mardi 1er mars 2011, par Sadek Hadjerès LES PEUPLES COMMENCENT A DEMANTELER LA GRANDE PRISON DU « GMO » ARABO- ISRAËLO-AMERICAIN QUELS ENSEIGNEMENTS POUR UN PEUPLE ALGERIEN TRAUMATISE ? Des intifadhat d'une nouvelle qualité Depuis la fin de la seconde guerre mondiale il y a soixante dix ans, l'Empire US n'a cessé d'étendre et perfectionner sur toutes les régions de la planète ses instruments d'hégémonie globale. Sa superpuissance en plusieurs domaines lui a permis de mettre en œuvre des moyens souvent aussi cruels mais toujours beaucoup plus sophistiqués et redoutables que ceux des anciens colonisateurs dont nos peuples s'étaient difficilement libérés. Nous avons vu ainsi s'effriter ou détruits nos espoirs de conjuguer une vraie souveraineté nationale avec une pleine citoyenneté démocratique et sociale. Le cauchemar épouvantable sur lequel a débouché la dictature nationaliste en Irak, le prix élevé que paye en ce moment le peuple lybien pour se libérer, sont quelques unes des tragédies directement imputables au super-impérialisme et ses relais locaux. Les puissances occidentales parlent aujourd'hui d'embargos et pressions multiples contre la Lybie. Ils avouent par là même les milliards qu'ils ont gagnés en armant jusqu'aux dents le dictateur lybien sur le compte des richesses nationales d'un peuple spolié et terrorisé. Leur nouvelle « croisade » démocratique signifie aujourd'hui qu'ils sont à la recherche de nouveaux relais politiciens plus acceptables que les anciens devenus haïs et rejetés par la majorité de leurs peuples Les semaines historiques que le monde arabe vit en ce moment sont celles des efforts populaires pour sortir de l'immense prison militaro-médiatico-fiancière à ciel ouvert que sont devenus nos pays pour le système totalitaire mondial des USA. Pourvu seulement que les prises de conscience des peuples aillent plus vite que les calculs en retard de phase des stratèges US ! Que nous ont enseigné en effet en la seule journée du vendredi dernier, les impressionnantes manifestations qui ont fait vibrer et déborder les grandes places et avenues d'Egypte, de Tunisie, Libye, Yémen, Irak, Jordanie, Bahrein, sur lesquelles se sont braquées les media et cameras des télévisions mondiales ? Avant tout que la flamme libératrice allumée depuis des semaines dans ces pays n'est pas un feu de paille. Par le nombre croissant en centaines de milliers, la cohésion et la conscience civique sans cesse grandissantes, les peuples concernés ont indiqué à qui feint de l'ignorer, qu'ils ne se sont pas mis en mouvement pour du vent, des promesses obtenues sous la panique des dirigeants pour les endormir et les fatiguer, des changements d'hommes ou de façade institutionnelle cachant les mêmes pratiques d'oppression et de corruption. Ils ont dit : nous nous sommes mobilisés, même sous les balles et les lacrymogènes, pour des contenus substantiels en matière de libertés et droits sociaux, de droit de regard et de contrôle, en un mot, de dignité citoyenne. De par cela, ils se sentent concernés en matière de décisions internes et de souveraineté nationale. Ils estiment que par nature et en toute logique démocratique, il leur appartient de s'en porter tout aussi garants que l'armée, qui en Tunisie et en Egypte a reçu de facto une mission de transition théoriquement utile à la continuité de l'Etat nation. On peut le dire sans euphorie, avec espoir et vigilance. Quelque chose d'exceptionnellement important a commencé à changer dans le vaste continent géopolitique qui va de Nouakchott aux Emirats. Les dirigeants US voulaient (et voudraient toujours, par de nouveaux moyens) lier indissolublement cet espace à leur Empire, sous le nom de « Grand Moyen Orient ». (Leurs sous-fifres de France se seraient contentés de régner sur une UPM (Union pour la Méditerranée) coprésidée par l'ex-raïs Moubarak, passé depuis à la trappe de l'Histoire) Le plus remarquable n'est pas que ce nouveau pas de l'Histoire s'est exprimé au plan formel dans une langue arabe commune, malgré les frontières, les accents et les particularismes nationaux, sans compter au passage les savoureux