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Affaire du Dr Mourad Dhina. Lettre ouverte d'un citoyen algérien à Madame la Présidente de la Chambre d'Instruction – Tribunal de Grande Instance de Paris..
Publié dans Le Quotidien d'Algérie le 27 - 03 - 2012

Je suis un citoyen algérien ordinaire et je réside à Alger. Si je prends ici la liberté, une semaine avant que vous ne vous prononciez – le 4 Avril 2012 prochain – d'apporter un témoignage, en quelque sorte « par défaut », en faveur du Dr Mourad Dhina que je ne connais pas, c'est parce que j'ai la faiblesse de croire que ce sera pour l'intérêt de la Justice, un concept dont je suis persuadé qu'il a encore un sens dans votre pays.
Je vais tâcher d'être aussi concis que possible ; d'autant plus que ce serait faire injure à votre probité morale et professionnelle de magistrat informé, que de chercher à m'étendre sur ce que vous connaissez amplement déjà ; savoir, le contexte et les séquelles de la terrible décennie des années 90 vécue par mon pays, par suite du Coup d'Etat du 11 Janvier 1992, perpétré par les généraux putschistes d'Alger. Ceux-là mêmes à l'instigation desquels le Dr Mourad Dhina a été arrêté, c'est-à-dire ceux-là mêmes qui ont foulé aux pieds, il y a une vingtaine d'années, la volonté souveraine de tout un peuple – le peuple algérien – en violant la Constitution du pays et en annulant brutalement les résultats des élections de Décembre 1991, favorables au parti du Front Islamique du Salut et en proclamant un Etat d'Urgence totalement illégal, pour couvrir leurs exactions et leurs crimes, avec le terrible bilan que l'on sait, dûment établi et documenté, tant au plan national qu'au plan international : plus de 200.000 morts, dont des milliers sous la torture ou dans des massacres de masse ; sans oublier les plus de 20.000 « disparus » ni les centaines de milliers de populations déplacées et sinistrées.
Madame la Présidente,
En dépit des quelque péripéties judiciaires de caractère exceptionnel, qui ont été rapportées ici ou là, par les médias français, l'objectivité commande de reconnaître que la séparation des pouvoirs et son corollaire, l'indépendance de la Justice, demeure tout de même une réalité palpable en France – ceteris partibus – en tant qu'elle trouve ses fondements et je dirais, ses réflexes, au cœur-même de la Révolution du peuple français contre le despotisme d'un Ancien Régime dont il suffit d'évoquer ici, les pratiques barbares des sinistres « Lettres de cachet » pour en souligner toute l'injustice et toute la tyrannie.
Or, force est de constater qu'en ce début du XXIème siècle, dans mon pays gouverné à l'ombre des généraux putschistes par la toute-puissante police politique militaire, le DRS – pour Département du Renseignement et de la Sécurité – certains Mandats de justice, émis par le pouvoir en place à Alger, à l'encontre de ses opposants politiques comme le Dr Mourad Dhina, tiennent plus de la Lettre de Cachet d'un autre temps que d'un instrument judiciaire crédible et loyal, dans un monde globalisé qui ne jure plus semble-t-il, que par les Droits de l'Homme…
Des Lettres de Cachet modernes donc, qui trouvent leurs pendants, si je puis dire, dans cette confondante pratique d'une justice régalienne et extrajudiciaire que s'échangent mutuellement nos deux gouvernements depuis tant d'années, par le truchement de leurs « Services » respectifs. Telle par exemple, cette différence de traitement entre d'une part, celui dont a bénéficié le général algérien Khaled Nezzar, mis en examen en Suisse pour faits de crimes de guerre dument établis, et interpellé aussi en France à la suite de diverses plaintes du même chef, mais à qui le gouvernement algérien a envoyé un avion spécial pour l'exfiltrer sur Alger – avec la complicité des autorités françaises – depuis Paris et, d'autre part, le traitement aujourd'hui réservé au Dr Mourad Dhina qui, bien que totalement blanchi par la justice fédérale suisse, des accusations malveillantes et fallacieuses du régime d'Alger, a été arrêté et maintenu en détention extraditionnelle par les autorités françaises pour le compte d'un régime algérien originellement frappé d'illégitimité.
