Février, 2011 : Bouteflika mis sous tutelle de l'armée C'est l'armée qui a pris les choses en main en Algérie. A l'annonce de l'organisation de manifestations à Alger contre le régime, les généraux ont décidé de gérer eux-mêmes cette crise. Ainsi, le palais El Mouradia a été mis de côté et les décisions les plus importantes ont été prises au siège de l'état-major. Alors qu'au début, toute contestation contre Abdelaziz Bouteflika semblait la bienvenue de la part des militaires, la donne a radicalement changé depuis la chute de Ben Ali et de Moubarak. Aujourd'hui, les militaires algériens sont conscients que si la contestation venait à prendre, personne ne peut savoir sur quoi elle peut déboucher. C'est pourquoi la levée de l'état d'urgence a été décidée, de même que l'idée d'un vaste remaniement gouvernemental commence à faire son chemin. Il semblerait que l'on cherche à remplacer Ahmed Ouyahiya, devenu très impopulaire. L'armée reproche au président Bouteflika et à la classe politique de ne pas avoir tiré avantage des montagnes de devises dont dispose le pays afin de relancer la machine économique. Face aux réticences du président Abdelaziz Bouteflika, les généraux ont pris les commandes et ont décidé de contrer fermement les manifestations et de lancer quelques réformes. Une manière de mettre le président sous tutelle jusqu'aux prochaines élections présidentielles. Mars, 2011 : La France s'inquiète pour l'Algérie Les rapports transmis ces derniers jours au Quai D'Orsay par les diplomates français en poste à Alger ne brillent pas particulièrement par leur optimisme. Selon ces notes diplomatiques, la classe dirigeante algérienne, aussi bien El Mouradia que l'armée, serait dépassée par le mouvement de démocratisation qui secoue le monde arabe. Certains diplomates français qui ont rencontré récemment des ministres et des généraux algériens se disent surpris par l'apathie de ces derniers face à ce qui se passe dans leur environnement immédiat. Les officiels algériens sont complètement tétanisés par la tournure que prennent les événements. Ils savent que si jamais la contestation prend en Algérie, ce sera la fin pour tout le monde. L'armée, semble-t-il, est aujourd'hui consciente que si le pouvoir venait à faire la première concession, d'autres suivraient immédiatement. Les généraux ont surtout peur qu'on leur demande d'ouvrir les dossiers de la guerre civile qui a ensanglanté le pays entre 1990 et 2001. L'armée algérienne a beaucoup de cadavres dans son placard. Elle sait que si un système démocratique s'installe dans le pays à l'image de ce qui s'est passé en Egypte et en Tunisie, plusieurs généraux seraient traduits devant la justice. Au Quai D'Orsay, on prédit une explosion en Algérie dans les mois prochains. Cela interviendra quand le processus de démocratisation en Tunisie et au Maroc sera enclenché, croient savoir les analystes français. Mai, 2011 : L'ANP change de doctrine militaire Le torchon brûle entre l'Algérie et le Conseil de Transition libyen (CNT). Les autorités algériennes continuent d'apporter toute leur aide au colonel Mouammar Kadhafi pour tenter de sauver son pouvoir ou tout au moins lui aménager une sortie honorable. L'armée algérienne a pris les choses en main et redéployé ses forces terrestres et ses moyens aériens vers ses frontières de l'Est. Le pouvoir algérien a aujourd'hui peur que les rebelles du CNT ne se vengent d'Alger en aidant certaines fractions d'AQMI qui s'activent sur les frontières entre le Nord du Mali, le sud de l'Algérie et le Sud Ouest libyen. Des sources bien informées à Alger ont révélé que derrière ce changement de doctrine militaire algérienne, qui situe le danger non plus à la frontière avec le Maroc et la Mauritanie, mais avec la Tunisie et la Libye, il y a trois généraux aguerris dans la lutte contre les GIA et l'AIS. Il s'agit du général-major Abderrazak Cherif (Commandant de la 4ème région militaire, basée à Ourgla dans le Sud /Ouest), le général-major Ben Ali Benali (Commandant de la 5ème Région militaire, basée à Constantine /Est) et le général-major Amar Athamnia (Commandant de la région militaire basée à Tamanrasset/Extrême Sud). Les trois officiers supérieurs, qui font partie de la nouvelle génération d'officiers, ont accompagné une délégation américaine en tournée le long de la frontière algéro-libyenne. Les Américains essaient par tous les moyens de rapprocher les Algériens des rebelles libyens, mais sans succès. Le seul homme que les Algériens ont accepté de voir est le colonel Khalifa Haftar, qui s'est réfugié aux