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Pourquoi pas une démocratie musulmane?
Publié dans Le Quotidien d'Algérie le 30 - 07 - 2011

La politique au sens moderne du terme est une création de l'Occident et elle n'existe pas dans la culture islamique traditionnelle proche de nous, celle de l'empire ottoman. Dans cette culture, il y a le musulman et le kâfir, le bon musulman et le mauvais musulman. Le hâkem injuste est un mauvais musulman.
Dans cette logique, il ne peut y avoir compétition entre des partis politiques ayant des projets de société différents (capitaliste, socialiste, écologiste, etc.) Le défi auquel sont confrontés aujourd'hui les musulmans, c'est justement d'accepter la libre confrontation des projets au niveau politique, sans pour autant renoncer à la personnalité islamique. Dans les années 30-50, la lutte politique était d'abord et avant tout une lutte contre le colonialisme européen (judéo-chrétien). Aujourd'hui encore, beaucoup d'Algériens voient la lutte politique comme une poursuite du combat contre le néo-colonialisme, les dirigeants actuels étant assimilés à des agents de la France. En Libye les deux camps qui s'affrontent actuellement le font aux cris d'«Allahou Akbar» et disent que ceux qui sont morts au combat sont des chouhâda qui iront au paradis. La simple logique permet cependant de comprendre que l'un des deux camps ne mérite pas ce qualificatif! Pour dépasser cette contradiction, il faut admettre que de bons musulmans peuvent diverger sur la manière de gouverner le pays, accepter le pluralisme.
Le cas de l'Iran est intéressant. Après la révolution khomeyniste, les communistes et autres courants «modernistes» qui avaient pris une part active au processus révolutionnaire furent éliminés. Mais on voit se former aujourd'hui deux camps au sein du mouvement khomeyniste dominant, un camp conservateur et un camp réformiste. Une fois les courants politiques considérés comme étrangers à la culture islamique éliminés, les Iraniens essaient de construire le pluralisme dans un cadre purement islamique, car la société est traversée par des contradictions, même si L'Etat iranien étant un Etat pétrolier rentier, il fonctionne par la distribution de la rente, tout comme les autres Etats pétroliers du monde arabo-musulman et les contradictions de classes sont amorties.
Les grands courants politiques et économiques qui sont nés en Europe seront-ils reformulés d'une manière originale dans l'aire de civilisation islamique? Y-aura-t-il un libéralisme, un socialisme, une écologie islamique?
Certains pays musulmans tels que la Turquie ou la Malaisie ont opté pour une économie libérale, mais la spécificité islamique de ce libéralisme n'apparaît pas encore clairement. Jusqu'à présent les pays qui ont opté pour une économie socialiste (Algérie de Boumédiène, Irak de Saddâm, Libye de Kadhafi, Syrie de Hâfedh-El-Assad, Egypte de Nasser) ont connu de sérieux problèmes internes et l'unanimisme «révolutionnaire» du passé a cédé la place à une situation chaotique faite de prédation et de corruption, sur fond de guerre civile et de violence généralisée.
De quoi sera fait l'avenir? Si l'industrialisation demeure toujours un défi incontournable, sa réalisation paraît aujourd'hui un rêve impossible tant les difficultés sont immenses. Le socialisme reste, malgré l'effondrement de l'URSS, un idéal de solidarité et de justice sociale attractif pour les populations les plus démunies de la planète. La médecine, l'éducation, le transport et les moyens de communication, le logement et même certains produits alimentaires de base peuvent très bien devenir un jour totalement gratuits et accessibles à tous dans un pays ayant une économie moderne performante. Des pays capitalistes développés comme la France, le Canada ou les pays scandinaves s'en rapprochent déjà. Des partis politiques islamiques «socialistes» pourraient très bien appliquer un tel programme, parfaitement en accord avec les principes islamiques de solidarité. Ces partis pourraient entrer en compétition avec d'autres partis islamiques qui seraient en faveur d'une privatisation de ces mêmes services, dans une vision libérale de l'économie. Il n'est donc pas absurde d'envisager un Etat islamique démocratique, c'est-à-dire un Etat ancré dans l'aire de civilisation islamique, dans lequel les intellectuels reformulent les questions politiques, économiques et sociales et en débattent de manière contradictoire et libre dans le cadre d'un repère global islamique, un Etat qui autorise le pluralisme politique et la liberté d'opinion. Après tout le libéralisme et le socialisme marxiste sont tous deux des produits de l'aire de civilisation occidentale judéo-chrétienne et ils se sont fécondés mutuellement depuis deux siècles pour donner les démocraties occidentales modernes, qui n'ont rien à voir avec les Etats capitalistes du 19ème siècle. Qu'est-ce qui interdit en théorie le développement de courants islamiques équivalents, respectueux des principes islamiques de base?
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