L'Algérie en attente! De quoi? Décidément de beaucoup de choses! La formule se passe désormais de commentaires : c'est l'impasse! Aujourd'hui on en est là, tous les indices le disent, toutes les statistiques le prouvent. Le pays est tombé à la renverse, vitrifié par l'inertie et grevé par les malaises. La machinerie politique du «système» étant, quant à elle, en panne. En sieste prolongée, la société civile se délite, se divise et se constitue en petits groupuscules sous-fifres de l'argent sale, agissant en sous-traitants des gouvernants en haut lieu, les partis politiques mis sur l'orbite de la soumission et de la décadence se contentent du profil de dindons de farce dans un climat de prédation insaisissable, qui plus est, sent le renfermé, se charge d'aigreurs et d'amertumes. Bref, le quotidien de toute une nation s'alimente de petits riens allant du prix exorbitant de semoule ou de la patate, le défi faussement «gigantesque» d'un match de foot à un piratage télévisuel au su au vu de toute la planète! Ça ne sert à rien d'employer des formules chocs et des phrases qui claquent pour s'en apercevoir, ça ne sert à rien aussi de recourir aux figures de style, aux ellipses et aux redites pour dépeindre cette grande expectative algérienne qui, faute de perspective et de prospective, nous plonge dans une espèce de dérive alarmiste. On sent indistinctement des craquelures, des fissures, des mésententes, des hiatus, des coupures, des cacophonies, des points de frictions au sommet de la pyramide, on a parfois la vague impression que l'engrenage coince quelque part, que ça bloque partout et que ça va éclater d'un jour à l'autre. Puis le lendemain, plus rien, certains responsables, pourtant jeunes, font des déclarations tonitruantes, parlent, toute honte bue, d'un quatrième mandat, d'autres, en avertis gérontocrates, connaisseurs des arcanes du régime prennent leur temps, se complaisent dans l'attente tandis que le citoyen lambda souffre de l'abandon et l'histoire s'accélère partout ailleurs….. Le pays est géré au jour le jour, arbitrairement! Le mot n'est sans doute pas de trop lorsqu'on sait tous que la tenue d'un simple conseil de ministres, du reste ordinaire et obligatoire, se métamorphose en Algérie en un événement-phare ; commenté et analysé par médias, masses et élites interposés non pour son continu mais tristement pour le spectacle et l'effet de scène qu'il projette, échéances électorales obligent! C'est déprimant! L'Algérie est devenu un théâtre de vaudeville où «garagous», guignols, potiches et politicards se tiennent la main dans un esprit de «clanerie» et d'allégeance insupportable au détriment des intérêts suprêmes de la nation !Qui dirait le contraire? Plus personne. On ne comprend pas par contre si le commencement de la pièce serait par l'alpha latin ou à partir de l'aleph borgésien! Là où la marelle, les dominos, le dribble, le diable, les doubles et les troubles se trouvent assaisonnés par le sel de la démagogie. On dirait que la société dans son ensemble marche à sens giratoire et s'y engage à reculons. Point de sortie dans le périphérique ou à l'autoroute. En Algérie on tourne, on tourne et on tourne indéfiniment sans risque de tomber en pâmoison ou attraper des vertiges. On tourne dans les bureaux sans rien faire, on tourne dans les décisions sans pouvoir trancher, on tourne dans les discours, on tourne pour des élections, on tourne un cinéma à ciel ouvert et clap, wallou! Puis, dans un souci de s'y bien faire représenter, on botte en touche, on dévie les évidences, on nargue les voix discordantes et curieusement finit par cracher dans la soupe critiquant pour la forme et trichant sur le fond dans l'unique but d'allonger l'intrigue du spectacle. Le problème n'est pas tellement de savoir comment on en est là mais simplement de reconnaître qu'on est arrivé là, dans ce rond-point de doute et d'indifférence généralisés badigeonnés de machiavélisme et tracés en pointillées d'angoisses dans le cœur de tous mes compatriotes. Car, à vrai dire, la tragédie algérienne s'est jouée depuis les premières lueurs de l'indépendance en plusieurs actes, certains à huis clos, d'autres ouverts au public, d'autres encore en attente dans