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Où va le monde musulman?
L'AVENIR DES RELATIONS INTERNATIONALES
Publié dans L'Expression le 30 - 12 - 2010

La question de la culture et du dialogue des cultures est primordiale pour faire reculer l'ignorance.
Après une décennie du nouveau siècle, il est temps de se poser des questions sur l'avenir. De nombreux observateurs à travers le monde se posent la question: où va le monde musulman, composé de 57 pays et plus d'un milliard et demi de musulmans présents aux quatre coins de la planète? Ce monde hétérogène, qui s'étend sur trois continents, semble prendre la figure du dissident face à l'Occident, dont il est proche, et échappe aux grilles de lectures classiques.
Les préjugés à son égard sont tenaces, alors que l'Occident classique a été judéo-islamo-chrétien et gréco-arabe. Les citoyens occidentaux de confession musulmane sont des ponts et des traits d'union pour le vivre-ensemble qu'il faut valoriser. Des intellectuels occidentaux continuent pathologiquement et arbitrairement de faire croire que «la guerre» est à l'origine de l'irruption de l'Islam dans l'histoire et que la violence lui est consubstantielle. La propagande cherche à faire croire que les éléments incompatibles avec le progrès lui sont enracinés. Ces contre-vérités nuisent aux bonnes relations. L'Algérie est le pays pont, trait d'union entre le Nord et le Sud, entre l'Est et l'Ouest, le plus apte à apaiser les relations internationales.
Accepter la critique
Le monde musulman apparaît comme le sous-développé politique et en même temps celui qui porte en lui une autre version de l'humain; selon les musulmans, vivante, équilibrée et résistante. Héritier d'une civilisation lumineuse, témoin d'une spiritualité vivace, il est traversé par, d'un côté, l'immobilisme et des courants rétrogrades et, de l'autre, par des mouvements de la dilution et la dépersonnalisation fascinés par l'occidentalisation. Aucun d'eux ne représente l'avenir. Nous sommes confrontés aux extrêmes. C'est un combat entre l'ouverture, la mesure et à l'opposé, la fermeture, la démesure. Nous devons nous impliquer par amour de la patrie et retrouver le goût de la culture et de la créativité.
Le monde musulman se veut la communauté du juste milieu, ni tourner le dos au monde, sous prétexte que l'Au-delà est la vraie vie, ni se laisser aliéner par lui, sous prétexte qu'il faut assouvir nos besoins illimités. L'Algérie, attachée à la notion de souveraineté, ayant payé le prix le plus lourd pour son indépendance, est un des pays ponts qui représentent la ligne médiane, même si son niveau de développement ne correspond pas encore à ses immenses potentialités.
La culture de l'Algérie, un des plus beaux pays au monde, est celle de la dignité, de l'hospitalité et de la résistance. Près de cinquante ans après l'Indépendance qui n'a pas réalisé toutes ses promesses, même si au niveau de la culture, de l'éducation et de l'enseignement elle a évolué de façon considérable du point de vue quantitatif, ces secteurs-clés nécessitent davantage de développement et n'ont pas encore atteint le niveau escompté. L'Algérie de 35 millions d'habitants dispose d'une richesse humaine de 9 millions d'élèves dans les écoles et près de 1,5 million dans les universités. Notre pays est seulement en attente d'une dynamique fondée sur le bond qualitatif, après les efforts louables d'édification. Par la culture et la maîtrise de la science, la voix de l'Algérie, forgée par l'Appel de Novembre, sera encore plus forte, aux côtés d'autres grandes nations.
Le drame sur le plan international réside dans le fait que depuis 1989, la chute du mur de Berlin, le monde musulman est dans l'oeil du cyclone, perçu comme une source de «menaces».
