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Misère de la politique!
Publié dans Le Quotidien d'Algérie le 04 - 09 - 2013

Misère de la politique ou politique de la misère!(1). Que choisir? Entre ces deux extrémités abyssales qui se partagent le quotidien des algériens avec tout ce qu'il a d'ennuyeux, d'abominable et de repoussant, la frustration est intégrale et la peur de lendemains peu amènes est plus que jamais à l'ordre du jour. En effet, les failles rédhibitoires de notre système politico-social sont partout visibles à l'œil nu et la gangrène protéiforme cisaille encore les os du pays. On dirait qu'on s'emploie vainement à remplir d'eau un sac en plastique troué. L'Algérie est un mythe Sisyphien dont les tripes sont rassasiées de turpitudes de tout calibre. Névrose dans la rue, insécurité urbaine grandissante, exode rural effréné, pauvreté envahissante et inflation économique au rouge sont entre autres les ingrédients de tous les remous sociaux et le baromètre des mauvais présages en attente dans l'avenir. Un climat par trop seyant à toutes les dérives autoritaires, bureaucratiques et oligarchiques en contrepoids des mouvements de foules incontrôlables. Dans notre pays, la quintessence réelle du politique et de la politique s'est érodée et a fondu de façon inquiétante dans des querelles byzantines, des chamailleries bidons, des considérations matérialistes, des jeux claniques, et la bouclé étant déjà bouclée ! Le pouvoir reste un aphrodisiaque qui donne l'ivresse et désauréole tout patriotisme dans les cœurs de nos responsables, du reste, atteints eux-mêmes du torticolis. Car ne voyant que le cercle de leur bureaux et n'écoutant que les avis de ceux qui les soutiennent et leur cirent les mocassins, ils ont paraphé leur rupture définitive d'avec le citoyen de l'Algérie profonde. Celui qui subit de plein fouet les conséquences de la décrépitude du pouvoir d'achat, les aléas de l'enclavement, les problèmes de logement, la misère économique…etc. Ce qui est en mesure de dénaturaliser/fausser les rapports sociaux et instaurer de la sorte un régime de prédation oligarchique sur fond de normalisation, moralisation voire écrasement de l'espace public d'où devrait naître en principe ce «pouvoir d'assiègement permanent» dont a parlé le penseur de l'école de Frankfort Jurgen Habermas. A la vacuité idéologique des décennies précédentes (parti unique, intimidations, étouffement de libertés, interdiction de partis…etc), notre nomenclature a préféré une foi démagogique (islamisme d'apparat, langue de bois, rumeurs planifiées, régionalisme, tribalisme…etc). Ainsi, le président de la république, garant de la stabilité de la nation, s'éclipse comme si de rien n'était des écrans de la télévision, des réunions officielles, des débats sensibles ayant trait à la santé du pays dans une circonstance charnière (l'échéance électorale des présidentielles en 2014). Ce qui hypnotise davantage la scène politique dans le sens de l'amortissement et de l'inertie. Hormis l'ex-chef du gouvernement Ahmed Benbitour, aucune personnalité nationale d'envergure ne s'est portée candidate à la magistrature suprême. Sous d'autres cieux, une telle situation susciterait mille et une interrogations alarmistes!
L'Algérie étant désormais une barque sans chef officiel, livrée en pâture à tous les pronostics. En déclinaison graduelle, elle serait toutefois l'aubaine inespérée de toute cette pègre d'affairistes sur le dos de la princesse. Après le scandale de l'empire décadent de Khalifa dont le malheureux « golden-boy» croupit encore dans une geôle londonienne sans grand espoir d'être extradé un jour en Algérie, vient le tour du tout puissant «Monsieur-pétrole» tapi chez l'Oncle Sam et gardant les tenants et aboutissants des scandales de Sonatrach dans ses dossiers «top-secrets». Presque annexé aux choix aveugles de l'exécutif, l'U.G.T.A, l'unique syndicat officiellement reconnu est parmi les grands abonnés absents à l'orée d'une rentrée sociale explosive, le C.N.E.S, un édifice public fantôme, succursale de nos chambres législatives (A.P.N et Sénat) endormies sur leurs beaux lauriers, n'intervient que peu rarement pour éclairer les lanternes de nos compatriotes et jouer son rôle d'institution consultative et régulatrice de l'économie. Nos partis! Que des guignols dans une grande mascarade, qui de surcroît tiennent en haleine par leurs chimères et supercheries nos masses. Ce qui s'est passé au sein du plus vieux parti algérien, en l'occurrence le F.L.N, illustre de manière on ne peut plus dramatique le mal qui ronge notre classe politique. De tractations malsaines aux méthodes martiales en passant par la langue de bois, l'absence du débat contradictoire, les veillées d'hôtels, les consensus frelatés, la servilité et les ambitions bassement matérialistes du gros lot de ses cadres-militants, en majorité en rupture de ban avec les idéaux d'un parti jadis révolutionnaire, le F.L.N n'est que l'ombre de lui-même, un simple organe exécutif des ordres de la hiérarchie gérontocrate en haut lieu.