les coulisses et qui sait encore, certains d'autres peut-être en surgiront d'ici le prochain rendez-vous électoral ... Pratiquement, depuis deux ans (le début du printemps arabe), l'Algérie accélère ce rythme, une période de stand-by dans un vase clos! Ni la perspective de révision de la constitution claironnée à haute voix par une certaine classe politique rodée aux manigances ni les réformettes placebo menées tambour battant par les officines de la nomenclature d'Alger, moins encore l'échéance électorale de 2014 ne semblent donner une grille de lecture optimale et convaincante d'une probable «reconfiguration» positive de la scène politique. Certes la maladie du président Bouteflika y est pour quelque chose mais elle n'en demeure pas moins secondaire au regard des luttes claniques sévissant au sommet du pouvoir. En outre, bien que relativement en retrait du champ politique depuis avril 1999, la grande muette, pierre de touche du système politique depuis juillet 1962, continue d'influencer les choix stratégiques de la nation. L'idée saugrenue de l'Algérie «maison en verre» dont avait parlée le président Bouteflika au tout début de son premier mandat est complètement battue en brèche car l'ombre tutélaire de ces décideurs obscurs plane toujours sur l'avenir de l'Algérie. Preuve en est que dans cette nouvelle «feuille de route» tracée à ce qu'il paraît in solo par Bouteflika dès son retour parisien en procédant en mi-septembre à la réorganisation de l'institution militaire cache une rivalité latente et préoccupante entre la D.R.S et le clan présidentiel. Ce qui nous amène à formuler trois hypothèses. La première est que, se sentant dans une position de faiblesse pour cause de maladie, le président, d'ailleurs accro aux rituels de bain de foules, de vivats, de visites marathoniennes et d'apparitions télévisées non-stop s'en est mordu les doigts. C'est pourquoi, il saisit l'occasion de son retour de Val-de-Grâce pour signifier clairement au peuple qu'il est en pleine forme, voire le maître de la situation sans nécessairement émettre le moindre signe de prolonger l'actuel mandat ou d'aspirer en briguer un quatrième ou à la rigueur rester à vie sur le trône. La deuxième hypothèse, du reste la fort plausible, est, que craignant pour son clan éclaboussé par des scandales de corruption à répétition (notamment dans l'affaire Khellil où le ministre est cité nommément), il a recouru aux décrets non-publiables pour dissoudre des organes de sécurité (D.R.S) à même d'entacher sa réputation usant de son pouvoir discrétionnaire en tant que président de la république et chef suprême des forces armées. La troisième hypothèse est que, faute de candidat de consensus et de relève politique à la génération de «tab djenanou», le président a été forcé par «ces décideurs» mêmes qui l'ont coopté en 1999 de rester au pouvoir par «une stratégie de manipulation» destinée à faire durer le suspens et brouiller les pistes d'analystes, classe politique et masses comprises. Souffrant d'A.V.C et étant en période de convalescence prolongée, le président serait dans l'ordre naturel des choses, dans l'incapacité de gérer le pays, encore moins maîtriser les dossiers sensibles, alors comment aurait-il pu prendre des décisions aussi sensibles qu'il n'avait, en aucun cas, osé entériner pendant 14 ans de règne? C'est flou et opaque en même temps. Cette hypothèse est plus d'autant juste que les candidatures à la magistrature suprême se font rares parmi la classe politique. Ni les vétérans du système Hamrouche et Benflis, ni les deux chefs des grands partis politiques, au demeurant éjectés par les appareils, Belkhadem du F.L.N et Ouyahia du R.N.D, qui sont pressentis selon certaines indiscrétions à être nommés de ambassadeurs ne se sont empressés au portillon! Bizarre et déroutant! En Algérie, on oublie par inadvertance ou par ignorance que quiconque avait occupé une fonction au pouvoir dans une période quelconque de sa vie en fait partie! De plus, à moins de 7 mois de la présidentielle, l'Algérie ne connaît ni ne sait si réellement le pouvoir serait prêt au jeu de l'alternance politique. Une défaite cinglante de la politique à plus d'un égard! Côté bilan, pas grand-chose