L'instrumentalisation de la religion, les archaïsmes conjoncturels et les dérives apportent de l'eau au moulin à cette propagande injustifiable. C'est intenable. Le monde musulman, les prochaines années, doit sortir de cette situation. D'autant que des expériences crédibles de développement sont visibles, comme en Turquie, et que des positions géostratégiques et des richesses ne sont pas un mirage comme en Algérie.
Le monde dominant, aussi puissant soit-il, est décadent. Ce qui complique la situation du monde musulman confronté ainsi à des défis internes et externes. Des médias et des courants d'opinions en Occident, mal-intentionnés, amplifient la peur pour faire diversion aux problèmes structurels de l'ordre dominant et imposent l'idée de citadelle. L'Islam joue un rôle de révélateur des impasses de notre temps.
Cependant, il nous faut accepter la critique, d'autant que l'horizon semble fermé et la démission est la conduite actuelle. L'opinion publique et des observateurs s'interrogent. Ils se demandent si le phénomène de repli est une lame de fond, ou si la raison et le progrès culturel et scientifique vont l'emporter? Mais ils oublient que le repli est le résultat des manipulations et instrumentalisations, le produit des contradictions de notre temps, une responsabilité partagée.
Le vide culturel interne, la crise de l'Ecole et les injustices, mais aussi les inégalités secrétées par les despotismes et le système mondial, la politique des deux poids, deux mesures et les dérives de la modernité consumériste qui déshumanisent, produisent tous ensemble un malaise moral, des réactions obscurantistes et de la violence sociale. Les deux mondes, Orient-Occident, tellement liés et imbriqués, doivent s'interroger sur les difficultés propres à chacun et sur les problèmes et défis de l'humanité. Nul ne pourra tout seul faire face aux incertitudes.
Au lieu de voir dans le monde musulman «le nouvel ennemi» réfractaire au progrès, il est urgent de changer, de comprendre qu'il est capable de contribuer à la recherche d'une nouvelle civilisation, comme par le passé. Il dispose de valeurs et de richesses. Le Monde arabe, figé, retrouvera son équilibre s'il sait oeuvrer, dialoguer et se faire entendre. Ni imitation d'un mauvais Occident, ni imitation d'un mauvais Orient, mais synthèse et articulation raisonnable entre authenticité et progrès, entre l'autonomie de l'individu et le vivre commun, symbiose entre science et éthique, entre le spécifique et l'universel.
Trois priorités
Le Monde musulman doit assumer trois priorités. Sur le plan scientifique, moderniser l'Ecole, la formation, l'éducation, l'enseignement, la culture, donner la priorité absolue à ces questions, pour progresser et faire reculer le chômage, l'incivisme, la pauvreté et les intégrismes. En conséquence, multiplier les possibilités de cultiver, axer l'aide sur la formation sous toutes ses formes est un chemin incontournable. La jeunesse de nos pays a soif de connaissances.
Sur le plan économique, le poids de la bureaucratie, la faiblesse de la culture de l'entrepreneuriat pour produire des richesses, des instruments de régulation pour protéger les faibles et la division internationale du travail, conception au Nord, exécution partielle au Sud, constituent des problèmes de fond. Il s'agit d'éviter le repli et le libéralisme sauvage.
Au plan politique, l'espérance est réelle, malgré des critiques, il faut rester constructif, car le développement dépend de la bonne gouvernance et du renouvellement des élites, pour sortir de l'usure et liquider la mauvaise gestion. L'urgence c'est l'arrêt de toutes les formes d'incompétence et de remobiliser la jeunesse qui prendra conscience que l'avenir est dans nos pays. Tous les jours, des cadres prouvent leur engagement, leur intégrité et leur compétence. Le potentiel existe.
Sur le plan des relations internationales, les problèmes cruciaux qui retardent le développement sont: la volonté d'hégémonie et de domination du monde fondée sur la loi du plus fort et l'ivresse de la logique unipolaire; la mise en oeuvre d'une idéologie néoconservatrice au service d'intérêts à courte vue, dont le contrôle sur les sources d'énergie est un des aspects; diversion par rapport aux problèmes politiques et économiques du monde.