Le pays en général ne fait qu'avancer vers l'arrière et reculer vers l'avant porté en litière par des rumeurs et des propagandes. Nos politiques ont renoncé au rêve, au projet et au progrès et ne semblent pas prêts à légaliser ce que j'appellerai hinc et nunc «un pacte actif de générosité citoyenne», base, à mon humble avis, de toute paix sociale pérenne. Ce faisant, ils savourent les alignements opportunistes, les prurits tribalistes, ourdissent des complots, mitonnent des machinations et échafaudent des scénarios du pire pour faire taire toute voix discordante dans les bas-fonds. Une vieille méthode tombée en désuétude à l'heure de l'internet, du facebook, youtube, twitter et j'en passe. Ce qui arrange les milieux d'affaires qui ont des liens forts dans nos administrations, nos ministères et au sein même de la présidence ! L'import-import et la culture du «Compradore» ayant déjà ravagé les économies de l'Amérique Latine dans les années 80 sonnent le glas de toute idée d'investissement étranger en Algérie. Le terrorisme administratif en tire son usufruit. Il ne serait pas faux de dire que la casuistique «des réformettes placebo» enclenchées en 2011 a péché par incohérence et raté le coche dans la mesure où les têtes pensantes de la corruption sont toujours épargnées, les lenteurs bureaucratique et les malversations/ détournements des fonds publics à des fins personnelles non élucidés ni encore moins châtiés. Il y a, à vrai dire, en Algérie une étroite «connectivité» entre le milieu d'argent et les coulisses politiques. S'appuyant sur des élites carnassières, obséquieusement serviles et sans scrupules, nos décideurs partagent via des clans (concentriques, décentrés et recentrés en fonction des circonstances) les prébendes des hydrocarbures et les distribuent selon le degré d'allégeance aux régions, aux administrés et surtout aux sujets politiques que sont devenus nos citoyens. Les élus «docilisés» à merci et gagnés par «le réflexe pavlovien» acquiescent sans sourciller au choix des maîtres de céans. Ce qui nous permet de dire que notre pays souffre du «paradoxe de puissance impotente» (2) pour reprendre à mon compte le terme de l'économiste français Jacques Généreux. Autrement dit, faute d'être un adjuvant de nature à fluidifier une diversification de production, la manne céleste d'hydrocarbures s'avère être une malédiction qui facilite les politiques économiques «monopolistiques» des grands barons de «la maffia économique». Que l'on veuille ou pas l'admettre, les postes de responsabilités sont devenus des sources du lucre, un ascenseur social et un tremplin pour l'enrichissement et la mise en orbite dans le réseau de connaissances informelles. La tchipa, mâarifa, backchich sont autant d'astuces usées à mauvais escient par nos sages responsables en vue de ressusciter et «revaloriser» symboliquement les rapports de subordination «coloniale» d'autrefois entre eux et les gouvernés. Le recours quasi systématique à un tel troc peut s'expliquer d'une part par la matérialisation chaotique et accélérée des mentalités de nos compatriotes sous l'effet de la mondialisation-laminoir, l'image d'immeubles algérois déglingués mais tous dotés de tubes cathodiques (paraboles) nous en donnent une certaine idée. D'autre part, l'étanchéité du système administratif algérien et son adoption des normes françaises rigides, impénétrables et s'articulant sur la pédagogie alternative du «bouche à oreille», les connaissances et l'intervention (pouvoir informel) a mis, faute de moyens de contournement et de dissuasion efficaces (informatique, internet, moyens de contrôle, punitions exemplaires…etc) notre régime social en général, nos responsables ainsi que nos citoyens en particulier en émoi, prédisposés à tricher, à user de méthodes retorses, voies dolosives, techniques diverses pour s'arracher un droit pourtant légitime de façon complètement illégale! De nos jours, il serait une urgence vitale de mettre sur pied des commissions de contrôle ad hoc, réactiver le travail de la cour des comptes gelée début 2000 et faire de la déclaration du patrimoine une obligation morale pour tous les élus de la nation et les hauts cadres d'Etat.
