L'Algérie est-elle un échec? Si oui, pour qui? Est-ce un paradis pour certains? Un peuple peut-il être tenu pour responsable de la misère sociale dans laquelle il se trouve? Le peuple algérien, aux espoirs étouffés dans l'œuf, a-t-il encore la capacité et les moyens de réagir pour recouvrer sar dignité? Le «village planétaire» offre-t-il les conditions de lutte ou est-il favorable au calvaire des Algériens? Sommes-nous une exception parmi les peuples ou y-a-t-il des expériences similaires de par le monde? Autant de questions débattre et de réponses à trouver par ceux, décidés à prendre le taureau par les cornes pour dégager une voie et offrir une alternative aux Algériens… Voici un extrait d'un ouvrage écrit en 1999, par un intellectuel américain, professeur au MIT (Massachusetts-USA), analysant les conséquences de l'Accord de Libre Echange Nord Américain (ALENA) entre les Etats-Unis, le Mexique et le Canada qui a conduit le Mexique au bord de l'explosion sociale avec la complicité du gouvernement et des hommes d'affaires mexicains au détriment de la population. Cet Accord, estimé déséquilibré et prédateur pour le peuple Mexicain a eu pour conséquence une insurrection armée des paysans de l'état du Chiapas, «l'Armée Zapatiste». Cette étude historique pourrait éclairer la situation en Algérie tant les similitudes sont frappantes: accaparement des richesses par une oligarchie politique et militaro-financière en business avec les investisseurs étrangers sous prétexte de développement. Il faut savoir qu'en 1994 le Mexique fut le théâtre d'évènements qui nous sont horriblement familiers: Luis Donaldo Colosio, candidat du PRI (le parti au pouvoir depuis 70 ans) à l'élection présidentielle, est assassiné dans la rue en plein meeting électoral. Le vieux parti était profondément divisé entre dinosaures issus de la Révolution et modernistes pro-américains. Le soulèvement des paysans du Chiapas du 1er Janvier 1994 a coïncidé avec la mise en œuvre de l'ALENA qualifié par « l'armée zapatiste » de sentence de mort pour les pauvres et de cadeau aux riches qui approfondira le gouffre entre une richesse concentrée et une misère de masse et qui détruira ce qui reste de la société : «Nous sommes le produit de 500 ans de luttes… Aujourd'hui celles-ci sont menées pour le travail, la terre, le logement, la nourriture, l'éducation, la santé, l'indépendance, la démocratie, la justice et la paix. Le véritable arrière plan c'est la marginalisation, la pauvreté et une longue frustration après des années passées à essayer d'améliorer la situation.» Les paysans sont les principales victimes de la politique des gouvernements mexicains successifs. Leur détresse est largement partagée, comme l'a observé une éditorialiste : «Quiconque a l'occasion d'entrer en contact avec des millions de mexicains vivant dans une extrême pauvreté sait que nous avons là une bombe à retardement.» Au cours de la dernière décennie de réformes économiques, le nombre de ceux qui connaissent une extrême pauvreté a crû de près d'un tiers. La moitié des mexicains manque des ressources pour satisfaire ses besoins élémentaires. Suite aux prescriptions du FMI et de la Banque Mondiale, la production agricole s'est tournée vers l'exportation d'aliments destinés au bétail au grand bénéfice de l'industrie agro-alimentaire, des consommateurs étrangers et des secteurs aisées du pays, tandis que la malnutrition devenait un grave problème de santé publique, que les emplois agricoles diminuaient, les terres productives abandonnées et que le Mexique se mettait à importer de quoi se nourrir. Dans l'industrie, les salaires ont chuté de plus d'un tiers après avoir augmenté jusqu'au milieu des années 70. Ce sont là des conséquences classiques des réformes néolibérales. Le secrétaire mexicain au Commerce a salué la chute des salaires comme une incitation pour les investisseurs étrangers, tout comme la répression anti-syndicale et l'application laxiste des restrictions sociales conformes aux désirs d'une