Ils étaient des milliers d'étudiants et d'étudiantes venus des quatre coins de l'Algérie à se rassembler dès 10h 30 à la Grande Poste d'Alger et ce malgré l'impressionnant dispositif de sécurité mis en place durant la nuit. Etrangement, la police laisse les étudiants se regrouper sans intervenir. Aux environs de 11h 15, les étudiants et à leur tête les délégués de la coordination autonome, débutent leur marche au niveau de la rue Abdelkrim Khettabi pour rejoindre la rue Didouche Mourad, essayant d'atteindre la rue Saadane, via le tunnel des Facultés. Un important dispositif de brigades anti-émeutes bloque le tunnel. Le mot d'ordre de rejoindre la « présidence » dite de la République est alors donné. Les étudiants empruntent le boulevard Mohamed V dans l'ordre et la discipline, scandant des slogans contre le « ministre » de tutelle et contre le pouvoir illégitime. Aucun acte de violence n'a eu lieu durant cette marche que nous avons suivi au milieu de nos étudiants, avec cette fierté d'être parmi eux et de vivre leurs problèmes. Le boulevard est noir de monde de la place Audin jusqu'au grand virage menant au boulevard Krim Belkacem. 5000 à 7000 personnes ? Arrivés près du siège de la Commission des non-droits de l'Homme au niveau de la place Addis Abbéba, la tête de la longue procession est accueillie par un important dispositif policier qui tente de freiner la progression. Les premiers affrontements ont lieu aux environs de 11h 45. Les brigades anti-émeutes tentent de disloquer la procession. Des groupes d'étudiants arrivent à franchir les barrages policiers et à rejoindre la station d'essence située au bas de l'hôtel El Jazaïr. La police, devant le nombre impressionnant d'étudiants, les laisse finalement passer. Un nouveau barrage les attend devant l'hôtel El Jazaïr avec un nombre plus important d'éléments anti-émeutes et des camions à eau. Plus d'un millier d'étudiants arrive à forcer ce barrage et à rejoindre l'avenue de Pékin, près du lycée Bouamama. Ils sont alors bloqués par un impressionnant dispositif anti-émeutes avec leurs camions qui barrent la route au niveau du grand virage, là où se trouvent les médecins-résidents en grève. Pris de panique par l'arrivée de ces centaines d'étudiants à quelques centaines de mètres de la « présidence », les brigades anti-émeutes chargent les jeunes manifestants à coups de matraques. De nombreux étudiants s'effondrent blessés à la tête et aux membres. Les pompiers, malgré leur dévouement n'arrivent pas à secourir les étudiants, les ambulances étant bloquées en haut du Golf par les camions des brigades anti-émeutes. Le reste des étudiants est cerné au niveau de la station essence de l'hôtel El Jazaïr. De manière pacifique et disciplinée et encadrés par les membres de la coordination autonome, drapeau national sur les épaules pour certains, ils continuaient à scander des slogans contre le régime illégitime et pour une université des compétences. Il est à noter le soutien de la population tout le long du trajet et pas une seule provocation n'a eu lieu de la part des baltaguias du régime. Aux environs de 14h 15, alors que les étudiants étaient bloqués au grand virage en amont du lycée Bouamama et scandaient dans le calme des slogans contre le pouvoir, l'ordre de charger est donné. Avec une violence inouïe, les brigades anti-émeutes tabassent sauvagement les étudiants, en essayant de les repousser vers le bas de l'avenue de Pekin. C'est à une véritable furie que nous assistons. De nombreux étudiants sont à terre. Un étudiant juché sur le mur du lycée est violemment jeté à terre par un agent excité qui continuera à le tabasser à terre avec sa matraque. Un comportement odieux. Cet étudiant traumatisé physiquement et moralement et que nous avons secouru malgré cette furie, s'en sortira avec une entorse du genou. Une jeune enseignante de l'université, S. Leila qui a eu le malheur de passer par là avec son cartable recevra un violent coup de matraque sur l'épaule accompagné de mots obscènes dignes d'un voyou. Les étudiants se replieront sur la place Addis Abeba, emmenant leurs blessés. L'ordre est donné de rejoindre à nouveau la Grande Poste. Nous pouvons dire en tant que témoins de cette journée historique dans les annales de la lutte des étudiants algériens que : Cette marche a été pacifique de bout en bout avec un service d'ordre estudiantin exemplaire par sa discipline. Les étudiants ont donné une leçon de courage et de lucidité politiques à leurs aînés de la classe dite « intellectuelle » et « politique ». Sans calculs politiciens et sans carcans idéologiques, ils ont brisé le mur de la peur et ont marché dignement de la Grande Poste jusqu'au Golf et ce, malgré l'impressionnant dispositif constitué de centaines de camions et de milliers d'éléments anti-émeutes. Ces étudiants dignes et courageux ont pu se mobiliser par milliers et ce, malgré le silence d'une certaine presse aux ordres qui n'avait « pipé » mot sur cette marche. Bien sûr et devant l'éclatant succès de cette marche, la « presse » se réveillera demain pour exprimer son « admiration » devant le courage des étudiants et son « indignation » face à la répression. Cette sincérité de la démarche estudiantine autonome a suscité l'adhésion populaire. De nombreux citoyens applaudissaient au passage des étudiants et beaucoup ont secouru les blessés sur les trottoirs du Golf. Je tiens à souligner l'admirable dévouement des pompiers, qui malgré le blocage de leurs ambulances par les camions des brigades anti-émeutes, ont transporté sur des dizaines de mètres les blessés pour leur administrer de l'oxygène pour certains et les premiers soins d'urgence pour les traumatisés. Je tiens également à souligner, en tant que témoin, le comportement humain de certains policiers qui ont refusé de tabasser leurs jeunes compatriotes. J'ai été témoin du geste d'un agent – alors que je secourais le jeune étudiant violemment jeté du mur du lycée et tabassé à terre par un nervi – qui lui apporta une bouteille d'eau minérale pour se rafraîchir alors qu'il était groggy. Comme je puis témoigner du geste humain d'un autre agent qui sauva du tabassage une étudiante sur laquelle s'était jeté un énergumène hystérique avec sa matraque. Tout comme je tiens à dénoncer le comportement de voyous de certains agents dont la violence physique contre nos étudiants et le langage ordurier sont plus que révoltants. Des comportements indignes de fonctionnaires d'Etat. (Peut-on vraiment parler de fonctionnaires et d'Etat dans notre Algérie actuelle ?). Le Front du Changement National est fier d'avoir accompagné cette marche estudiantine digne et tient à féliciter cette jeunesse pour son courage, sa discipline et sa lucidité politique. Une jeunesse qui vient d'ouvrir aujourd'hui la voie du véritable changement. Un grand bravo à nos étudiantes et étudiants. Salah-Eddine SIDHOUM Lectures: