Photo : S. Zoheïr Par Fella Bouredji Des jeunes par centaines collés les uns aux autres fixent la scène illuminée mais encore vide installée en bas du monument des martyrs. Un moment d'explosion se prépare à l'esplanade de Riadh El Feth en ce dimanche soir d'été mais en attendant l'apparition de cheb Khaled, star de la soirée, le public prend son mal en patience. Des jeunes avides et euphoriques sont rassemblés derrière des barrières qui ont du mal à rester en place. Ils sourient, crient, rient, s'esclaffent sans retenue. Ils ont l'air heureux même si la forte odeur d'alcool et de tabac qui se dégage trahit un bonheur fragile, payé au prix fort. Celui du désœuvrement et de la dépendance. Aucune silhouette féminine parmi eux et dès qu'une se profile de leur côté, l'euphorie monte encore plus. En fusion totale, ils se déchaînent en chœur avant même le commencement du show. Certains ôtent leur tee-shirt et le brandissent au vent pour mieux exprimer leur insoutenable besoin de se défouler. D'autres crient à tort et à travers et scandent des refrains pleins de dérision qui laissent hésiter entre rire et compassion. A leur droite, dans un carré encerclé de policiers, des familles et d'autres groupes de jeunes sont dispersés et attendent plus ou moins calmement. A 22h30, une troupe de danse du Niger entre en scène pour interpréter une chorégraphie parfaitement synchronisée qui allie finesse des gestes et rythmes endiablés. Les jeunes apprécient mais ne sont pas là pour ça. C'est pour se perdre dans l'univers musical de cheb Khaled qu'ils se sont déplacés en force. Pour vivre un moment de joie et d'oubli. La troupe africaine Chawa quitte la scène. Retour à l'attente jusqu'à ce que le roi du raï apparaisse enfin. Salve d'applaudissements, cris d'euphorie… l'explosion commence à prendre forme dès les premières notes d'El Istikhbar chanté par Khaled, accordéon en main. L'orchestre bat le rythme, les saxophones et le violon s'enflamment, Khaled prend ses marques et les jeunes ne le quittent plus du regard. Yamina est le premier morceau qu'il chantera, suivi de la Liberté, extrait de son dernier album. Les jeunes n'arrivent plus à contenir leur joie qui se mêle allègrement à leur désespoir. A force de pressions, une barrière tombe, les coups de matraque des policiers ne se feront pas attendre. Le silence se fait. Khaled fixe la scène. Le regard hagard, il lance : «Ella machi melih !» (Non ce n'est pas bien)… les jeunes se calment, les policiers de même. Retour à la liesse et à la musique très rapide. L'incident se fait vite oublier et l'ambiance reprend, portée par les chansons de Khaled que tous ont au bout des lèvres. El Mersam, Malha dik el Baida, Rouhi wahren besselama, Bekhta, etc. La voix de Khaled passant du grave à l'aigu captive sans conteste tout le monde, même les Africains présents ou encore les Algériens réticents au raï. Le King avec son petit grain de folie sur scène, sa façon originale de se mouvoir, ses sourires inimitables et son attitude de maestro souvent contrarié par ses musiciens le rendent encore plus attachant au public. Tout le monde s'amuse. Un amusement rompu assez souvent par certaines scènes bouleversantes. Des coups de matraque. Des obscénités proférées par de jeunes rebelles pour y répondre. De la violence dans les regards et du désœuvrement dans l'euphorie. Une soirée aux multiples sensations. Celles d'une musique algérienne qui veut rassembler ses enfants. De la générosité, du partage et une fête méritée… mais aussi la sensation de frustration de ces milliers de jeunes défavorisés venus oublier leur détresse. Des situations de contraste qui dévoilent le mal de la société et qui rappelle que l'Algérie est quelque part injuste avec ses enfants… Khaled chantant dans le cadre du Panaf aura eu le mérite de leur offrir un savoureux moment d'oubli, même s'ils l'ont vécu dans l'excès et la violence.