Mon 10 mai à moi est un jour sombre, chaque année il vient éveiller en moi un horrible et douloureux sentiment de frustration. Il me rappelle qu'en 1996, un 10 mai, j'ai miraculeusement échappé à une tentative de meurtre, dont s'est rendu coupable un membre de la milice armée par le pouvoir d'alors, mon crime était mon esprit contestataire et mon obstination face à l'injustice et à l'arbitraire qui coulaient à flots au temps ou la peur devenait le jeu préféré de ceux qui s'amusaient à la manipuler et à lui faire changer de camp, sans toutefois qu'elle ne n'outrepasse les limites des quartiers populaires et des villages ou l'hostilité grondait chaque jour un peu plus. Pendant qu'une certaine presse libre, indépendante et « au dessus de tout soupçon » s'acharnait à lancer des appels haineux au meurtre, sans se rendre compte qu'elle encourageait de fait la manifestation d'une extrême bestialité en faisant fi de l'Ethique et de la déontologie, sans se soucier des jours sombres que sa cécité morale allait engendrer. Ce jour, par la seule grâce du Tout-Puissant, j'ai échappé aux 27 balles qu'un « patriote » n'ayant aucune goutte de sang patriotique dans les veines, avait criminellement lâché dans ma direction, balle par balle pour plus de précision, ce qui confirme la préméditation du crime crapuleux. Cette tentative a bien sûr bénéficié d'une totale impunité. Il ne s'agissait que d'une vie humaine. Mon 10 mai à moi n'est pas seulement cette crapuleuse et injuste tentative de meurtre, c'est aussi autre chose dont je garderais à jamais des séquelles physiques, ce sont les traitements brutaux, cruels et inhumains, c'est la torture que j'ai subi en 1997, durant douze interminables et ineffaçables jours dans les locaux de la police du commissariat central de la capitale du Million et demi de martyrs. Une torture expérimentale pour avoir dénoncé des disparitions forcées. Mon action citoyenne me valu ensuite neuf mois de prison dans la citadelle de la honte de triste mémoire qu'est Serkadji, sous la fallacieuse incrimination d'atteinte à la sureté de l'Etat. L'Etat qui a couvert une tentative de meurtre avec préméditation. Ce même Etat qui a fait disparaitre des milliers de citoyens et qui a déporté des dizaines de milliers d'autres –dont moi- pour avoir accompli mon devoir électoral. Mon 10 mai à moi c'est aussi et surtout ce jour d'aujourd'hui, ou j'ai décidé publiquement de me déclarer partisan du boycott des élections législatives du 10 mai 2012, en m'abstenant de voter, pour dire non à l'oubli, à l'injustice, à l'impéritie et à la médiocratie. Boycott qui servira au renforcement de mon humble et frêle personnalité, à mon esprit contestataire invariable et incorruptible et à ma totale et indéfectible détermination de défendre sans haine ni passion des droits de la personne. Mon 10 mai à moi veut aussi, qu'a titre de musulman, je ne souhaite point aux plus enragés de ceux qui m'ont torturé sans aucun état d'âme, l'effroyable épreuve qu'ils m'ont fait subir, sans se demander s'il y avait une seule raison de torturer une personne pour avoir accompli un devoir hautement citoyen et purement humain. Alger le 10 Mai 2012