En ces temps troubles, les Algériens sont partagés entre peurs et espoirs, devant un avenir incertain hanté par un passé sanglant. A défaut de média jouant le rôle de « quatrième pouvoir » et à défaut de culture militante citoyenne d'envergure, les discussions foisonnent sur le web et dans la rue, les cafés; des émeutes spontanées éclatent un peu partout dans le pays pour des raisons qui ne manquent pas: Chômage, dumping social, corruption, abus de pouvoir, dictature, incompétence,… Les appels du gouvernement à la participation au scrutin législatif et le discours du président devant les pétroliers – pendant que des citoyens sont livrés à eux-mêmes pendant la récente vague de froid et les inondations – ont quelque chose de surréaliste et exacerbent les tensions et la colère… D'autre part, dans les rassemblements et manifestations ainsi que sur internet, des militants activistes volontaires s'insurgent contre un pouvoir décrédibilisé. Pourtant, l'annulation de l'unique scrutin démocratique de l'Algérie, qui donna le FIS en tête en 91, n'est pas clairement condamné par tous les « démocrates » … on entend même certains qui, par je ne sais quel parcours intellectuel, en arrivent à souhaiter la dictature sous prétexte que le peuple algérien est immature donc inapte à se prendre en charge… Alors démocratie ou pas démocratie? La démocratie ! Ce régime politique né dans la Grèce antique, désigné par les mots DEMOS (peuple) et CRATOS (pouvoir), veut dire peuple souverain. C'est même la devise de la République Algérienne Démocratique et Populaire (bi ech-châab oua li ech-châab) ! Seulement, voilà : Comment un peuple peut-il être souverain? C'est-à-dire prendre et exercer le pouvoir? … et d'abord, qu'entend-on par peuple? Tous les citoyens ? Les travailleur(se)s ? Les militant(e)s ? Les théologien(ne)s? Les intellectuel(le)s ? Une oligarchie éclairée? Les hommes et femmes d'affaires? Les militaires ? Les anciens moudjahidine ?… tous ? Eh ben, ce n'est pas simple, loin s'en faut… La définition de la démocratie n'a d'ailleurs pas été tranchée même de nos jours, même en occident! Il n'existe pas de définition universelle de ce qu'est ou de ce que doit être la démocratie. Elle change au gré des intérêts politiques et des rapports de force, interdite ou critiquée pour certains, promue et admirée pour d'autres… Combien d'opposants démocrates africains on été éliminés par la « France de Fouccard, Pasqua et autres », pour conforter les régimes tyranniques d'Afrique? D'un autre côté des gouvernements souverains ont été balayés, ou sur le point de l'être, pour « promouvoir » la démocratie (Irak, Lybie, …). Du temps de la Grèce antique, Socrate, le philosophe qui expliqua le mieux la politique, a dénoncé cette démocratie qu'il voit dégénérer en oligarchie voire en tyrannie… c'était déjà mal parti… de plus, en ce temps, le peuple, ce n'était pas le citoyen lambda; seuls les notables d'Athènes avaient droit à l'exercice du pouvoir démocratique… Plus tard, les romains ont pratiqué l'oligarchie, pouvoir détenu par une aristocratie, les patriciens. Le peuple, opposé au pouvoir, était la plèbe (terme aujourd'hui péjoratif, la populace). Au 19ème siècle une définition, donnée par l'historien français Alexis de Tocqueville, rime avec liberté et égalité et fait consensus dans le nouveau monde anglo-saxon, notamment liberté d'entreprendre et absence de l'état dans les affaires des citoyens entrepreneurs…excepté dans ses responsabilités régaliennes (justice, défense et sécurité). Au 20ème siècle les guerres et révolutions européennes ont donné naissance à la démocratie participative et représentative, contre-pouvoir législatif populaire, qui a façonné les équilibres politiques mondiaux… Mais aujourd'hui, pour les peuples occidentaux, démocratie rime de plus en plus avec liberté. En chine, démocratie se dit « minzhu », qu'on peut traduire par quelque chose comme « responsabilité civile », plutôt élitiste et dans le cadre du PCC… Les apports de notre civilisation, notamment par Ibn Khaldoun, le précurseur de la pensée sociologique moderne, sont à tel point ignorés, y compris par nous-mêmes, persuadés que nous sommes sous-développés, que c'est considéré comme négligeable et perdu peut-être à jamais… Ne dit-on pas que l'Histoire est écrite par le vainqueur, alors inutile de chercher d'où proviennent les références de beaucoup de nos intellectuels… Nos « lumières » ont été balayées lors de nos interactions successives avec l'occident… Et le citoyen Algérien d'aujourd'hui, à quoi aspire-t-il et qu'espère-t-il de ses dirigeants: Démocratie ? Liberté? Justice? Abondance de biens de consommation? Santé ? Religion ? Etat providence ? Puissance? Développement ? … un peu de tout çà, sans doute… Et pour y arriver sommes-nous condamnés à copier et suivre un modèle venu d'ailleurs ? Ca aurait déjà dû interpeller nos « intellectuels » et nos politiciens, pour puiser dans nos valeurs et trier le grain et l'ivraie, bref… Il aurait déjà peut être mieux valu trouver une terminologie propre pour la « démocratie », au lieu de la simple transcription «dimouqratiya»… Car qui maîtrise les mots maîtrise les esprits !