à dire! Les deux plans quinquennaux successifs respectivement dotés de 100 et de 286 milliards de dollars, soit une enveloppe de 386 milliards de dollars entre 2005 et 2014 n'ont pas pu enrayer une inflation en hausse ni attirer les I.D.E (investissements directs étrangers), encore moins résorber un chômage endémique qui gagne de proche en proche notre jeunesse. Le P.I.B algérien reste modeste 188,6 milliards en 2012 dont plus de 40 à 45% est généré par les hydrocarbures. L'Algérie est devenue un corps aspergé de pétrole, juché sur une cagnotte de 200 milliards de dollars sans réussir le cap de l'industrialisation ou de la création de richesses, encore moins leur distribution équitable. Là aussi, c'est l'échec patent de la politique de Bouteflika. Le challenge de «la diversification de l'économie» nationale, du reste, la mère des batailles est perdu. En réalité, le régime actuel a pris un sérieux coup de vieux. Il n'a pas su ou voulu établir la hiérarchie des priorités, recenser les problèmes du pays et cesser de se voiler la face. Nos responsables doivent interpeller le présent, l'interroger, le lire, le diagnostiquer, l'analyser, effacer cette cécité obsédante que diffuse la langue de bois, débrancher le sérum qui nous anesthésie. Il faut secouer les consciences, absolument! Il convient de faire du citoyen un acteur et non un spectateur de son destin, donner un sens au mouvement général de la société : quel sera le futur du pays? Comment pourra-t-on gérer l'après-pétrole? Comment saurait-on revoir l'architecture urbanistique de nos villes, réformer le système de santé et le rénover avec à l'appui une prime de chômage pour les plus démunis d'entre nos concitoyens, combattre la mendicité publique et remettre la justice sur les rails, revenir au système bilingue dans l'enseignement supérieur et dans le système scolaire en général car l'arabisation destructurante, sauvage, anarchisante et chauviniste a laissé de profondes entailles sur le corps des générations montantes et crée une espèce d' «aliénés culturels» et de «paranos trilingues». De même, l'Algérie pourrait être un modèle social en devenir au Maghreb pourvu qu'elle ait consenti l'unique sacrifice de construire un idéal socio-démocratique, basé sur un réseau institutionnel en étroite corrélation avec la société civile, les associations caritatives et les comités du quartier. En ce point, il est digne d'affirmer que l'encouragement des initiatives provenant des bas-fonds sociaux (les quartiers) est à même de former une certaine «culture de substitution» en mesure de combler le vide creusé par le relâchement actuel d'esprit syndical et militant dans le milieu tant ouvrier qu'estudiantin. Le quartier est l'espace de rencontre par excellence entre les voisins, les proches et les citoyens. Un lieu stratégique d'où émane le premier «feed-back» à toute politique étatique d'autant qu'il véhicule l'opinion et les préoccupations primordiales de quelques familles partageant le même vécu ainsi que les mêmes difficultés. En ce sens, l'Etat est sommé de revoir la notion de «politique de proximité» qui devrait, à mon humble avis, s'articuler sur le citoyen d'abord puis le policier ensuite et non pas l'inverse, il n'y a pas de «tout-sécuritaire» mais «un tout-citoyen solidaire», intimement imbriqué à la famille, l'école et l'université. En revanche, ce noyau central autour duquel gravitent d'anciennes solidarités, liées notamment à la société traditionnelle ne suffit pas, lui seul, à protéger nos villages, cités et villes des dégâts de l'ultralibéralisme sauvage et du matérialisme galopant sans l'émergence d'une véritable dimension «modernisante» des initiatives personnelles et collectives. C'est dans cette optique qu'il incombe également aux autorités de lancer le défi prometteur «des écoles d'élites», dotées d'enveloppes financières conséquentes et de moyens matériels à l'aune de l'évolution du monde moderne qui leur permettent de percer dans cette aire du vide national caractérisée par une régression terrible à tous les niveaux (culturel, politique, social). Les écoles d'élites aideront certainement le pays à se réformer au long cours sans nécessairement déboucher sur le passage