Au début du mois d'octobre, le piège se referme sur le régime. En fait, la lutte entre les conservateurs et les réformateurs du FLN –bien que la victoire de ceux-ci sur ceux-là soit inéluctable –échappe peu à peu au pouvoir. Exclu jusque-là de la gestion de ses affaires, le peuple algérien s'invite dans l'arène. Comme le signale si bien l'éminent sociologue, Lahouari Addi, les conditions d'une explosion sociale sont réunies depuis très longtemps. Et le discours du chef de l'Etat du 19 septembre 1988 ne fait qu'accélérer le processus. « Les propos présidentiels ne peuvent être perçus par la population que comme une incitation à la révolte. Il suffira dès lors de retirer au moment opportun les dispositifs répressifs et le tour sera joué », écrit Jean Baptiste Rivoire. Cependant, bien que les tenants de cette manipulation ne veuillent pas perdre la main, force est de reconnaitre que la mobilisation de la jeunesse algérienne contrarie –et c'est le moins que l'on puisse dire –leur plan. Du coup, pour reprendre le contrôle de la situation, le régime envisage deux solutions concomitantes. D'un côté, on emploie une violence sans vergogne contre les manifestants et, de l'autre côté, on essaie de prévenir la contagion du mouvement vers d'autres régions du pays. Cette mission échoit au secrétaire permanent du haut conseil de sécurité (HCS) et également directeur de cabinet de Chadli, le général Larbi Belkheir. « Dès le 6 octobre, des camions équipés de haut-parleurs sillonnent les villages kabyles pour asséner à la population qu'elle ne doit pas se sentir concernée par les émeutes d'Alger, rappellent que les populations arabophones ne s'étaient pas mobilisées pour soutenir les Kabyles en 1980 », note Jean Baptiste Rivoire. Pour parvenir à son but, Larbi Belkheir fait appel à ses alliés. Trois personnalités de la région (Saïd Sadi, Mokrane Ait Larbi et Hachemi Nait Djoudi, ce dernier s'est aussitôt démarqué du groupe) se rendent alors à la présidence de la République. D'après Jean Baptiste Rivoire, « Sadi avise ensuite Ali Yahia Abdenour qu'il a été reçu par Larbi Belkheir et que celui-ci lui a donné « carte blanche » pour tenter de contrôler la Kabylie. Larbi Belkheir, qui confirmera la rencontre, lui aurait cependant demandé d'apporter la preuve de son influence en Kabylie en y organisant une grève de deux jours. » Par ailleurs, alors que les amis de Sadi se targuent d'avoir le contrôle sur la Kabylie, notamment Nourredine Ait Hamouda s'exprimant au nom de ses camarades dans une tribune, parue dans le journal le Monde du 15 octobre 1988, le bastion de la contestation se met en mouvement. En dépit des risques encourus, des militants du MCB (mouvement culturel berbère) s'engagent dans la bataille. Parmi les plus connus, on peut citer le chanteur engagé MATOUB Lounès. En fait, dans le but de contrer l'action des amis de Sadi, ces militants distribuent des tracts en Kabylie appelant à rejoindre la contestation. En guise de riposte, à Michelet, la gendarmerie blesse grièvement le chanteur populaire, MATOUB Lounès. En tout cas, grâce à leur action de ces militants stoïques, la Kabylie n'est pas restée en marge de l'histoire. Bien que les amis de Sadi reviennent plusieurs fois à la charge, la population locale sait que la solution réside dans la rupture avec ce système. De toute façon, elle s'inscrit radicalement en faux avec les propos de Nourredine Ait Hamouda du 15 octobre 1988, selon lesquels « le chef de l'Etat peut être soutenu par tous les Algériens qui aspirent à la démocratie. » D'ailleurs, une fois que la révolte est passée, les animateurs du MCB, en réponse à la contribution de Nourredine Ait Hamouda dans « Le Monde », iront jusqu'à lui dénier le droit de parler en leur nom. « Depuis quand Nourredine Ait Hamouda fait-il partie du mouvement culturel berbère ? Où se trouvait-il en 1980 ? Pourquoi se cache-t-il derrière ce pronom problématique : nous », lit-on dans la revue Tafsut de janvier 1989. En guise de conclusion, il va de soi que le plan de Larbi Belkheir n'a pas marché, mais il n'a pas non plus échoué. Bien que la Kabylie n'ait pas tourné son dos à l'histoire, force est d'admettre qu'elle a laissé des plumes face à des forces voulant la tirer vers le bas. Aujourd'hui, ces forces se divisent en deux. Une partie cherche carrément la dislocation du pays. Quant à ceux qui se sont trompés de société, la culture de coup d'Etat reste leur seule devise politique. Et tout cela se fait au détriment de l'Algérie en général et de la Kabylie en particulier. Ait Benali Boubekeur