minorité privilégiée. Toutes ces mesures sont naturellement bien accueillies par les industriels et financiers qui accroissent leur mainmise sur l'économie avec l'aide de mal nommés accords de libre-échange. On s'attend à ce que l'ALENA condamne au chômage un nombre croissant de travailleurs, accroissant la misère et gonflant la main d'œuvre excédentaire. Le plus important journal mexicain prédit qu'au cours des 2 années à venir le pays perdra 25% de son industrie manufacturière et 14% de ses emplois. Selon le New York Times : « Plusieurs millions de mexicains perdront leur emplois au cours 5 années qui suivent la mise en place de l'ALENA.» L'attrait de l'ALENA, comme le soulignent ses défenseurs, est qu'il «enchaîne» les pays signataires aux réformes néo-libérales qui ont mis un terme à des années de progrès dans le respect des droits syndicaux et de développement, provoquant un appauvrissement général, mais aussi l'enrichissement des rares privilégiés et investisseurs étrangers. Le Financial Time observe qu'après 8 ans, ces politiques économiques n'ont engendré qu'une faible croissance, pour l'essentiel attribuable à une aide financière sans précédant de la banque mondiale dont le règlement reste un lourd fardeau, sa composante essentielle étant désormais la dette intérieure de l'état envers les Mexicains les plus riches. Il n'est donc pas surprenant que le projet d' «enchaîner» le pays à ce modèle de développement se soit heurté à une vive opposition. L'historien Seth Fein décrit de grandes manifestations contre l'ALENA, peu commentées aux USA mais organisées avec des mots d'ordre très clairs et des cris de protestation contre la politique du gouvernement mexicain, notamment l'abrogation des droits au travail, à la terre ou à l'éducation inscrits dans la constitution de 1917, autant de mesures qui représentent pour les mexicains le véritable sens de l'ALENA et la politique Américaine dans le pays. Le Los Angeles Times évoque la grande angoisse des travailleurs mexicains face à l'érosion de leurs droits durement acquis, et sacrifiés alors que les compagnies mexicaines et étrangères se concurrencer en réduisant leurs coûts. Un communiqué des évêques mexicains a condamné l'ALENA en raison de ses effets délétères : « L'économie de marché ne doit pas devenir un absolu auquel tout serait sacrifié, accroissant la marginalisation de la population ». C'est précisément l'impact de l'ALENA et des accords similaires sur les droits des investisseurs. Le journal mexicain Excelsior prédit que cet Accord ne bénéficierait qu'à une minorité démexicanisée, maîtresse de presque tout le pays (15% d'entre eux possèdent plus de 50% du PIB) et qu'il marquait un nouveau stade de «l'histoire des Etats-Unis dans notre pays», histoire «d'abus et de pillages impunis». De nombreux syndicalistes et bien d'autres catégories de population s'opposèrent à l'Accord, s'inquiétant de son impact sur les salaires, les droits des travailleurs, l'environnement, la souveraineté nationale, et dénonçant la protection renforcée des droits des investisseurs et des grandes sociétés qui réduit les chances d'un développement durable. L'écologiste H. Aridjis déplore « la 3ème conquête subie par le Mexique, la 1ère fut menée par les armes, la 2nde fut spirituelle, la 3ème est économique». En très peu de temps, ces craintes se virent justifiées. Peu après la ratification de l'ALENA, des travailleurs d'Honeywell et de General Electric furent licenciés pour avoir tenté d'organiser un syndicat. Ford s'était déjà débarrassé de toute sa main d'œuvre, annulant les conventions collectives et réembauchant à des salaires inférieurs; une répression énergique était venue à bout des protestations. Volkswagen avait suivi l'exemple en licenciant 14000 ouvriers et ne reprenant que ceux qui renonçaient au syndicalisme. et ce avec le soutien du gouvernement. Voilà les composantes essentielles du « miracle économique » auquel les pays signataires de l'ALENA doivent être « enchaînés ». Quelque