Face au désordre mondial, à la pérennité de la logique d'un centre qui exploite la périphérie, face aux terrorismes transnationaux et à la pauvreté, nous pouvons diverger sur les méthodes pour les résou-dre, mais nous différons surtout sur l'évaluation des causes et l'identification des responsabilités, car les inégalités et les sources de la pauvreté et de la violence aveugle sont multiples. Sans jamais justifier les dérives, il y a lieu de s'attaquer à leurs causes profondes. La mondialisation est dominée par l'américanisation, même si des puissances nouvelles émergent. Le Monde arabe doit revoir sa relation incontournable avec l'Europe et les USA. Il est important d'insister sur le fait que le peuple américain est un peuple ami et la nation américaine une grande nation. Le monde entier a besoin de la stabilité et de la crédibilité de la première puissance; notre avenir, en partie, en dépend. Les USA, ne l'oublions pas, sont héritiers du siècle des Lumières et attachés aux valeurs de liberté. Ce qui inquiète ce sont des aspects de leur politique étrangère, tant sur le plan des actes unilatéraux que sur celui d'une vision fondée sur le double standard. Notre démarche, par attachement aux principes de la démocratie universelle, est de continuer à dire à nos amis américains: nous souhaitons renforcer nos liens, favoriser la prééminence du droit international, notamment culturelle, commerciale et économique. Ce qui nous ne dispense pas de dire que nous ne sommes pas d'accord sur ce qui se passe en Palestine. Tout comme nous ne cesserons pas de répéter à l'opinion internationale que l'extrémisme est l'anti-Islam. L'heure n'est pas à l'amalgame, mais à l'alliance entre tous les pays et tous les citoyens du monde épris de liberté, de justice et de paix, quelles que soient leurs religions et leurs cultures. La question de la culture et du dialogue des cultures est primordiale pour faire reculer l'ignorance, source de tant de maux. La mondialisation est inégale et contredit toutes les cultures traditionnelles, notamment au vu de l'économisme fondé sur l'exploitation exponentielle de toutes les ressources, sans tenir compte des critères éthiques, culturels et écologiques. Situation qui porte atteinte à l'écosystème et transforme les cultures et traditions en folklores coupés du mouvement de la vie. Même si la complexité de l'époque et le poids de la mondialisation sont immenses et que le monde musulman reste matériellement faible, il résistera encore face à la deshumanisation et aux injustices. Reste à ce que cette résistance soit coopérative et réfléchie et non sauvage et subjective. Le monde musulman, s'il se réforme, favorisera l'humanisme et le pluralisme dans les relations internationales. De source apparente de menaces, il sera enfin compris comme partenaire salutaire.
Il peut former des êtres humains qui ont un sens ouvert de la vie, l'éthique, capable de tenir face au monde désignifié et consumériste, face à la marchandisation, aux remises en cause des fondements de l'humanité. Mais il n'y a pas d'avenir si la créativité, la critique constructive de soi et de l'autre et l'ouverture au changement ne sont pas mises en oeuvre.
La mondialité, la modernité, la mondialisation s'appuient sur des moyens décisifs et incontournables de la science et de la technique; assumons-les, tout en actualisant notre sens de l'éthique et de l'humain. Relever les défis de manière autocritique, logique, permettra de se désenclaver, de corriger nos dérives et celles de notre temps, dans l'échange, le dialogue et le respect de la différence.
Il est vital de réfléchir et travailler ensemble, investir en commun, partager des richesses et montrer que nul n'a le monopole du progrès et de la raison. Il reste un avenir, si on se souvient qu'unité et diversité et paix et justice sont inséparables. Win-Win devrait être le mot d'ordre pour tous nos actes. Le devenir est commun.
(*) Spécialiste du dialogue des civilisations
www.mustapha-cherif.net


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