Association des magistrats injustement révoqués Deux magistrats portent plainte contre Tayeb Belaïz El Watan, 4 mars 2012 Le secrétaire général de l'Association des magistrats injustement révoqués s'est interrogé hier sur le blocage du traitement des dossiers de juges mis en cause. Il annonce le dépôt de deux plaintes contre le ministre de la Justice et dénonce «la mainmise» de ce dernier sur le Conseil supérieur de la magistrature… Après un silence radio de près d'une année, le secrétaire général de l'Association des magistrats injustement révoqués, Mohamed Bakhtaoui, est sorti de sa réserve pour dénoncer ce qu'il a qualifié de «manipulation» des membres de la commission installée par la présidence de la République, pour statuer sur les cas des révocations suspectes des juge. «Nous avons fait exprès de rester à l'ombre pour permettre à cette commission de travailler dans la sérénité. Nos contacts nous ont permis d'avoir une entrée auprès du président de la République, afin de lui remettre les dossiers durant l'été dernier. En septembre 2011, nous avons remis au premier magistrat du pays une lettre explicative sur la situation», note M. Bakhtaoui, ajoutant que le président voulait un rapport sur «mon cas qui impliquait directement Ali Badaoui, l'ex- inspecteur général». Quelques jours plus tard, Ali Badaoui a été retiré de son poste. «Le 15 septembre 2011, nous avons remis à la commission de la présidence une liste de 311 cas de magistrats injustement révoqués. Après une vingtaine de jours, une première liste de 53 magistrats à réintégrer a été établie. Il s'agit de ceux qui avaient obtenu des décisions de réintégration auprès du Conseil d'Etat, ceux relaxés dans le cadre de leurs affaires ou réhabilités par le Conseil supérieur de la magistrature. Chemlal Ali a été le premier magistrat convoqué par Aït Aoudia, directeur du personnel, pour reprendre son travail, mais comme administratif, et non pas comme juge», précise M. Bakhtaoui. Présent dans la salle, Chemlal Ali intervient : «J'ai dit au responsable que personne n'est habilité à me confisquer ma qualité de magistrat. Je veux ma réintégration en tant que juge et non pas un recrutement.» Reprenant la parole, M. Bakhtaoui affirme que près de 70 magistrats ont été révoqués entre 2002 et 2004, «une bonne partie avait obtenu gain de cause auprès de la Cour suprême, ce qui a poussé le ministre à muter toute l'équipe qui dirigeait cette haute juridiction et à placer une autre qui lui est acquise, tout comme le Conseil supérieur de la magistrature. Récemment, le président de la Cour suprême avait déclaré que les sanctions contre les juges sont décidées par les pairs de ces derniers. Faux. Ces décisions émanent de la chancellerie. D'ailleurs, elles sont connues avant même que le conseil ne statue». Poursuivant son réquisitoire contre le ministre de la Justice, M. Bakhtaoui se demande pourquoi la commission a mis fin à l'examen des dossiers. «Y a-t-il eu interférence ? Est-ce que le ministre a mal informé le président sur nos revendications ? Nous ne sommes pas en train de perturber les réformes comme certains veulent bien faire comprendre au premier magistrat. Notre seul souci, c'est de mettre un terme à ces bavures judiciaires.» Le conférencier regrette que la majorité des magistrats révoqués l'ont été pour ce que le ministre appelle «le délit de partialité», très difficile à prouver. «Cet argument est souvent utilisé pour régler des comptes», dit-il. Plus grave, il rappelle qu'en tant que président de la cour de Bel Abbès, Tayeb Belaïz «avait ordonné à un juge de libérer un prévenu principal dans une affaire de dilapidation de deniers publics. Il lui avait dit : ‘libère-le aujourd'hui, il est invité ce soir chez moi'. Nous refusons cette politique de deux poids, deux mesures. Un magistrat a été arrêté en pleine audience à Blida pour une affaire de terrorisme et a passé 19 mois de prison avant d'être jugé puis acquitté. Pourtant, quelque temps après, il a été réintégré en tant que président de chambre à la Cour suprême. Une autre juge a été mutée alors qu'elle avait donné des pièces d'un dossier à une tierce partie. Les faits sont très graves, pourtant elle a juste été mutée à un autre tribunal de la même cour sur intervention du ministre. C'est cette injustice que nous voulons combattre». Pour le coordinateur de l'Association pour l'est du pays, Youcef Boulich : «Il n'est plus question de continuer à attendre. Nous demandons la réhabilitation des magistrats lésés et rien de plus.» M. Bakhtaoui conclut en interpellant le président de la République et en annonçant son intention de se présenter aux élections législatives sur une liste indépendante. Les deux plaintes qu'il compte appuyer contre le ministre de la Justice devront, selon lui, «pousser bien d'autres magistrats lésés à faire de même».