… Nos dirigeants actuels et beaucoup de nos « intellectuels» se sont limités à suivre un concept à géométrie variable, défini par les occidentaux dans des circonstances qui sont propres à leur histoire, semée de luttes internes, de guerres « mondiales » et autres ingérences coloniales et économiques… Par contre, ce que nous pouvons apprendre de l'histoire des «peuples européens », c'est que les droits des citoyens ne s'obtiennent pas sans lutte. La première des luttes est la prise de conscience de notre situation et de notre histoire, puis un sens noble de la citoyenneté débarrassée de tout régionalisme, de la responsabilité, autant de capacités pour lesquelles notre passé de colonisés perpétuels ne nous a pas préparés… Un travail d'éducation civique et d'histoire à grande échelle doit être entrepris, aux antipodes de la politique actuelle d'infantilisation et d'acculturation véhiculées par l'enseignement et les médias … Un citoyen algérien arrivera-t-il à dire un jour son à prochain : « je ne suis pas d'accord avec ce tu dis, mais je me battrai pour que tu aies le droit de le dire » ? Pour cela il faut un vécu citoyen, une expérience militante citoyenne… c'est là que le bât blesse, l'algérien est devenu individualiste car il a perdu confiance en ses concitoyens! Et la démocratie exige justement de celui qui est porté au pouvoir, par le scrutin populaire, d'accepter une règle selon laquelle il est susceptible de perdre ce pouvoir même même si ça contrarie les intérêts des forces extérieures qui profitent de sa position actuelle. Il ne faut pas se bercer d'illusions, la « démocratie » ne viendra pas d'en-haut (car alors il faudrait s'en méfier). Pour la mériter, il faut lutter, donner de son temps, s'engager dans l'action citoyenne… Les peuples qui nous ont historiquement devancés l'ont arrachée en payant parfois de lourds tributs (luttes citoyennes, guerres, …). La connaissance des dessous de leur histoire nous sera utile pour sortir de la naïveté et éviter les embûches… Il faut aussi savoir que la « démocratie » n'est pas un état stationnaire, mais état en perpétuelle transition, car, sans institutions solides, l'homme, dès qu'il se voit élu au-dessus des autres, a tendance à considérer le pouvoir que le peuple lui a concédé comme un droit à conserver à vie, en user et abuser (le cas du président Ben Ali et autres, …) et, pourquoi pas, le léguer à sa descendance. Et enfin, la démocratie n'est pas une fin en soi, mais un moyen de garantir, d'assurer l'intérêt général et stimuler l'adhésion du peuple face aux défis qui l'attendent. Car le pire des défis est en train de se dérouler devant nos yeux, même si tous ne le voient pas. Ce pire, c'est ce qui menace toutes les démocraties du monde et qui s'appelle le nouvel ordre mondial made in USA: Des corporations de prédateurs militaro-industriels en expansion se voulant les maîtres du monde, qui s'accaparent les richesses des nations au détriment des peuples usant de techniques économico-financières et de forces militaires selon les cas… Ne voit-on pas partout, même en occident, des hommes politiques démocratiquement élus, se désolidariser de leur peuple et obéir aux injonctions anti-démocratiques de forces supranationales (banques, sociétés multinationales) malgré l'opposition de leurs citoyens indignés voyant s'effriter leurs droits sociaux (travail, pouvoir d'achat, protection sociale, retraite, …) acquis de haute lutte dans un passé récent. Il est naïf de croire que les lobbies financiers, industriels et militaires de cette planète, conscients de leur puissance, auront des scrupules à perpétuer leur domination prédatrice sur les peuples ou qu'ils accepteront de bonne grâce de se plier pacifiquement aux règles démocratiques. Alors, avec la complicité de potentats locaux, gagnés, complices et/ou forcés, à leur cause expansionniste, ils mettent en place le racket et la prédation des biens et services des états en mutualisant les risques et les pertes et privatisant les privilèges et les bénéfices. C'est ainsi que près 1000 milliards USD sont siphonnés chaque année des pays du sud qui, en plus d'être ruinés, héritent d'atteintes graves à leur santé et leur environnement! Sans compter les guerres internes que cela engendre entre les groupes et ethnies exangues. Un exemple parmi d'autres : la santé des algériens, c'est un fait, décline gravement (obésité, diabète, cardio-vasculaire, cancer, …) ces dernières années, alors que, à défaut de plans de prévention-santé d'envergure, les industries agro-alimentaires et pharmaceutiques n'ont jamais été aussi florissantes, entres les mains d'une minorité de privilégiés, relais des lobbies multinationaux engraissés par les deniers publiques… Cela est-il compatible avec la démocratie ? La démocratie peut-elle être un rempart contre l'accaparement de la richesse de la nation par une minorité au service de l'étranger? Surtout quand cette minorité est justement celle-là même qui est censée défendre les citoyens et l'intégrité du territoire contre l'ingérence extérieure !!! Enfin, les puissances mondialisées, auxquelles nul ne peut plus se soustraire, resteraient-elles passives de voir la « démocratie » s'instaurer chez nous, avec les alternances qui en découleraient, si leurs intérêts « stratégiques » étaient un tant soit peu menacés ou remis en cause? Car que cherchent ces puissances si ce n'est pérenniser un accès libéré de toute contrainte sociales à leurs propres entreprises ! C'est vieux comme le monde (Marco Polo, Christophe Colomb, …). Voilà un enjeu et un défi majeurs à ne pas perdre de vue et à méditer…