Des familles égorgées pour « la noble cause » Sig, mercredi 17 mai 2000 (1): A la sortie de la ville, le chef attend patiemment le retour de ses hommes partis de nuit accomplir une « noble et exaltante mission » à la cité Aïs. Les voilà de retour au petit matin, pas vraiment fiers. Ont-ils raté leur mission ? Le chef n'ose le croire, tant le « travail » à faire était d'une facilité déconcertante : égorger une famille entière vivant dans une misérable masure sans aucune protection d'aucune sorte. Il interpelle son adjoint qu'il avait chargé de superviser ce commando de jeunots en mission d'assassinat pour la première fois : - Alors que se passe-t-il ? Ne me raconte surtout pas que vous avez échoué dans une mission aussi facile ! - Non non, aucun problème. Les cinq membres de la famille, père, mère, et les trois enfants ont bien été égorgés proprement sans souffrir, comme des moutons de l'Aïd. - Pourquoi donc ces gueules atterrées, comme s'ils avaient exécuté leur propre famille, et même si cela devait un jour leur être demandé ils n'auraient pas à pleurnicher sur leur père et mère. - N'oublie pas que c'est leur première « noble et exaltante mission ». - Bon, écoutez-moi jeunes gens, ce que vous venez de réaliser sera inscrit dans l'histoire de la révolution islamique, que dis-je dans l'Histoire tout court. Les jeunes gens fraîchement recrutés ne sont pas vraiment convaincus de la nécessité d'égorger de pauvres gens, totalement dénudés, ne disposant même pas de quoi se payer le repas du soir… Le chef, en fait l'émir de la katiba de Mascara, reprend son prêche : - Cette glorieuse action était nécessaire pour déstabiliser le régime impie, et préparer l'avènement de la république islamique. Les jeunes gens encore effrayés par l'ignoble assassinat qu'ils viennent de commettre échangent des regards incrédules. Tuer de pauvres innocents pour réaliser la révolution islamique ? Constatant la persistance de leur trouble, l'émir assassin relance ses arguments : - Ces gens que vous venez d'égorger, savez-vous qu'ils iront directement au paradis sans avoir à expier des fautes quelconques ? Quoi, ils iront au paradis ! De quoi il parle celui-là ? Pourquoi alors les avoir égorgés ? Le chef persiste et signe, cherchant à percer le crâne de ces ouailles : - Savez-vous à qui revient le mérite de leur entrée au paradis ? Mais c'est à vous qu'ils le doivent. Vous aussi vous irez au paradis grâce à cette noble mission accomplie pour le triomphe de la révolution islamique. Et le jour où vous les rencontrerez au paradis, ils vous remercieront chaleureusement de les avoir égorgés pour la noble cause, et de leur avoir permis ainsi de se laver de toutes fautes et d'accéder au jardin éternel. Compris ? Alors à la prochaine mission. (2) La vie et la mort entre deux côtelettes ! Caserne de la sécurité militaire, mess des officiers : Le capitaine frétille sur son siège, et pour cause : il est assis aux cotés de son chef le redoutable colonel surnommé « le salopard », ne craignant rien ni personne, même pas Dieu trop loin auquel de toutes façons il ne croit pas. Le capitaine attend le moment le plus favorable pour solliciter les instructions de son supérieur : l'instant magique où le colonel ayant avalé sa première côtelette s'apprête à ingurgiter la deuxième. Et encore tout dépend de la qualité des viandes qui lui sont servies avec beaucoup de crainte ! (3) Enfin, il semble que le moment privilégié soit arrivé : - Ah ! Quelle délicieuse côtelette, d'où provient-elle, interroge « le salopard » ? - De Aïn Lahdjel mon colonel. - Je m'en doutais, j'ai nettement senti l'odeur enivrante de la forêt d'El Margueb, et le goût de l'alfa dont se régalent les moutons de la région. - Vous êtes un fin connaisseur mon colonel. - Je ne te le fais pas dire. Voyons quelle saveur aura la deuxième côtelette… - Mon colonel, si vous permettez, j'attends vos instructions. - A quel sujet ? Ne me gâche pas le plaisir de ce repas s'il te plait hein ! - Non non mon colonel, juste un ordre au sujet des deux individus que nous hébergeons (tu parles d'euphémisme) depuis quinze jours, aux frais de la princesse soit dit en passant. Il est temps de décider de leur sort. (4) - Tu veux parler de ces deux…Comment désignait notre ami Paul Aussaresse nos « glorieux » militants arrêtés durant la bataille d'Alger ? - « Les connards » mon colonel. - Oui, c'est bien çà, alors ces deux « connards » sont mariés ? - L'un d'eux oui, il a même deux enfants en bas âge. - Bon, on va lui faire une fleur : tu le refiles au juge, avec 20 ans pas moins. A sa sortie il pourra assister au mariage de ses enfants. Le juge a intérêt à exécuter ce qui lui est indiqué, je le tiens à l'œil celui-la avec toutes ces belles affaires qu'il réalise sous notre protection : vente de lots de terrains achetés comme terres agricoles et vendus comme lotissements, vente au milliard de maisons achetées au prix symbolique, etc…etc… - Bien mon colonel, et le célibataire… - Ah quelle côtelette, aussi savoureuse que la première. Elle vient d'où cette viande ? - D'El Yachir, près de Bordj Bou Arreridj mon colonel. - Là nous ressentons le parfum inégalable des hauts plateaux. - Pardon mon colonel de vous interrompre, vos instructions pour le célibataire ? - Liquide-le, il n'y aura pas d'enfants pour pleurer sa disparition. Plus fort, plus fort, on n'entend rien dans ce mess ! - Pardon mon colonel, plus fort quoi ? - « Sports et musique » (5) voyons, à quoi voudrais-tu que je m'intéresse ? Chef, que nous proposes-tu comme plat de résistance pour terminer comme il se doit ce repas délicieux ? - « M'Kefen Fi Drouj » mon colonel ! - Quoi quoi ? « M'Kefen Fi Drouj » ! Ha ha ha…c'est bien de circonstance. Allons-y pour ce…je traduis en bonne langue de notre métropole chérie : « Met enveloppé dans un linceul sur des escaliers ». Ah ah ah…tu ne manques pas d'humour chef ! C'est quoi ce plat à priori bizarre ? - Il s'agit de viande hachée grillée dans une feuille de combe. C'est un plat typiquement constantinois. - Et pour le dessert ? - Baba au Rhum mon colonel. - Bon le Rhum suffira, tu garderas le Baba pour un autre jour. (1) Mercredi 17 mai 2000: Cinq personnes d'une même famille découvertes égorgées dans leur domicile à la cité Aïs, dans la ville de Sig (Mascara). Source : http://www.algeria-watch.org/mrv/2002/chrono/chrono_2000a.htm (2) Samedi 27 mai 2000: Quatre citoyens appartenant à une même famille égorgés par un groupe armé à Tizi Ouchir, près de Miliana. Source : http://www.algeria-watch.org/mrv/2002/chrono/chrono_2000a.htm (3) Type de pratique rapporté par un officier de la SM à Blida durant les années 1990. (4) Algérie, La machine de mort : http://www.algeria-watch.org/fr/mrv/mrvtort/machine_mort/machine_mort.htm (5) « Sport et musique », sobriquet donné à S.M. pour qualifier la sécurité militaire : la musique à fond pour couvrir le « sport », c.a.d. les tortures infligées aux pensionnaires « hébergés aux frais de la princesse ». Abdelkrim Badjadja Consultant en Archivistique Lectures: Error gathering analytics data from Google: Insufficient quota to proceed.