et performants emprunts étrangers (Dégage, devenant Digaj dans les gosiers arabes !). Ajoutons, pour rester dans le fondamental, qu'aux flancs de ce « sous-continent » linguistique et de civilisation, la Turquie et l'Iran, deux autres « poids lourds » islamiques, se distinguent eux aussi par une caractéristique principale commune : par delà leur diversité historique et culturelle : ils ne veulent pas se considérer comme le « pré carré » des USA. La nouveauté dans ce monde dépasse en effet la communauté formelle de l'arabophonie, avec son poids émotionnel et symbolique. À la lumière du vécu de ces nations ces dernières décennies, c'est, malgré les diversités actuelles et les inévitables décantations à venir, un grand consensus autour d'un besoin irrépressible et légitime, la satisfaction des aspirations démocratiques, sociales, de souveraineté et de dignité nationale. Les peuples, hommes et femmes, jeunes et vieux, dans un très large éventail social, ne s'y sont pas trompés, quand on les voit tenus en haleine depuis des semaines devant leurs postes de télévision, tout comme leurs aînés l'étaient il y a soixante ans devant leurs postes de radio-transistors, à l'écoute solidaire du combat algérien qui leur avait rendus familiers les noms de Djamila Bouhired, Amirouche et tous les autres. Après Bandoeng et les décolonisations des décennies 50 à 80, après le reflux mondial du « tiers-mondisme » et du socialisme jusqu'à nos jours, un tournant est en train de s'opérer qui avait été anticipé et illustré par de nombreux peuples et sociétés d'Amérique latine. Il pourra s'accentuer en dépit des monopoles et de leurs faucons militaro-industriels, si les peuples avides de liberté et de survie décente continuent à tirer les enseignements de tout ce qui leur est arrivé et de ce qui survient aujourd'hui. Le nouveau, est en tout cas instructif pour les Algériens. Placés depuis l'indépendance face aux mêmes visées impérialistes et réactionnaires que les autres peuples frères, ils ont vécu une situation et des problèmes spécifiques, qui, à la charnière des décennies 80 et 90, ont fait avorter leur première percée vers des horizons plus démocratiques. On peut en Algérie mesurer cependant le chemin parcouru depuis vingt ans. À l'époque, certains, se prétendant l'organisation ou l'institution exclusive vouée à la défense d'un ordre républicain, proclamaient sans l'ombre d'un doute : la démocratie et les Droits de l'Homme (qu'ils piétinaient) sont un luxe pour les algériens. Tandis que d'autres, se prétendant les seuls investis à la défense d'un ordre divin islamique proclamaient : « Laa destour wa laa dawla, al islam houa-l- hall ». Aujourd'hui dans le monde arabe, des millions de manifestants, y compris de nombreux imams ou mourchid islamistes, revendiquent ensemble, « al hurriya, ad-dimoqratia wa dawlat al qanoun ». Ils estiment que toute légitimité vient du Peuple, et celui-ci, clament-ils, « yourid isqaat an-nidham », veut la chute du régime. Le plus significatif dans le séisme socio-politique en cours dans les pays arabes, c'est que les bases populaires en mouvement ont amélioré la dynamique et réorienté le sens des interactions entre la société civile et les cercles politiques, entre les masses profondes porteuses d'aspirations légitimes et les minorités mieux pourvues en information et technicité (je n'aime pas dire les « élites », terme péjorativement connoté au détriment de la créativité et des réflexes de bon sens des couches populaires instruites par leur vécu, par las brûlures de la braise sur laquelle elles sont souvent contraintes de marcher. Il était presque admis comme une évidence que c'était aux « élites » de proposer, initier et guider ceux à qui il revenait d'applaudir, d'adopter, d'appliquer les orientations censées bénéfiques pour tous. Or on a vu récemment qu'au contraire, une grande partie de la classe politique s'est éveillée à la faveur du mouvement de masse, s'alignant sur lui, se mettant à son service. Il serait cependant abusif et erroné de parler d'inversion, dans la mesure où ce mouvement de masse devenu plus conscient était