Ayman Nour. Président de Hizb El Ghad «La démocratie, seul remède contre l'autoritarisme et l'extrémisme» El Watan.com le 04.12.10 Figure emblématique de la nouvelle génération de l'opposition égyptienne, Ayman Nour dénonce avec virulence un régime «autoritaire» qui ferme la voie au changement démocratique en Egypte. Candidat malheureux de la présidentielle de 2005, il séjourne pendant 44 mois en prison. Mais Ayman Nour refuse d'abdiquer. Il assure que dans son pays, d'autres choix politiques existent. Entre la dictature et le «péril vert» qu'agite Moubarak, il y a la démocratie à laquelle aspire la société égyptienne. C'est un combat qui vaut tous les sacrifices, martèle cet avocat. -Demain se tiendra le second tour des élections législatives, après un premier tour controversé et un retrait des deux principaux partis d'opposition, El Wafd et les Frères musulmans. Quelle est votre lecture de cette élection ? Il me semble qu'il ne s'agit pas d'une élection dès lors que le régime de Moubarak ne veut pas d'un Parlement représentatif des forces politiques. On ne peut parler d'élection au regard des dépassements, du trucage, des violences et de l'absence de sérieuses garanties pour tenir une élection proprement dite. Il s'agit, pour nous, d'une mascarade électorale. Nous sommes en face d'une catastrophe démocratique et non pas d'un évènement démocratique, comme veut le présenter désespérément le PND. En somme, le régime, à l'occasion de ce rendez-vous politique, a infligé à notre pays et à notre peuple une énième humiliation. Le régime en place depuis 29 ans confirme une fois de plus à ceux qui ne veulent pas encore le croire sa tendance à l'autoritarisme et à gérer le pays comme s'il s'agissait d'une propriété privée. Bien évidement, cela ne nous a pas surpris. Il est dans la nature des régimes autoritaires – le nôtre en est la parfaite illustration – de tout faire pour accaparer tous les pouvoirs. Bref, le régime ne retient pas les leçons de l'histoire politique, sa date de péremption est arrivée. Il rédige de lui-même son acte de décès. Y a-t-il un rapport entre cette élection et la présidentielle de septembre 2011 ? Sans doute. C'est cela justement qui explique l'acharnement, la violence et la fraude généralisée qu'on a vus lors du premier tour des législatives. C'est une répétition générale. Le régime s'est taillé un Parlement sur mesure. L'opération de maintien au pouvoir a été entamée avec la révision de la Constitution, notamment dans son article 76 qui dit clairement que pour être candidat à la présidentielle, il faut être structuré dans un parti et avoir au moins 5 ans d'activité dans ce parti. De plus, il faut obtenir le parrainage d'un certain nombre d'élus locaux et nationaux. Ce qui veut dire que pour être candidat, il faut être du PND. Nous exigeons l'abrogation de ce honteux article. Pour ça, nous militons pour qu'il y ait plus de pressions internes et extérieures dans le sens de réformer le système politique en Egypte. -Des pressions extérieures comme viennent de le faire les Etats-Unis, mais paradoxalement, une alliance stratégique est scellée entre les deux régimes. Ne pensez-vous pas que le régime de Moubarak arrange l'Occident ? Les peuples libres ne peuvent plus accepter l'existence de régimes autoritaires, dont le nôtre est un parfait modèle. Cela devient encombrant, même si les intérêts stratégiques priment. Cela ne peut plus continuer comme ça. Le changement ne vient pas seulement des pressions extérieures, mais avant tout par une mobilisation nationale des forces du changement. -Pensez-vous que les Etats-Unis, qui ont une capacité d'influence importante, pourraient agir dans le sens du changement, alors que le régime de Moubarak est considéré comme leur point d'appui dans la région ? Les USA ont soutenu les régimes autoritaires dans le monde arabe pendant 60 ans et ils demeurent indécis ; ils ne savent pas quoi faire face aux critiques qui dénoncent la contradiction entre ce qu'ils affichent comme principes et valeurs et leurs intérêts. En réalité, leurs intérêts ne seront pas éternellement garantis à travers la continuité des systèmes politiques qui n'expriment pas la volonté des peuples de la région. Des systèmes qui font le lit du terrorisme, de l'extrémisme et de la violence. La stabilité dans la région passe nécessairement par des réformes politiques menant vers des systèmes politiques démocratiques et non pas par le maintien des régimes dictatoriaux et militaires. En Egypte, nous sommes sous une dictature militaire. Il est urgent de réformer avant qu'il ne soit trop tard. La poursuite de ce régime aura des conséquences fâcheuses sur toute la région. -Justement, l'opposition est d'accord sur la nécessité d'un changement du régime politique, mais elle n'arrive pas à avoir une stratégie commune pour unir ses forces. Pourquoi ? C'était le cas il y a quelques années. Mais je pense que depuis la révision de la Constitution, toute l'opposition, laïque et islamiste, a pris conscience de la nécessité de se battre en rangs serrés, car il s'agit du destin du pays et du peuple et non pas de celui d'une force politique. C'est ce que nous venons de faire dans le cadre du Front national pour le changement, qui regroupe les différents courants politiques et des acteurs de la société civile. Nous nous sommes mis d'accord sur un minimum commun pouvant permettre de rassembler le plus largement possible. Sur le plan des principes et de la tactique, nous devons nous mettre tous d'accord sur la démarche à suivre pour la prochaine étape. Il faut rappeler qu'avant la campagne pour les législatives, toutes les forces politiques étaient pour le boycott, avant que les Frères musulmans ne décident d'y prendre part. Je pense que ce qui vient de se passer lors du premier tour des législatives nous oblige à unir nos forces. -Le régime ne cesse de dire que la seule alternative en Egypte, c'est les islamistes et donc «vaut mieux moi que les fanatiques», dit-il. Qu'en pensez-vous ? Cette chanson avec laquelle le régime justifie son maintien ne fait plus recette. Dire qu'il n'y a pas d'alternative en dehors des islamistes est totalement faux.C'est un mensonge grotesque. Lors de la présidentielle de 2005 et malgré la fraude, parmi dix candidats, j'ai pu arriver en deuxième position derrière Moubarak, qui avait à sa disposition tous les moyens et les institutions de l'Etat. L'Egypte est pleine d'autres alternatives politiques, mais le régime fait en sorte qu'il n'y ait pas d'autre choix entre le totalitarisme et l'extrémisme. Nous avons des courants modérés et libéraux capables de constituer des alternatives raisonnables pour le régime. Mais au-delà des courants et des personnes, la vraie alternative reste la démocratie à laquelle l'actuel régime est allergique. -Juste après la présidentielle de 2005, vous aviez été condamné à quatre ans de prison ferme, dont vous avez purgé trois ans et huit mois. Cela devait être une expérience douloureuse pour quelqu'un qui a failli être président de son pays ? C'était une période extrêmement difficile pour moi, mais elle n'est pas plus difficile comparativement à ce que subit mon peuple chaque jour. Je parle à quelqu'un qui vient d'un pays (l'Algérie) qui connaît mieux que quiconque le prix de la liberté. La liberté et la dignité ont un prix. Nous sommes prêts à tous les sacrifices pour offrir à notre peuple une vie digne. L'Egypte mérite qu'on sacrifie quelques années de notre vie en prison. La liberté aussi vaut tous les sacrifices.