Etats-Unis après la défaite de Kadhafi face au Tchad dans les années 80. Mai, 2011 : L'étrange retour d'«El Mokh» A Alger, le retour aux affaires du général Touati après des années d'anonymat a chamboulé les rapports de force au sein du régime. Alors que celui qu'on appelait «El-Mokh» avait officiellement quitté toutes ses fonctions au sein de la présidence et de l'ANP, Bouteflika s'est retrouvé dans l'obligation de lui dérouler le tapis rouge afin de sauver un système politique plus que jamais affaibli. En effet, le général major Mohamed Touati, considéré comme une des éminences grises de l'armée algérienne, n'a jamais été un allié pour Bouteflika. Bien au contraire, dès les premières années de son règne, Bouteflika a tout fait pour écarter cet homme rusé, considéré comme une tête pensante du clan des généraux. Pour Bouteflika et ses alliés, il était important d'évincer cet homme afin de marquer la fin d'une époque au sein de l'armée algérienne. Mais la victoire de Bouteflika n'a pas duré longtemps, car le cerveau est de retour. Ce qui semble que Bouteflika à travers la nomination surprise du général Touati, a tendu une main amicale au clan militaire avec lequel il cherche désormais à conclure la paix. Bouteflika a délégué Abdelmalek Guenaïzia qui a négocié pendant plusieurs jours avec le général Touati et d'autres anciens généraux comme Taghit et Nezzar afin de les rallier à une cause commune : celle d'unir les efforts de tous pour dépasser cette crise aiguë par laquelle passe le régime Algérien. Les militaires savent très bien que la fin de Bouteflika n'arrangera pas leurs affaires car les lobbys américains et français n'accepteront pas une nouvelle période d'instabilité dans le pays. Ils ont donc accepté de contribuer aux réformes de Bouteflika mais avec « leurs conditions ». Ainsi, en échange de sa participation à la commission de Bensalah, le clan de Toufik, dont les intérêts sont défendus par Ahmed Kherfi, responsable de la Direction de la sécurité intérieure (DSI), et les anciens généraux, a exigé un engagement de Bouteflika pour ne jamais laisser une porte ouverte au retour à la politique des anciens du FIS. Par ailleurs, Bouteflika a été amené à réduire de 7.000 à 4.000 le nombre des détenus du FIS qui seront prochainement libérés. Une liste noire de prisonniers du FIS a été élaborée par les militaires. Les inscrits sur cette liste ne doivent en aucun cas quitter les prisons car ils détiennent des informations stratégiques sur les dessous de la guerre civile. Le clan présidentiel s'est aussi engagé à ménager Ouyahia et ses amis jusqu'en 2014. Les militaires tiennent toujours à leur soldat et ne veulent pas le voir éjecté du gouvernement. Une fois ces détails réglés, le choix s'est naturellement porté sur le Général Touati pour rejoindre la commission de Bensalah. De l'avis de toutes les parties prenantes, le Général Touati est connu à Bruxelles et à Washington, et il est apprécié par les partenaires étrangers. Il saura donner l'illusion que le régime algérien est uni pour guider le pays à bon port. Reste à savoir enfin si vraiment le sérail a réussi à dépasser ses clivages en Algérie pour résister à la contestation populaire dont la dimension sociale risque rapidement de s'effacer pour laisser la place à des revendications politiques dangereuses pour la survie du régime Algérien. Juin, 2011 : Paris réconcilie Bouteflika et le DRS Après des années de relations tumultueuses, Bouteflika et la France se réconcilient. La conjoncture internationale nouvelle a, visiblement, poussé le président algérien à ne plus faire confiance à ses protecteurs américains. Le sort réservé aux dictateurs arabes a incité Bouteflika, un fin stratège, à reconfigurer les relations algéro-françaises. Aujourd'hui, il accepte de donner aux entreprises françaises la plus grande part du gâteau du prometteur marché algérien. Mais pour cela, un deal a été conclu avec Jean-Pierre Raffarin, l'envoyé spécial de Sarkozy et monsieur Algérie à l'Elysée. En guise d'une protection française et des efforts diplomatiques pour améliorer l'image de l'Algérie, Bouteflika éjecte du marché ses amis des pays du Golf et offre sur un plateau en or les contrats les plus juteux aux sociétés françaises en difficultés par ces temps de crise. Selon des indiscrétions de l'Elysée, les services de la diplomatie française ont joué un rôle important dans l'élaboration de la feuille de route proposée par Bouteflika pour réformer le régime. Ce sont les français qui ont convaincu Bouteflika d'associer les militaires à la commission