lui-même le fruit d'interactions positives entre composantes populaires plus formées politiquement (au contact des media télévisés, syndicats etc, et les jeunes (ou vieux) intellectuels intégrés de façon plus organique dans la dynamique du mouvement social et politique. En Algérie, suite à la nature et aux agissements du système mis en place après l'indépendance (aggravés les vingt dernières années), un fossé s'est élargi entre la masse populaire et une grande partie des « élites » (arabophones, amazighophones et francisantes), malgré leur vocation à une jonction démocratique. Ce qui peut expliquer ces dernières semaines la paralysie ou l'impotence de certains secteurs ayant une conception purement volontariste des avancées démocratiques, alors que leur besoin est devenu particulièrement sensible. Le pouvoir répressif en place ne pouvait que s'en réjouir et en jouer, avec, soit des appels « par le haut » à des journées et des marches se voulant spectaculaires, n'entraînant pourtant dans le meilleur des cas que des activistes, soit du côté populaire, des émeutes, actions dispersées ou une feinte passivité qui contraste avec ce qui bout dans les esprits. Une partie des « élites » croit dur comme fer à un mouvement presse- bouton et s'acharne à vouloir construire la maison à partir du toit et non des fondations, en espérant aussi qu'ils seront l'étincelle qui mettra le feu à la prairie. Oubliant par là que ce n'est pas le manque d'étincelles qui fait problème dans la vie sociale, les émeutes et autres indices le montrent bien, mais l'état politique et subjectif de la prairie algérienne. Ce n'est pas l'intelligence ou le bons sens qui sont en cause dans l'approche erronée, mais probablement les illusions ou les calculs délibérés que le toit sera plus vite construit avec le concours par le haut d'autres forces issues d'un des clans en vive compétition pour les rentes et le pouvoir depuis des lustres. La positon la plus proche du mouvement réel et de la logique socio-politique qui a fait ses preuves justement dans les pays arabes, est celle qui a pour assise les mouvements économiques, sociaux, culturels et démocratiques (droits de l'Homme etc..) qui travaillent depuis longtemps à la base et de ce fait sont restés moins perméables, plus étrangers aux visions étroites ou opportunistes de toutes sortes qui ont entravé l'unité d'action des formations partisanes. Cette action à la base est certes plus lente, moins spectaculaire, mais aussi plus consistante et prometteuse que les actions à l'allure de soulèvements « ici et maintenant » pour le renversement du pouvoir. Cette action est même la plus susceptible et la plus propice, dans les conjnctures de maturation et d'accélération des évènements, de favoriser les mobilisations les plus massives pour le changement et surtout de donner à celui-ci un contenu plus conforme et plus durable aux vœux populaires et de la nation. S'agissant de contenu, quelles leçons donnent les évènements arabes récents aussi bien aux larges masses qu'aux élites ouvertes en profondeur à leurs aspirations ? Je résume ici celles d'entre ces leçons qui me paraissent les plus dignes d'intérêt : I) La principale leçon à mon avis est l'importance de la base, de l'adhésion aux aspirations, aux rythmes, àux initiatives et à la créativité de la base. cf. la façon dont la place At-Tahrir a géré les affrontements contre les provocateurs du régime. Certes les coups de pouce, piqûres, ou efforts de coordination des moyens informatiques ou télévisons ont un rôle dont les démocrates authentiques doivent mesurer l'importance. Ils seraient cependant inopérants si le terrain, le facteur humain et de société n'étaient présents et déterminants ? Brecht disait bien : les tanks sont une force redoutable, mais n'oubliez pas qu'ils sont conduits par des hommes. Le facteur humain, décisif, est par ailleurs mieux prémuni contre les manipulations s'il est éclairé par : II) Des principes démocratiques et sociaux sains, confirmés par l'expérience, devenant des facteurs d'unité d'action solide et performante, de façon à mieux mettre en échec les mentalités et pratiques de division : C'est ainsi que les pratiques dominantes qui ont stérilisé jusqu'ici des décennies de volonté de résistance ont justement été évitées par les nouvelles générations attentives aux leçons passées et aux errements dont ont souffert les anciennes générations. 