Libye – Après Kadhafi, les islamistes, affirment des experts français Oussama Nadjib, Maghreb Emergent, 15 Juin 2011 « Libye : un avenir incertain ». C'est le titre d'un rapport de mission d'un groupe d'évaluation à dominante française qui exprime une vive méfiance à l'égard de la composition hétéroclite du Conseil National de Transition libyen. Conclusion : la révolte libyenne n'a pas grand-chose à voir avec le printemps arabe, les occidentaux ont fait preuve d'aventurisme et les lendemains risquent d'être islamistes. Le rapport a été élaboré par une mission d'experts en Libye organisée par le Centre international de recherche et d'études sur le terrorisme et d'aide aux victimes du terrorisme (CIRET-AVT), le Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R), et avec le soutien du Forum pour la paix en Méditerranée. Sa conclusion est simple : les occidentaux sont entrain de préparer le terrain, à coup de raids couteux, à un régime islamiste plus antioccidental que celui de Kadhafi. La délégation parmi lesquels on retrouve le directeur du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R), Eric Denécé, Yves Bonnet, ancien patron du contre-espionnage français (DST) et Saïda Benhabylès (Algérie), a séjourné à Tripoli et en Tripolitaine (du 31 mars au 6 avril), puis à Benghazi et en Cyrénaïque (du 19 au 25 avril). Elle s'est donnée pour mission d'évaluer la situation libyenne « en toute indépendance » et de rencontrer les représentants des deux parties. La première conclusion du rapport est que même s'il elle se déroule dans le contexte du « printemps arabe », la révolte libyenne est, par sa nature, sans rapport avec les révolutions en Tunisie et en Egypte. Son caractère spontané est mis en doute, ses visées démocratiques aussi. Le rapport insiste très lourdement sur le risque d'une prise du pouvoir par « l'islamisme intégriste ». Le Conseil national de Transition (CNT), pratiquement adoubé « représentant légitime » du peuple libyen suscite plus que de la méfiance chez les experts en question. Il est constitué, selon eux, d'un attelage hétéroclite où ceux qui sont considérés comme des « démocrates » ne sont qu'une infime minorité. Ils sont la vitrine d'un regroupement de forces et d'intérêts disparates : des islamistes y compris des groupes ayant des liens avec Al Qaïda, des monarchistes senouciste tout aussi intégristes, des mafias locales et bien entendu des hauts dignitaires du régime de Kadhafi qui font défection à la 25ème heure. « L'intervention occidentale crée plus de problèmes qu'elle n'en résout » La mission d'évaluation s'étonne du fait que le CNT persiste à garder secrets, au nom d'impératifs de sécurité, les noms de la plupart de ses membres. Il y a « trop de zones d'ombre pour lui accorder (au CNT) un chèque en blanc » estime la mission d'évaluation qui critique un « aventurisme coupable » des puissances occidentales qui seraient sous l'influence d'un travail subtil de désinformation des chaines satellitaires arabes Al-Jazira et Al-Arabia. Le rapport est entièrement axé sur un présumé péril islamiste que les puissances occidentales n'auraient pas suffisamment évalué. « L'intervention occidentale est en train de créer plus de problèmes qu'elle n'en résout. Que l'on pousse Kadhafi à partir est une chose. Que l'on mette pour cela la Libye à feu et à sang et que l'on fasse le lit de l'islam intégriste en est une autre. Les manœuvres actuelles risquent fort de déstabiliser toute l'Afrique du Nord, le Sahel, le Proche-Orient, et de favoriser l'émergence d'un nouveau foyer d'islam radical, voire de terrorisme ». Pour eux, il existe un très fort risque que l'élimination ou le départ de Kadhafi ne donne naissance à un « régime plus radicalement antioccidental et tout aussi peu démocratique ». De Charybde en Scylla Les auteurs du rapport, apparemment peu sensible à la belle prose de Bernard Henry Levy, estime que la direction vers un tel régime est « déjà choisie » au vu des « étonnantes alliances contre-nature qui ont été conclues autour de l'affaire libyenne par Washington, pour l'unique défense de ses intérêts stratégiques. Tout laisse craindre que les Occidentaux n'aient oublié l'Afghanistan des années 1990 et, surtout, la vieille histoire de Charybde et Scylla. ». Pour les experts en question, la « Libye est le seul pays du ‘printemps arabe' dans lequel le risque islamique s'accroît, la Cyrénaïque [Est] étant la région du monde arabe ayant envoyé le plus grand nombre de djihadistes combattre les Américains en Irak ». Ils affirment, comme d'ailleurs l'ont fait les responsables algériens, que les pillages des arsenaux dans l'est de la Libye par les insurgés a vraisemblablement servi à approvisionner AQMI notamment en missile sol-air portable SAM-7. Ils soulignent que les autorités maliennes font état d'infiltration d'armes (AK 47, RPG, ZU 23, SAM-7) et de matériel (pick-up et camions de transport de troupes) dans le nord du pays ». Aqmi affirment-ils est entrain de « renforcer son arsenal et d'accroître la menace qu'elle représente pour les Etats de la région ». Le thème du péril islamiste risque de monter crescendo… pour éventuellement justifier une présence occidentale directe après la chute probable de Kadhafi.