de Bensalah. Ils lui ont bien expliqué qu'il était temps de faire la paix avec le clan des généraux et des services de Mohamed Mediène alias Toufik-le DRS. Pour cela, ils ont fait l'intermédiaire entre le clan présidentiel et les lobbies militaires pour arriver à un accord général sur la feuille de route à adopter. Pour les services français, il fallait éviter à tout prix que la situation s'embrase en Algérie. En outre, Alain Juppé et J.P. Raffarin ont exercé une énorme pression sur Sarkozy pour intervenir en Algérie afin d'aider Bouteflika à traverser cette zone de turbulences. Ils ont bien expliqué à Sarkozy que l'Algérie ne doit pas être la Libye ou le Yémen. Cela sera dangereux pour la France et tout le Maghreb. Les entreprises françaises en quête de gros contrats pour se sauver de la faillite aurait payé très cher la facture des nouveaux troubles en Algérie. Cependant, tout indique que le travail des réseaux français en Algérie n'a pas été de tout repos. Bouteflika qui cherche à tout prix à se débarrasser d'Ouyahia s'est retrouvé obligé à mettre de l'eau dans son vin. A ce sujet, les français l'ont persuadé qu'il n'est pas de son intérêt de trop bousculer les rapports de forces. Idem pour la libération des détenus du FIS. Cette dernière mesure a fâché le clan militaire. Et c'est une nouvelle fois les émissaires français qui sont intervenus pour négocier avec Bouteflika le gel de cette décision afin de maintenir la cohésion du régime. Pour le moment, seule cette cohésion, soigneusement cousue par El Mouradia et l'Elysée, garantit à Alger un semblant de tranquillité et quelques moments de répit. Juin, 2011 : Pourquoi Bouteflika a lâché Kadhafi La décision de geler les avoirs de la famille de Mouammar Kadhafi en Algérie a choqué plus d'un. Alors que jusque-là, Alger apportait un soutien sans faille au régime du Guide de la révolution, ce revirement est survenu après la visite dans la capitale algérienne du chef de l'Africom, le général Carter F. Ham. Lors d'une conférence de presse, le général américain a démenti avoir vu des rapports officiels faisant part de l'envoi, depuis l'Algérie, de mercenaires en Libye. Mais les choses n'étaient pas aussi cordiales que l'ont rapporté les médias Algérois. En effet, lors de sa rencontre avec les hauts responsables militaires algériens, le chef de l'Africom leur aurait montré des clichés pris par des satellites américains sur lesquels on voyait bien des colonnes de véhicules se rendant de la frontière algérienne vers l'intérieur de la Libye. Le général Carter F. Ham a également fait part à ses interlocuteurs, d'informations portant sur l'aide militaire accordée par l'armée algériennes aux brigades de Mouammar Kadhafi. Il leur aurait même affirmé que les combattants rebelles détenaient des hauts gradés de l'armée libyenne qui ont divulgué les noms des officiers algériens qui traitaient avec eux. En échange de l'arrêt de l'aide algérienne et d'un lâchage en règle de Kadhafi sur le plan politique, les Etats-Unis pèseront de tout leur poids pour que le Conseil national de transition accepte de se réconcilier avec l'Algérie. Chose qu'à Benghazi, on commence à envisager vu le poids de l'Algérie dans la région. Juillet, 2011 : L'Europe fait du charme à Bouteflika La crise financière qui frappe de plein fouet l'Europe et l'enlisement du conflit en Libye font les affaires de l'Algérie. Ces deux bouleversements économiques et géostratégiques ont, en tout cas, fourni au président Abdelaziz Bouteflika une occasion inespérée pour revenir en force sur l'échiquier international. D'ailleurs, la visite, ces derniers jours, du ministre italien des Affaires étrangères Franco Frattini, confirme bel et bien qu'Alger est désormais en position de force pour imposer ses vues. En effet, selon plusieurs sources concordantes, Franco Frattini s'est engagé devant Bouteflika à veiller au respect des intérêts de l'Algérie une fois le régime de Mouammar Kadhafi renversé. Le ministre italien a carrément promis que le gaz libyen ne remplacera jamais le gaz algérien qui alimente désormais l'Italie. Alger qui craint un effondrement des recettes de ses ventes de gaz après la chute de guide de la révolution libyenne, a donc été rassurée. Et pour cause, par la voix de Franco Frattini, l'Europe a garanti à Alger que les partenariats énergétiques vont être toujours sauvegardés et renforcés. Ainsi, Bouteflika et Frattini ont convenu secrètement de discuter du projet d'un nouveau gazoduc qui reliera l'Algérie à l'Italie en plus des gazoducs existants (Galsi et Enrico