1 – prévalence des intérêts communs (sociaux, économiques, paix civile etc) sur les critères identitaires : exemples positifs récents : * Coptes et musulmans en Egypte * islamistes, nationalistes et communistes (cf imam de la mosquée Kaid Ibrahim) * Kurdes, sunnites et chîites pour les journées d'Irak ou à Bahrein * Arabophones et berbérophones en Libye * etc. 2 – Voie pacifique, y compris face aux violences des régimes en place qui ont intérêt à déplacer les affrontements vers ce terrain : * supériorité de la riposte pacifique pourvu qu'elle soit massive et unie : on peut faire la comparaison en Irak par exemple après des années de désastres d'actions kamikazes entre factions confessionnelles manipulées par des intérêts occultes. Certes, dans des conditions de rapport de force critique, la riposte violente ( armée ou non) n'est pas exclue si elle est politiquement maîtrisée et appuyée par le soutien massif populaire : riposte aux baltadjia, aux milices de Qaddafi, etc… 3. Vigilance politique aux enjeux internationaux, notamment de souveraineté : Les Lybiens ont ainsi raison de rejeter tout projet d'intervention militaire directe même apparemment en leur faveur, c'est avant tout l'affaire des Libyens. La nature anti-impérialiste de ces positions n'est pas nécessairement et formellement explicitée. Mais elle est sous-jacente à travers les aspirations et revendications nationales et sociales légitimes, objectivement opposées à la main-mise impérialiste multiforme qui empêche leur satisfaction. Les soulèvements populaires, de façon directe ou indirecte, ont fait reculer et fragilisé les visées impérialo-sionistes sur plusieurs points : accords israélo-égyptiens anti-palestiniens, menaces sur l'Iran, Bahrein base de l'OTAN, Qaddafi agent pernicieux de l'impérialisme en Afrique et dans le monde arabe, dangers d'éclatement au Liban, en Syrie, en Palestine etc. 4. Appréciation plus juste du rôle des institutions militaires dans cette région du monde : Les soulèvements populaires conduisent, tant de la part des civils que des militaires, à un réexamen, une vision et une évolution plus équilibrées du rôle des armées dans la défense de la souveraineté nationale et la protection des populations. Avec l'exigence plus grande de considérer l'institution militaire comme un des piliers soumis aux intérêts d'un Etat démocratique. Ce qui suppose de ne pas confondre l'ensemble de l'armée avec des services de police politique répressive qui, en se réclamant d'elle ou en l'utilisant, la décrédibilisent, la coupent de la société civile et des aspirations nationales (cf les moukhabarat égyptiennes). Plus les masses populaires sont unies, conscientes et mobilisées, plus les institutions militaires sont portées à être fidèles à leur vocation nationale. 5. Conscience des enjeux internationaux : les maux dont souffrent les peuples sont la conséquence de l'emprise hégémoniste des monopoles impérialistes et de leurs instruments économiques, financiers, médiatiques et idéologiques sur nos pays. La lutte contre cette emprise nécessite autant l'unité d'action nationale que le raffermissement des solidarités internationales L'ensemble des orientations énumérées ci-dessus, même lorsqu'elles n'étaient pas explicitement formulées, a été pour une bonne part dans les premiers succès remportés par les mouvements populaires pour le changement. Ce changement sera de plus en plus étendu, consolidé, profond et durable si ces orientations nationales, démocratiques, sociales et rassembleuses sont encore davantage prises en charge par les acteurs populaires et militants. Elles marqueront alors le vrai tournant dont ont besoin les Etats et les sociétés du monde arabe pour s'affirmer et se développer durablement dans la paix, la liberté et la justice sociale. Sadek Hadjerès le 27 février 2011 Lectures: