Lorsque ceux qui savent ne peuvent pas et que ceux qui peuvent ne savent pas, alors s'installe durablement un équilibre basé d'une part sur le mensonge, la manipulation et les faux-semblants et d'autre part sur la servilité, la mentalité de harkis du système et de courtisans. Lorsque, de plus, ceux qui détiennent le pouvoir disposent d'une rente inépuisable, alors la corruption devient la culture dominante et le clientélisme, le seul mode de gouvernement. Et lorsque, par malheur, ceux qui détiennent le pouvoir effectif sont des militaires, alors on a affaire à une conjonction particulièrement négative de plusieurs facteurs qui entraîne toute la société dans une dérive mortelle. La corruption, la prédation et le clientélisme font alors alliance avec l'arbitraire, la brutalité, le mensonge et la manipulation pour briser toute velléité de résistance et maintenir la société dan un état de profonde léthargie. Le divorce entre pouvoir et savoir entraîne inévitablement un divorce entre l'Etat et la société. Il entraîne aussi la faillite économique et – plus grave encore – la faillite morale. Les voix qui dénoncent l'arbitraire, l'injustice et la corruption deviennent de plus en plus rares. Ceux qui sont capables d'orienter le cours des événements dans le sens du redressement disparaissent les uns après les autres de la scène, laissant le champ libre aux charlatans et aux escrocs. Ces derniers peuvent alors donner libre cours à leurs instincts les plus destructeurs. La société n'a plus d'anticorps. C'est dans cette situation que se trouve notre pays aujourd'hui. Il ressemble de plus en plus à un immense quartier mal famé où le petit peuple subit quotidiennement toutes sortes d'agressions pendant que la minorité qui se trouve au sommet de la pyramide se livre à la prédation et au pillage. Le peuple assiste impuissant au naufrage, se laissant entraîner dans le grand mouvement de gaspillage de la rente qui s'apparente de plus en plus à une razzia des temps modernes. C'est à qui arrivera à décrocher la moindre parcelle du butin. Chacun à son niveau ne rêve que de s'emparer de quelque chose, n'importe quoi : postes, terrains, logements, voitures, indemnités, augmentations, dérogations, licences, crédits… Rien ne semble pouvoir arrêter cette course de tout un peuple qui a perdu tous ses repères vers la ruine complète, économique, intellectuelle et morale. Dans les temps anciens, c'était aux prophètes et aux saints qu'échoyait la tâche de réformer les sociétés corrompues et de les entraîner sur la voie de la régénération morale. Aujourd'hui, ce sont les intellectuels lucides et les militants politiques sincères qui assument ce rôle. Le principe reste le même, cependant : il s'agit de donner le bon exemple et de prêcher la bonne parole, afin d'amener de plus en plus de personnes à refuser de continuer dans la même voie suicidaire. Il s'agit de refuser de participer à la curée et de revenir aux valeurs de base qui fondent toute société humaine, à commencer par le patriotisme. Il faut, en effet, réapprendre à aimer ce pays qui est le nôtre, à le chérir et à lui vouloir tout le bien. Un bon gouvernement est tout simplement un gouvernement qui veut faire le bonheur du peuple, dans tous les sens du terme. Un bon chef d'Etat est celui qui est soucieux de voir le plus modeste paysan, dans le coin le plus reculé du pays, disposer de sa part de la richesse nationale et bénéficier des mêmes droits que celui qui vit dans la capitale et qui est « bien placé » dans les sphères du pouvoir. C'est celui qui ne tolère pas l'arbitraire et l'injustice. Mais pour avoir cette attitude, il faut d'abord aimer son peuple et vouloir son bonheur. C'est cela qui nous fait défaut, aujourd'hui. Il y a trop de mépris chez nos dirigeants et trop d'arrogance. Ce mépris et cette arrogance sans bornes sont le résultat de 50 années de règne sans partage de la même clique et du même système policier basé sur la peur et le mensonge. Jusqu'à quand allons-nous encore subir ce système pourri? Alors que nos frères et sœurs tunisiens sont en train de nous donner chaque jour la preuve que le chemin du salut passe par la rupture radicale avec la culture de l'exclusion et du mépris implantée pendant des décennies par les imposteurs, nous continuons de subir un système pourri mené par un petit groupe largement discrédité. Nous n'arrivons pas encore à trouver le courage de dire NON et de nous engager dans la voie de la dignité et du véritable progrès, celui qui est basé sur la liberté, la justice, le respect de la personne, le savoir et le travail. Nous continuons à écouter les mêmes vieillards séniles et les mêmes charlatans dressés par 50 années de trahison et de lâcheté nous débiter les mêmes insanités et les mêmes discours mensongers. Alors qu'il ne se passe pas un jour sans que l'on assiste à une nouvelle escalade dans la désespérance – immolation, harga, suicide, drogue, folie… – la chaîne de télévision du pouvoir continue de braquer tous ses projecteurs sur boutef et ses ministres, glorifiant leurs moindres faits et gestes et ignorant superbement le reste de la population et son désespoir. D'où viendra donc le salut? Qu'attendent donc nos élites pour prendre leurs responsabilités? L'Algérie a besoin de tous ses enfants les plus sincères pour la débarrasser du mal qui la ronge. Les Algériennes et les Algériens valent mieux que cela. Ils sont capables de briller dans tous les domaines et ils le font lorsqu'ils arrivent à se soustraire à l'emprise maléfique du système pourri qui étouffe le pays. Nous devons chasser les imposteurs et prendre notre destin en main. Nous sommes le peuple souverain et nul individu n'a le droit de nous imposer sa loi d'airain, surtout lorsqu'il est médiocre et sans honneur.