temps après la signature de l'Accord, le parlement vota un dispositif législatif anti crime, réclamant 100.000 policiers supplémentaires, des prisons de haute sécurité, des camps de rééducation pour les jeunes, des sentences particulièrement sévères et l'extension de la peine de mort. Les experts interrogés par la presse doutaient fort qu'elles aient beaucoup d'effet sur la délinquance, car elles ignoraient les « causes de la désintégration sociale ». Parmi ces causes, les politiques économiques et sociales qui polarisent la société, auxquelles l'ALENA faisait faire un nouveau pas en avant. Les concepts d' « efficacité » et de « santé de l'économie », chers aux privilégiés, n'ont rien à offrir aux catégories grandissantes de la population qui ne sont d'aucune utilité pour faire des profits et sont donc condamnés à la pauvreté et au désespoir. S'ils ne peuvent être confinés dans les taudis urbains, il faudra bien trouver un autre moyen de les contrôler. Cette coïncidence législative, tout comme la date du soulèvement zapatiste, a une importance qui n'est pas que symbolique. Selon le Washington Post, de nombreux économistes pensent que l'ALENA devrait provoquer une baisse des salaires, et s'attendent à ce que les salaires mexicains tireront vers le bas ceux des travailleurs des Etats-Unis. Le New York Times fit paraître un premier examen des effets probables de l'Accord dans la région de New York. Il prédisait les vainqueurs: Les secteurs financiers et bancaires, les télécommunications et les services, les compagnies d'assurances, les firmes d'investissement, les cabinets d'avocats d'affaires, les relations publiques, les consultants en management et les industriels (haute technologie, édition, pharmacie) qui bénéficieraient des mesures protectionnistes. Il mentionnait aussi les perdants : avant tout les femmes, les Noirs et les Hispaniques, et plus largement les travailleurs semi-qualifiés, c'est-à-dire la majorité de la population de la ville de New York où 40% des enfants vivent en dessous du seuil de pauvreté, souffrant de problèmes de santé et d'éducation qui les enchaînent à un avenir amer. Dans une économie plus étroitement intégrée, l'impact de ces mesures se fait sentir sur toute la planète et les concurrents doivent s'y adapter. General Motors peut s'établir au Mexique, ou aujourd'hui en Pologne, où il trouvera des travailleurs beaucoup moins chers qu'en Occident. Volkswagen peut s'installer en République Tchèque pour bénéficier des mêmes protections, toucher les profits et laisser les coûts au gouvernement local. Le grand capital peut se déplacer librement, les travailleurs et les communautés, en subiront seuls les conséquences. Pendant ce temps, l'énorme croissance de capitaux spéculatifs dérégulés impose de lourdes contraintes aux politiques gouvernementales de stimulation de l'économie. De nombreux facteurs mènent la société mondiale vers un avenir de bas salaires, de faible croissance et gros profits, qui s'accompagnent d'une polarisation et d'une désintégration sociale croissantes. Autre conséquence: L'effacement progressif des processus démocratiques, les prises de décision étant assumées par des institutions privées et par les structures quasi gouvernementales qui se regroupent entre elles, ce que le Financial Times appelle un «gouvernement mondial de facto», opérant en secret sans avoir à rendre des comptes. Une telle évolution n'a pas grand-chose à voir avec le libéralisme économique, le pouvoir privé exige, et se voit accorder, une protection accrue contre les lois du marché… comme autrefois! Le soulèvement zapatiste a touché une corde sensible chez la majeure partie de la population mexicaine. Ses effets pourraient être de grande ampleur et contribuer à l'effondrement de la dictature électorale exercée par le parti au pouvoir. La plupart des gens ont soutenu les raisons avancées par les zapatistes pour justifier l'insurrection. Il en alla de même dans le monde entier, y compris dans les sociétés industrielles les