12 juillet 2012 La victoire de la coalition libérale de l'ancien leader du CNT aux élections législatives libyennes du 7 juillet se confirme. En cas de victoire, Mahmoud Djibril deviendrait le nouvel homme fort de la Libye. Portrait. Par Sarah LEDUC , envoyée spéciale en Libye À la tête de l'Alliance des forces nationales (AFN), une coalition de 61 petits partis en passe de remporter les élections législatives libyennes, Mahmoud Jibril s'affirme comme le nouvel homme fort de Libye. Assuré de la victoire à Tripoli, la capitale, mais également à Benghazi, la deuxième ville du pays, ainsi qu'à Tobrouk et à Derna, fiefs de l'est considérés comme des bastions des mouvements islamistes, l'AFN aurait battu les islamistes. Elle devancerait le Parti de la justice et de la reconstruction, un parti islamiste affilié aux Frères musulmans, et la formation El-Watan, dirigée par l'ancien djihadiste Abdelhakim Belhadj. Considéré comme un religieux modéré par l'Occident, comme un laïc par les islamistes libyens et comme un révolutionnaire par le peuple, Mahmoud Jibril a su jouer sur tous les tableaux – tribaux, religieux, autonomistes – pour convaincre le plus grand nombre. Samedi 7 juillet, jour de l'élection, son nom était sur toutes les lèvres, à commencer par celle des électeurs. « Jibril est un homme cultivé, éduqué et transparent. On sait ce qu'il va faire, alors il est le candidat le mieux placé de tous », confiait Mohamed Riany, un banquier à la retraite de 74 ans vivant à Tripoli qui n'a eu aucun mal à convaincre les indécis en quête de conseils dans les files d'attente des bureaux électoraux. Cet habile tacticien de 60 ans bénéficie, en effet, de l'image d'un homme compétent, formé à l'étranger. Diplômé d'une maîtrise en sciences politiques de l'université du Caire et d'un doctorat de l'université de Pittsburgh, aux Etats-Unis, il a enseigné plusieurs années outre-Atlantique et s'est forgé un carnet d'adresse international qui l'a placé en tête des négociations pendant la Révolution du 17-Février. L'homme de la révolution Si son appartenance à la tribu des Warfalla, la plus importante du pays, lui a certainement donné du poids, la recette de son succès réside surtout dans sa notoriété et le rôle qu'il a joué dans la révolution. Comme le rappelle Abdelkader Kadura, professeur de droit constitutionnel à l'université de Benghazi, les « Libyens ordinaires ont voté pour ceux qu'ils connaissaient, pour les têtes qu'ils avaient vues à la télé ». Jibril s'est imposé en prenant la tête du conseil exécutif et des affaires internationales du gouvernement de transition, le 23 mars 2011, dès le début de l'insurrection libyenne. Il a alors parcouru les capitales étrangères pour tenter d'obtenir le soutien de la communauté internationale, rencontrant en mars 2011 l'ancien président français Nicolas Sarkozy, premier à reconnaître la légitimité du Conseil national de transition (CNT). Londres et Washington ont suivi. Les Libyens lui sont reconnaissants d'avoir véhiculé une image positive de la Libye à l'étranger, ce qui, pour certains, éclipse le rôle qu'il a joué sous le règne de Mouammar Kadhafi : de 2007 à 2010, Jibril était en effet responsable du Bureau du développement économique et social du pays. « Qui n'a pas travaillé avec Kadhafi ? Pendant 42 ans, il tenait tous les rênes du pouvoir et de l'économie. Il était inévitable », relativise Mohamed Riany, non sans avouer avoir été obligé de traiter des affaires avec des suppôts du régime. Dissensions dans l'est Partenaire indispensable au début de la révolution, Mahmoud Jibril a néanmoins été sous le feu des critiques après la mort de l'ancien Guide libyen, à Syrte, et poussé à la démission du CNT le 23 octobre. Trop occupé à régler les dissensions internes au sein de l'instance, il s'est vu reprocher de ne pas œuvrer en faveur du développement et de la relance du pays, dans l'est et le sud plus particulièrement. À Benghazi par ailleurs, berceau de la révolution où des revendications fédéralistes se sont fait entendre ces derniers mois, de nombreux citoyens « ne voulaient pas voir un ancien partisan de Kadhafi remettre les pieds sur leur territoire », comme l'affirme Abdelkader Kadura. En Cyrénaïque (est), certains lui reprochaient aussi d'avoir perpétué la centralisation des pouvoirs à Tripoli mise en place sous Kadhafi. « La révolution est partie de Benghazi et le CNT n'a même pas une branche ici ! », s'offusque Hecham Kadura, étudiant en médecine à l'université de Benghazi. Mais Mahmoud Jibril a su parler aux fédéralistes qui grondaient depuis plusieurs mois contre la répartition des sièges au sein de l'Assemblée, faisant passer un amendement de dernière minute. Moins de 48 heures avant la tenue des élections, le CNT a modifié les attributions de la nouvelle assemblée qui ne nommera plus, comme prévu initialement, les membres de la commission chargée de rédiger la Constitution. Un geste qui n'a pas été sans effet. L'AFN se dirige finalement vers une victoire écrasante à Benghazi, où elle obtiendrait 95 733 voix contre 16 143 au Parti de la justice et de la reconstruction (PJR). Jibril parle aux musulmans Dès le lendemain du vote, Mahmoud Jibril a appelé à un gouvernement d'unité pour établir une coalition de consensus. Une proposition qui n'est pas sans plonger les islamistes dans l'embarras alors qu'ils ont tenté de détourner son vote en le taxant de candidat « laïc » dans un pays profondément musulman. Là encore, Jibril a su jouer d'habilité, rappelant que la charia – la loi islamique – serait « l'une des sources de la Constitution ». Durant la campagne, il s'était également habilement exclamé : « Mes voisins peuvent attester que je me rends à la prière le vendredi ». Si les résultats se confirment, Mahmoud Jibril aura la lourde tâche de concilier musulmans modérés et radicaux, séparatistes de l'est et unionistes de Tripoli. Ainsi que de faire oublier le rôle qu'il a joué sous Kadhafi, pour lancer les bases de la reconstruction du pays. Nombre de lectures: 708