à la force brute. Elles sont à même de trier, choisir, former, socler, faire élever et forger des génies dès leur jeune âge pour prendre à bras le corps le destin du pays. Construire une intelligentsia technocrate, non-partisane, hautement managériale, compétente, patriote, porteuse d'idéaux sociaux et moraux est, à n'en point douter, une impérieuse nécessité en temps actuels afin de garantir une relève dans une génération, soit dans les 25 ans à venir (horizon 2040). A cet effet, l'Etat devrait protéger le génie, le mettre à l'abri de ces processus d'éducation à la ramasse, capter le mouvement de jeunes candidats à l'exil volontaire sous d'autres cieux dans les grandes administrations publiques, les créneaux de communication, la créativité, l'artisanat et les métiers de commerce, encourager la recherche scientifique avec des primes d'excellence pour des talents et des travaux distingués des sommités intellectuelles en contrepartie de performances exceptionnelles de la part du corps enseignant (consistance du diplôme universitaire, garantie d'une formation académique aux critères universels, relance de la machine de la publication, révolution culturelle dépouillée du folklorique, du protocolaire et du démagogique, l'installation d'une ambiance de concurrence dans nos facultés, la lutte sans merci contre le plagiat et la vermine de l'assistanat). La corruption est indubitablement ce fléau ravageur sur lequel le futur président algérien sera appelé à agir de la manière la plus forte et la plus énergétique qui soit. Pour ce faire, il doit nettoyer en urgence les écuries d'Augias. La première étape consistera, à mon humble avis, dans «un processus de décentralisation» politique, administrative et sociale, concerté avec les collectivités locales, l'Algérie actuelle compte environ 1541 communes, un chiffre qui, traduit dans la réalité physique (plus 2,3 millions k2), démographique (plus de 37 millions d'habitants) et sociale du pays ( stratification entre ruraux et citadins, topographie non-similaire entre le sud et nord…etc), ne signifie plus rien. La gageure de «mieux décentraliser pour mieux gouverner» est à mettre en perspective en cette deuxième décennie du XXI siècle, procéder à un autre découpage des communes et réviser le code communal pour pouvoir mieux gérer et contrôler les entités territoriales est une antidote à tant de dysfonctionnements structurels et administratifs. Les grands espaces favoriseront l'anarchie de gestion, la corruption, les malversations dans l'immobilier, les problèmes dans le cadastre, les affaires sociales, la gestion des ressources humaines (G.R.H)….etc. Puis, dans une deuxième étape, rendre tout son lustre et panache à la fonction du maire et renforcer ses attributions et ses prérogatives d'autant qu'il est la pierre angulaire sur laquelle repose tout l'échafaudage politico-social du pays. Il est vrai que, si cette étape de «décentralisation/déconcentration» au niveau local réussit, ce qui allait prendre approximativement une dizaine d'années, l'Algérie s'acheminerait inéluctablement vers «un modèle de gouvernance unitaire décentralisé» et c'est là qu'il convient de préparer l'avènement des grandes métropoles telles que Constantine et Oran à un rôle de secondes capitale pour «décongestionner» Alger et ses agglomérations. Cette restructuration est d'une part, à même d'alléger la pression sur la capitale actuelle en matière de circulation routière, d'affluence des populations de l'intérieur (l'Algérie profonde) et d'acheminement de marchandises au niveau des ports (lutte contre le réseau import-import). D'autre part, face aux foyers de tensions qui se multiplient près de nos frontières, cela assurerait une meilleure coordination des efforts et des communications entre la hiérarchie militaire et les autorités civiles. L'Algérie de 2014 aura certainement du pain sur la planche. Se défaire de cette culture d'intrigues d'appareils, des coups de forces et des luttes claniques est un défi immensément salvateur pour le prochain locataire du palais d'Al-Mouradia. La politique est aussi un long exercice de la morale et de la déontologie dans le seul intérêt de la mère-Algérie! Kamal Guerroua, universitaire