Une illégitimité dont se sont étrangement accommodés les gouvernements français successifs – sous les magistères successifs de M.M. Mitterrand, Chirac puis Sarkozy – comme si un pacte inavouable et non écrit, tramé par-dessus la tête des deux peuples, semble les lier pour le meilleur et surtout pour le pire, à la junte des généraux putschistes qui exercent la réalité du pouvoir, derrière des institutions civiles de pure façade. Ce pacte, il n'est nul besoin d'être grand devin pour en déceler les termes et les clauses scélérates qui ont noms :: silence sur les crimes coloniaux des uns contre couverture des crimes de guerre commis par les autres ; avantages pétroliers pour les uns contre l'obstruction à la justice en faveur des autres.
Le tout, sous le parapluie protecteur et si commode, le sésame qui ouvre les portes de toutes les injustices et de tous les abus en fermant celles du droit et de la morale, de la liberté et de la transparence ; j'ai nommé la sempiternelle » lutte contre le terrorisme » ; ce terrorisme dont on n'arrive même plus à démêler le vrai du faux, le réel du virtuel, le politique du crapuleux, le spontané du préfabriqué… tant il est vrai qu'on a le sentiment, en Algérie comme ailleurs, y compris dans certaines démocraties des plus respectables – et pas seulement depuis le 11 Septembre hélas – que nous assistons à l'émergence dans notre pauvre monde, d'une véritable « internationale-sécuritaire » manipulant les peurs légitimes des peuples, pour on ne sait quel illégitime dessein…
Ainsi – et pour rester dans le sujet des relations bilatérales – on en est arrivé récemment à cette aberration sans précédent dans les relations entre Etats, qui témoigne du degré de cette osmose sulfureuse entre les deux gouvernements ; des relations que certains auteurs ont pertinemment baptisées de « Françalgérie », et où l'on a vu dans la même semaine, le ministre français de l'Intérieur, débouler à Alger le dimanche 4 Décembre 2011 pour une visite éclair d'à peine 2 heures – les algérois avaient alors parlé irrévérencieusement de porteur de valise – tandis que le ministre algérien des affaires étrangères lui emboitait le pas deux jours plus tard, en se rendant à Paris pour se prêter à une singulière séance d'audition-comparution, au Palais Bourbon, par-devant la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale française. Une audition à l'issue de laquelle ledit ministre fit part sans rougir, de tout son regret de ne plus être français, déchaînant un véritable tollé d'indignations, de ce coté-ci de la Méditerranée.
Madame la Présidente,
C'est assez dire à quel degré d'escobarderies en sont arrivées les relations entre les gouvernements de nos deux pays et leurs Services respectifs, après que les copinages sulfureux et les intérêts politiciens, voire privés – certains auteurs ont parlé de voyoucratie – ont fini par prendre le pas, jusques aux sommets des deux pouvoirs, sur le sérieux, l'intégrité et la solennité qui siéent dans le traitement des affaires des Etats et des destins des peuples. Or, de quel « sérieux », de quelle « intégrité », de quelle « solennité » peut-on parler quand on sait – pour ne parler que de la réalité de mon pays – que le régime des généraux putschistes a délibérément créé un vide quasi total en matière d'encadrement dans le pays, par une politique systématique d'exclusion, d'ostracisme et de persécution à l'égard de milliers d'intellectuels, des scientifiques et autres cadres de haut standing, opposés au règne de l'ignorance, de la médiocrité et de la corruption morale et matérielle prévalant dans les allées du pouvoir.
Il est d'ailleurs symptomatique de constater – à tout le moins dans notre société algérienne – que ce sont les élites intellectuelles et scientifiques les plus brillantes, maitrisant aussi bien leur propre culture que celle de l'Occident, qui se revendiquent sans complexe de leur identité profonde, c'est-à-dire des valeurs et des traditions de notre civilisation arabo-berbère et musulmane. Tandis qu'à l'inverse, c'est au sein des catégories sociales les plus médiocres qu'on retrouve les chantres de ce pseudo modernisme mal compris et ringard, qui se résume souvent pour eux, à ce qu'il y a de pire dans la langue d'Esope ; un accourci commode qui vous met en « situation » comme dirait Sartre, mais qui cache au fond, une grande misère intellectuelle. Et surtout morale.
