, ou qui se prostituent, ou qui se font exploser la santé aux psychotropes, ou qui se font exploser tout court, pour oublier leur enfer, ou qui se pendent, ou qui appellent la mort pour les délivrer. Ou qui se jettent à la mer, à corps perdu, pour tenter de rejoindre la rive des kouffars, là où l'herbe est plus verte. Là où des milliers de cadavres de harragas encombrent les morgues. Et nous, pendant ce temps, on fait comme si tout cela n'était pas. Nous parlons de peuple glorieux et de régime odieux. Comme si un peuple glorieux pouvait s'accommoder d'un régime odieux. Quelle dérision ! Les peuples dignes de ce nom n'acceptent jamais d'être opprimés, et préfèrent mourir que de se soumettre à la monstruosité vorace de nains anthropophages. Ils ne permettent pas que les plus fables parmi eux soient livrés à l'indigence et à l'indignité. Un peuple digne de ce nom préfèrerait mourir que de subir ce que subit le peuple algérien aujourd'hui. Ce que j'écris là, je le pense, comme beaucoup de mes compatriotes qui enragent devant tant d'ignominie. Cela n'engage que moi. Je pense chaque mot de ce que je dis, et plus encore, de choses que je ne veux pas dire, pour ne pas blesser inutilement des gens qui préfèrent s'enfermer dans l'image idyllique qu'ils se sont fabriquée. Pour tenir le coup…