plus riches: beaucoup admettaient que les préoccupations des rebelles étaient proches des leurs, en dépit des circonstances différentes. Ce soutien fut encore renforcé à la suite d'initiatives zapatistes consistant à faire appel à des secteurs sociaux plus larges et à les engager dans des efforts communs, ou parallèles, en vue de prendre le contrôle de leur vie et de leur destin. La solidarité qui leur fut témoignée au Mexique comme ailleurs fut sans doute le principal facteur empêchant la brutale répression militaire à laquelle on pouvait s'attendre; elle eut aussi dans le monde entier, un effet vivifiant spectaculaire sur l'activisme syndical et politique. Le soulèvement des paysans Chiapas ne donne qu'un petit aperçu des « bombes à retardement » prêtes à exploser, et pas seulement au Mexique. La morale de cette épopée zapatiste est que, même face à une répression féroce comme celle dont est capable le régime mexicain, il y a toujours quelque chose à faire pour un peuple devant l'aveuglement de ses dirigeants. Les insurgés du Chiapas ont eu l'intelligence d'externaliser leur revendication, rendant toute répression de la part du pouvoir inacceptable par la communauté internationale. L'ALENA a été ratifié, mais avec la garantie que certains secteurs industriels et agricoles, environnementaux et socioculturels seront préservés de la concurrence US sous la vigilance de la société. Il leur reste beaucoup à faire, mais s'est une autre histoire… En Amérique latine, Les peuples (mexicains, chiliens, péruviens, bolivien, vénézuélien, cubain…) ont eu une grande estime pour l'Algérie révolutionnaire. Notre guerre de libération a été un cas d'école pour eux. Et ils connaissent très bien, pour l'avoir expérimenté, l'appui apporté à leurs dictateurs par l'armée française en matière de répression (l'Ecole Française). Alors pourquoi les peuples trompés par leurs dirigeants ne pourraient-ils pas se concerter, se sensibiliser mutuellement à leur cause et leurs propres combats pour la liberté… N'avons-nous pas déjà, par le passé, obtenu le soutien actif des autres peuples pour notre cause face à l'armée coloniale, finalement mise au ban des accusés par la communauté internationale. En la politique il est toujours question d'alliance et de communication. De tous temps les petits tyrans se sont assuré le silence et l'approbation de leurs «maîtres à penser» pour qu'ils cautionnent et couvrent les mesures répressives qu'ils infligent à une partie de leurs sujets en échange de l'accès aux richesses. Les dictateurs Noirs d'Afrique ont ainsi acheté leur blancheur par la corruption des gouvernements et médias occidentaux à coups de marchés truqués et de rétrocommisions. Notre difficulté en tant peuple musulman est que notre réputation a été fortement salie par des jeux géostratégiques, surtout depuis le fameux 9-11 où la menace de terrorisme islamique a remplacé le péril rouge, donnant ainsi carte blanche aux généraux-investisseurs de poursuivre impunément leur sale besogne…assurés du silence de leurs alliés intéressés au business algérien. Ce passif est tellement pesant qu'il rend nos luttes suspectes et antipathiques aux yeux des peuples d'occident qui s'apitoient pourtant volontiers sur le sort des opprimés… La tâche est doublement difficile mais pas insurmontable : - Valoriser notre image auprès des peuples occidentaux qui commencent à douter de leur démocratie. - Apprendre et échanger l'expérience des autres peuples et identifier les points communs entre leurs luttes et les nôtres. - Dénoncer le lien incestueux entre nos oligarques et les puissances étrangères auprès de leurs sociétés civiles. - Sensibiliser et encourager la diaspora algérienne à diffuser la réalité du drame algérien. - Sensibiliser les peuples d'occident que notre sort pourrait un jour être le leur s'ils persistent à ignorer nos problèmes. - Et bien d'autres axes de réflexion et d'actions légales, démocratiques et pacifiques…publications, tribunaux internationaux, pétitions, etc.