Matteï) qui transitent par la Tunisie. Frattini s'est également engagé auprès du président algérien à convaincre ses partenaires européens de donner suite aux commandes d'armes de l'Algérie. Pour ce faire, l'Italie œuvrera à équiper militairement l'armée algérienne pour faire face au renforcement en armes, en hommes et en argent des groupes terroristes opérant au Sahel. Devant de tels compromis, Bouteflika ne pouvait cacher sa joie. Pour une fois, l'Europe lui fait des concessions sans lui exiger des avancées démocratiques. Août, 2011 : Algérie : Le FIS veut reprendre du «service» L'annonce en a surpris plus d'un à Alger. Alors que l'on croyait le Front Islamique du Salut définitivement mort et enterré, voilà que l'ancien émir de la « katiba Al Wafa » au maquis de Médéa, Sid Ali Benhadjar sort de l'ombre et se rappelle au souvenir de ses concitoyens en appelant à la tenue d'un congrès constitutif pour la réhabilitation du FIS dans le paysage politique algérien. Sid Ali Benhadjar qui a été l'un des premiers à bénéficier de la Loi sur concorde civile promulguée en 2000, avait quitté les GIA en 2006 pour fonder la Ligue islamique pour la Daâwa et le Djihad-LIDD. Ensuite, il s'est éclipsé avant de réapparaitre pour donner une version qui dédouanait le DRS dans l'affaire des moines trappistes de Tibhérine. Aujourd'hui, il refait surface pour contrer l'initiative Abdallah Jaballah, ancien chef d'Ennahda wal Islah, qui a appelé les anciens du FIS à le rejoindre au sein de son nouveau parti qu'il vient juste de créer. Sid Ali Benhadjar n'a pas mâché ses mots envers le président et le gouvernement qu'il accuse de « tromperie ». Les observateurs ont toutefois noté qu'il n'a pas eu de mot envers les militaires. Une attitude qui en importuné plus d'un parmi les anciens cadres du FIS. Septembre, 2011 : Les raisons de la lente décrépitude de la diplomatie algérienne Les hésitations de la diplomatie algérienne sur le dossier libyen ont conforté l'idée de plus en plus répandue dans les chancelleries accréditées à Alger que la machine diplomatique algérienne tant redoutée par le passé, n'est plus que l'ombre d'elle-même. Depuis plus de huit ans déjà, la diplomatie algérienne peine à s'imposer dans ce qui était jusqu'il y a récemment son terrain de prédilection, à savoir l'Afrique et l'Amérique Latine. Plusieurs raisons, d'après les observateurs, sont derrière ce déclin. Le premier est paradoxalement lié à l'arrivée du président Abdelaziz Bouteflika. Flamboyant diplomate et orateur hors pair, le président a marginalisé le ministère des Affaires étrangères au profit des relations personnelles qu'il entretient avec les chefs d'Etat d'autres pays. De plus, la cellule diplomatique d'El Mouradia a supplanté le ministère quant à la conduite des dossiers importants. Il faut dire que la personnalité de Mohamed Bedjaoui, brillant juriste qui a présidé aux destinées de la diplomatie algérienne avant l'arrivée de Mourad Medelci, n'a pas arrangé les choses. Francophone accompli, Bedjaoui, très respecté en Europe, n'a que rarement daigné s'occuper des relations avec les pays arabes et africains qu'il n'a pratiquement pas visités durant son mandat. Aujourd'hui, l'actuel ministre des Affaires étrangères n'a pour seul mérite, d'après d'anciens diplomates algériens, que celui d'être né à Tlemcen dans l'Ouest du pays. Medelci a fait toute sa carrière dans les ministères du Commerce et des Finances. C'est dire que l'homme souffre d'une méconnaissance totale des dossiers géostratégiques du moment. Le véritable patron de la diplomatie algérienne est aujourd'hui Abdelkader Messahel, chargé des Affaires africaines et Maghrébines. Messahel est celui qui donne le tempo concernant le dossier du Sahel, les relations avec les pays africains et, même sur le dossier libyen, il serait très écouté. D'autre part, Paris, l'une des « places fortes » de la diplomatie algérienne, est quasiment à l'arrêt. Missoum Sbih, très proche de Bouteflika, et dont le fils avait trempé dans un retentissant scandale il y a quelques années, est très décrié au sein du ministère des Affaires étrangères. Les hauts cadres du ministère trouvent que Missoum Sbih renvoie une piètre image de l'Algérie, d'autant plus qu'il ne maîtrise pas suffisamment les bons réseaux parisiens. Plusieurs cadres du ministère des Affaires étrangères algérien pensent à adresser une lettre ouverte à l'opinion publique pour dénoncer « la descente aux enfers » de ce qui fut il y a une vingtaine d'années l'une des diplomaties les plus puissantes du monde. À suivre Lectures: 26