Le Dr Mourad Dhina, issu d'une honorable lignée d'intellectuels et d'oulémas, doublés de farouches résistants au colonialisme français, appartient incontestablement à la première catégorie. Contrairement à ses détracteurs, dont la plupart sont issus de familles de notables coloniaux et autres enfants de troupe, de père en fils au service de l'administration coloniale.
C'est là qu'il faudra peut-être aller chercher, Madame la Présidente, le pourquoi du comment, de cet acharnement des fils d'anciens servants du colonialisme – qui occupent aujourd'hui le haut du pavé en Algérie – contre les opposants politiques authentiques au régime des généraux putschistes, symboles de l'ancienne puissance coloniale. Un acharnement qui n'hésite pas à traverser les frontières, quand on sait par exemple – juste pour conforter mes dires – que c'est sur les pressions des généraux d'Alger que le gouvernement français a exigé de ses partenaires scientifiques suisses – de l'équipe franco-suisse de recherches scientifiques du CERN – l'éviction du Dr Mourad Dhina qui faisait partie de l'équipe suisse, en tant que brillant physicien, spécialisé dans le domaine des particules, réduisant ainsi lâchement au chômage, un homme exilé et suffisamment persécuté comme çà, et qui n'a que son art et son savoir pour faire vivre sa famille.
Ceci, pendant qu'en Algérie, toute une brassée d' »Emirs » barbus, stupides et incultes sévissaient dans les maquis prétendument islamistes, des GIA de triste mémoire, préfabriqués par le DRS – et dont certains ont même publiquement reconnu à la Télévision, leurs crimes de sang perpétrés contre des citoyens innocents – se promènent en ville en toute liberté et en toute impunité, après avoir bénéficié de l'auto-amnistie scélérate, décrétée par le pouvoir ; un pouvoir foncièrement corrupteur qui a accordé en sus, de confortables indemnités et autres privilèges à ces faux maquisards doublés de vrais criminels.
Nous avons en effet affaire à un régime illégitime et criminel, corrompu et corrupteur qui refuse de tirer les leçons des évènements qui sont en train de bouleverser nos régions ; un régime obstiné qui, pour rien au monde ne quittera le pouvoir de lui-même parce qu'il est assis sur un formidable matelas de réserves financières grâce auxquelles il croit pouvoir continuer d'acheter tous ses appuis – à l'intérieur comme à l'extérieur – pour consolider et assurer la pérennité de sa domination et celle de sa descendance. Sauf que son obstination et son aveuglement l'empêchent de voir et de comprendre que le char irrésistible de l'Histoire est en marche, qui ne connait d'autre puissance que celle des peuples révoltés, en quête de Justice et de Vérité.
Madame la présidente,
Je conclus en espérant que c'est dans cette perspective historique inéluctable – conséquence prévisible du sombre tableau socio politique et moral qui prévaut dans mon pays – que sera appréhendée l'affaire du Dr Mourad Dhina, qui relève strictement du domaine du politique.
La place de ce brillant physicien, représentant d'une non moins brillante intelligentzia algérienne persécutée et/ou exilée, mais qui refuse d'être à la botte des généraux putschistes, illégitimes et corrompus, au pouvoir à Alger, sa place dis-je, se trouve dans les rangs de l'opposition politique algérienne authentique, intelligente et non-violente, dont il a été et demeure l'un des promoteurs infatigables comme en témoigne son appartenance à des organisations civiles comme Rachad ou Al-Karama qui veut dire DIGNITE.
Avec mes hommages, je vous prie, Madame la Présidente, d'agréer l'expression de ma sincère considération.
Alger, le mardi 27 Mars 2012 – Signé par Abdelkader DEHBI, citoyen algérien.


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