La question de savoir pourquoi il y a autant de musulmans dans nos pays et si peu d'islam me préoccupe aussi. Quand je vois deux individus qui ont peut-être l'habitude de prier ensemble dans la même mosquée – et qui se permettent à l'occasion de sermonner les autres au sujet de la prière, de la longueur de la barbe ou de la mixité – se battre ou s'insulter sur la voie publique pour des histoires futiles, ou bien passer outre le peu de lois qui régissent le pays en matière de respect de l'environnement et d'urbanisme, ou encore faire appel au piston, au détriment de concitoyens ou concitoyennes plus méritants qu'eux, je reste perplexe. Pour ma part, je crois que le plus grand ennemi de tout être humain est ce qui est désigné dans le Coran par l'expression « annafs al ammara bi ssou' », c'est-à-dire cette part de nous-mêmes qui veut toujours plus au détriment des autres, nous poussant souvent à commettre des actes que nous regrettons par la suite. Toutes les sociétés, à toutes les époques, ont eu à poser un minimum de règles afin de se protéger contre ses méfaits et continuer d'exister et les législateurs musulmans ont largement couvert tous les aspects de la vie de la collectivité, en se basant sur les enseignements du Coran et des Hadiths. Il y a lieu de noter, cependant, que notre époque moderne a vu apparaître et se développer un nombre impressionnant de nouveaux « points noirs » qui ont la fâcheuse tendance à se propager rapidement dans le corps social. La croissance fulgurante de nos villes a fait voler en éclats le tissu social traditionnel avec tout son système de valeurs et ses règles de vie – que les gens de ma génération ont eu la chance de connaître dans leur enfance. Tous les pays musulmans, à l'instar de la plupart des pays du tiers-monde, traversent une période de transition, une sorte de trou noir où plus rien n'a de sens. Ainsi, un commerçant sort de la prière des tarawih pour aller allègrement et sans scrupules voler et tromper ses compatriotes et coreligionnaires, en plein mois de Ramadhan, mois de piété et de miséricorde. Le mauvais exemple est malheureusement très vite adopté par la grande masse, dressée par le système schizophréno-mafieux qui sévit dans notre pays depuis 50 ans à faire en permanence la chasse aux « bonnes combines » et autres « 3fayes », et le bon exemple peine à trouver preneur sur le marché local. C'est le principe de « tâg 3lâ men tâg », cette fameuse tactique de défense vieille comme le monde, qui devient la seule règle dans une société qui a perdu son système ancestral de valeurs et qui n'arrive pas à en élaborer un autre. Ne nous y trompons pas, les sociétés occidentales, appliquant de manière stricte et rigoureuse des lois laïques, se portent, toutes choses égales par ailleurs, beaucoup mieux que nos sociétés supposées être musulmanes. La personne humaine, l'environnement et le bien public y sont largement plus respectés que chez nous. Ces sociétés ont, malgré tous leurs travers, mieux réussi que les nôtres à maîtriser « annafs al ammara bi ssou' ». Je demande à quiconque en doute de visiter un hôpital français ou canadien et son équivalent algérien. Que l'on voie – de manière générale, les exceptions existant dans un sens comme dans l'autre – comment se comportent les agents administratifs, les médecins et le personnel paramédical avec les malades. Que l'on pense aux gouvernants : un Kadhafi ou un Assad, ces despotes sanguinaires et arrogants, dont les victimes innocentes se comptent par dizaines de milliers, peuvent-ils exister aujourd'hui dans les pays occidentaux supposés être décadents? Qu'on se remette en mémoire toutes les horreurs qui ont été commises dans notre pays après le putsch de janvier 1992. A quoi nous sert donc notre islam, s'il ne nous permet pas de maîtriser cette part de nous-mêmes qui fait tant de mal à la collectivité – en mentant, volant, trichant, insultant, méprisant, et maltraitant ceux qui sont plus faibles que nous, etc., etc.? Grande question. Notre islam est malheureusement devenu une très mince couche de vernis qui cache une bonne épaisseur de saleté. Nous manquons terriblement de bons éducateurs de base – parents responsables, voisinage qui s'implique, maîtres d'école consciencieux, imams éclairés et qui donnent le bon exemple dans tous les domaines. C'est là que tout commence. On se pose souvent la question de savoir si la mosquée et la politique sont compatibles. C'est mettre la charrue avant les bœufs, car aucune politique n'est possible sans éducation et la mosquée doit d'abord être un lieu d'éducation en plus d'être un lieu de prière. Un mimétisme aveugle a rapidement transformé en quelques années l'apparence extérieure de nos sociétés en matière de pratique religieuse. Les mosquées n'y ont jamais été aussi nombreuses et les « fidèles » n'y ont jamais autant débordé sur la voie publique le vendredi, mais il y a tout lieu de croire, hélas, que « annafs al ammara bi ssou' » n'y a jamais été aussi active… Savons-nous encore ce que signifie l'expression coranique « rahmaten lil âlamîn »? Que Dieu ait pitié de nous. Nombre de lectures: Error gathering analytics data from Google: Insufficient quota to proceed.