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Amazigh kateb: "Longue vie à ce mouvement, pourvu que nous soyons à la hauteur de nos ancêtres et de nos espérances"
Publié dans Le Quotidien d'Algérie le 09 - 01 - 2011

L'ex leader du groupe Gnawa Diffusion, Amazigh kateb, est très concerné pas ce qui se passe au Maghreb de manière générale et en l'Algérie particulièrement. La colère des deux peuples algérien et tunisien ne le laisse pas indifférent. Il a lancé sur son compte facebook un appel pour une marche pacifique à Oran, en soutien au peuple algérien. Il a fait le déplacement pour y prendre part.
Entretien :
Algerie-Focus.com : Quel est votre sentiment sur les évènements qui secouent l'Algérie, et la Tunisie ?
Amazigh kateb: Ces événements sont des signes de vivacité et de saturation généralisée. J'en profite pour rendre hommage au peuple tunisien et saluer sa marche vers la justice sociale et la démocratie (rana fi 3arka wa7da ou man randiwch. On est tous dans le même pétrin, et on ne cédera pas).
Nos citoyens n'ont plus confiance, et ils ont raison. Les Harragas qui se cotisent pour acheter une barque et un GPS, et prennent la mer au péril de leurs vies, sont autant de signes avant-coureurs de ce qui se passe.
Les maghrébins dans leur ensemble, souffrent d'un manque de considération manifeste, et d'atteinte à leur dignité, encore plus que de la vie chère, même si cela reste une revendication principale de ce mouvement spontané.
On peut aussi analyser le phénomène d'un point de vue sociologique : les jeunes gens qu'on envoie acheter du sucre et de l'huile, expriment l'indignation impuissante de leurs mères face à la montée des prix. A cela s'ajoute l'absence d'exemple de mobilisation citoyenne. La seule alternative de cette jeunesse reste la colère explicite et parfois aveugle et injuste.
Cette violence semble indigner le pouvoir en place. En réalité, elle arrange bien des choses ...à commencer par le maintient de l'état d'urgence.
La grande majorité des citoyens condamne les violences, il faut proposer d'autres formes d'action. Je suis radicalement contre le fait de condamner cette jeunesse, il faut canaliser cette énergie et cette détermination.
D'ailleurs, ce pouvoir n'est-il pas en grande partie responsable ?
Comment peut-il en quelques mois, approuver, encourager une violence foot-ballistique avec la création du plus grand pont aérien depuis la deuxième guerre mondiale, entre Alger et Khartoum, et juste après, condamner et réprimer celle autrement plus légitime d'un peuple en souffrance ?
En fait, les violences sont prévues, calculées, voire maîtrisées et maîtrisable, le dialogue ne l'est pas. Il échappe à tous les pronostics.
Je pense aussi que les mythes fondateurs de nos sociétés sont en train de s'effondrer (les guerres de libération et la décolonisation sont à présent loin derrière nous.)
Nous pouvions jusqu'à une certaine époque méditer sur nos "chantiers" en nous disant que nous construisions...
La jeunesse d'aujourd'hui assiste quant à elle à la destruction progressive de ces constructions passées, de ce qu'elle est, et de ce qu'elle veut devenir. Nous ne sommes plus en chantier nous sommes en ruine.
En Algérie par exemple, le discours étatique est passéiste dans sa structure même : Hier, c'était "nous sortons d'une guerre de libération..."; aujourd'hui, c'est " nous sortons d'une guerre contre le terrorisme...".
La jeunesse se demande quand est-ce qu'on rentre dans quelque chose ? Dans quelque chose d'autre qu'un mur du silence, du refus, du déni et de la répression institutionnalisée.
L'Algérie est en état d'urgence. Les droits civiques les plus élémentaires sont confisqués :Le droit de se réunir, de créer du lien social, de marcher pacifiquement,...
Comment veut-on éviter la violence dans ces conditions ? Monter une association est une affaire d'Etat au sens propre comme au figuré. Les citoyens sont la société, si le citoyen n'existe pas alors il n'y a pas de société.
Pour ne citer que l'exemple français : il y a 1 200 000 associations qui regroupent quelques 14 000 000 de bénévoles œuvrant chacun, à temps plein ou partiel, à la réalisation de leurs idéaux et créations. Ce n'est pas le pouvoir qui crée cette effervescence, ce sont les gens.
Tout ce qui gangrène une société existe, à la différence que le peuple a les moyens légaux et légitimes de ses aspirations. Cela ne règle pas tout mais évite bien des tensions et des frustrations inutiles et stériles.
Pourquoi cet appel à manifester, pourquoi à Oran précisément, et quels sont les objectifs de cette démarche. Vous y étiez, comment s'est déroulée la marche ?
Oui j'y étais. C'est pour cela que j'ai relayé l'appel. Nous étions un peu plus qu'une vingtaine. Nous avons juste marché pacifiquement de place d'armes jusqu'à ce qu'on nous arrête pour nous disperser. Les policiers étaient surpris, et visiblement, ils cherchaient juste une réaction d'hostilité pour "passer à la procédure" comme n'arrêtait pas de vociférer le plus beau d'entre eux.
Visiblement les marches pacifiques sont impossibles. La violence cette fois-ci était verbale mais ne venait pas des manifestants. Nous nous sommes dispersés dans le calme et 10 minutes après le centre ville s'est embrasé.
Il est urgent de se mobiliser et de ne pas laisser le champs vide. Si les insurgés sont parfois violents y compris à l'égard d'autres citoyens, c'est par ce qu'en 20 ans l'Algérie s'est morcelée et les fractures sont profondes.
Il y a aussi un phénomène de mépris entre les classes. Un déficit de confiance mutuelle. L'Algérie se regarde et voit un monstre. Ceci dit les gens qui étaient témoins de cette marche approuvaient et nous lançaient des encouragements. C'est précisément ça qui fait peur aux autorités : que nous recollions les morceaux et que nous nous reconnaissions.
Comment expliquez-vous le silence du gouvernement face à ces évènements et le décalage des partis politiques de l'opposition et de l'élite algérienne de manière générale par rapport au peuple ?
En ce qui concerne le silence des gouvernants, il est proportionnel à leur incompétence. Ensuite les oppositions sont souvent discréditées ou carrément achetées par le pouvoir.
L'élite intellectuelle en général, reste murée dans un silence de renoncement ou plie bagages.
Les seuls qui restent souffrent d'un manque total d'auditoire. Le pays est devenu une médiocratie. Les gens qui pensent ne se sentent pas compris. D'ailleurs, personne ne se sent compris. Même les policiers qui nous ont dispersés nous ont dit "effehmouna, comprenez-nous, les jeunes, ça fait 4 jours ma rguednach, que nous n'avons pas dormi"
Maintenant que l'Algérie est devenue une prison à ciel ouvert, et que même les matons s'en plaignent, il n'y a plus qu'à aménager des cellules de soutien psychologique, en plus de tous les quartiers d'isolement.
Pour faire court, lorsque les vases ne communiquent plus, certains débordent et d'autres s'évaporent. Le peuple explose et l'élite s'efface. Cette dernière classe pourtant pensante, condamne souvent avant de comprendre. Elle se dé-solidarise de ce genre de mouvement qu'elle ne pourra de toute façon pas canaliser si elle ne change pas de langage.
Les émeutes partagent les algériens. Certains sont d'accords pour que le peuple réagisse, mais sans recours au vandalisme et la violence. D'autres soutiennent les émeutiers malgré les dégâts causés. Quelle est votre position ?
Je condamne toutes les violences sans exception à commencer par celles qui touchent le peuple.
Ce sont celles-là qui sont constitutives de toutes les autres. Je ne condamne pas ce mouvement parce que je connais les méthodes de discrédit et de manipulation de nos services. Je les ai vus à l'œuvre en 2001 avec la marche des kabyles sur Alger. Ils dressent les Algériens les uns contre les autres.
Parlons maintenant de votre actualité artistique. Vous préparez votre prochaine montée sur scène, mais cette fois pour faire du théâtre. Le metteur en scène khareddine Lardjem monte une pièce de l'auteur et journaliste Mustapha Benfodil, auxquels vous êtes associé. Pouvez-vous nous en dire un peu plus? Et quels sont vos prochains projets musicaux ?
(El Ajouad / Les Borgnes ou le colonialisme intérieur brut.)
Ce n'est pas exactement ça. Je participe à la pièce de théâtre prévue pour 2012/2013, mais je reprends les concerts à partir du mois prochain. Et je prépare aussi un album pour bientôt.
un mot pour conclure ?
une petite scène :
Un policier à un manifestant:wech khrejtou 3la ‘zzit wes'sokkor, alors ils manifestent pour le sucre et l'huile ?
Un manifestant : ana khrejt nechrob qahwa ou netnefess chwiya lacrymogène. moi je suis sorti prendre un café et respirer un peu de gaz lacrymogène !
Le policier : en blaguant : dert fiha ‘ssokkor. Est-ce que tu as mis du sucre dans ton café ?
Le manifestant:dert wah. Oui, j'en ai mis !
Le policier : ‘mmala kayen ! 3lach tgoulou ma kach. Ben, il y a du sucre, alors pourquoi dis-tu le contraire ?
Le manifestant; essokkor ila dar bih el monkor, ma tebqa fih 7atta 7lawa we 3la ‘zzit zellegtouna ou kemmeltou 3lina belhrawa. Le sucre n'a plus de goût et vous utilisez l'huile pour nous faire glisser pour ensuite nous matraquer.
Le policier:rak tech3er yaw. Tu fais de la poésie mon gars, tu dis n'importe quoi !
Le manifestant:ella, rani nech3or. Pourquoi tu dis que je dis n'importe quoi ?
Le policier:rak techkhor. Tu es entrain de baratiner ?
Le manifestant:ella 3endi ‘ssokkor. Ça aurait été possible, si j'avais du sucre !
Longue vie à ce mouvement, pourvu que nous soyons à la hauteur de nos ancêtres et de nos espérances. Pour que nos "Algéries" s'aiment et enfantent enfin...de l'ALGERIE.
Photos de la marche à Oran le 08-01-2011 sur Algerie-Focus.com


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