L'algérien lambda peu citadin, rural dans l'âme, est fasciné par l'apparence, attiré par le luxe, grisé par l'argent facile et émerveillé par le capital individuel quoiqu'en profondeur reste largement égalitariste, attaché à l'idée de la collectivité, la communauté et la famille soudé par la veine jugulaire de l'islam, parfois même se donnant les airs d'un socialiste chauviniste. Bref, ce qui mortifie l'âme c'est que «cette matérialité» ou ce matérialisme absorbé à titre individuel par le citoyen algérien sont battus en brèche sur le plan collectif. Cette contradiction est fondamentale pour comprendre les ressorts de «la revanche sociale» contre tout symbole de richesse et tout particulièrement les mécanismes de l'émeute comme moteur de l'histoire récente de l'Algérie, pratiquement depuis octobre 1988. Le phénomène du kidnapping des patrons, des chefs d'entreprises ou leur progéniture, le rapt d'enfants et leur mutilation ou viol qui défrayent la chronique ces derniers temps dans notre pays ne sont pas étrangers à une certaine «tendance sado-masochiste» des couches les plus désespérées de notre société. La loi d'airain qui domine le substrat élitiste a résilié «le contrat symbolique» qui lie la masse gouvernée à la minorité gouvernante. L'insalubrité, le je m'en-foutisme galopant et le manque d'hygiène dans nos rues participent, sans doute, de cet élan de «ressentiment citoyen» envers les autorités à toutes les échelles. En plus, la volonté confondante, presque velléitaire d'éradiquer les constructions illicites, rénover le tissu urbanistique et revoir les normes de la cohabitation en ville allait coûter cher à nos élites. Un jeune mal-logé, mal-nourri, souffrant de la déperdition scolaire, peu estimé à sa juste valeur par une société de tabous et ayant pâti de longues années d'une éducation familiale et sociale défaillante trouve nécessairement charme à la délinquance. Les reportages de la presse nationale sur Hai Nakhil (cité des palmiers) et plein d'autres bidonvilles et constructions vétustes et hors normes dans l'algérois témoignent de la détresse citoyenne face à la nonchalance de l'Etat et les promesses non tenues des officiels (3). Nos députés pour la plupart mal-inspirés renflouent leurs poches et ne reviennent jamais à leur électorat pour rendre des comptes de leur action sur le terrain que la veille d'une nouvelle campagne électorale. L'islamisation rampante (voile massif, spiritualisation de l'espace public et fanatisme parfois…etc) censée à la base moraliser/purifier la vie publique et venir en aide à un Etat déliquescent n'est qu'un subterfuge pour endoctriner davantage des jeunes et les mener à rejeter le contrat séculier. L'injustice ou cette fameuse «hogra» qui contamine l'atmosphère de l'entente citoyenne est mise dans la sauce de la manipulation. Elle est à même de provoquer l'irréparable si on n'y prête pas attention « il n'y a aucune injustice à ce que certains soient petits et d'autres grands. L'injustice apparaît lorsque nos sociétés accordent arbitrairement un statut meilleur à ceux-ci ou à ceux-là» dixit Albert Jacquard. Dire la laideur et les maux du pays, accepter de les étaler sur la place publique, s'auto-critiquer, s'auto-évaluer et se remettre en cause sont sans doute les meilleures méthodes de le soigner. A méditer.
Kamal Guerroua.
Notes:
(1) Il s'agit en fait d'un décalque du jeu de mot ayant opposé le philosophe Marx (1818-1883) à ami Proudhon (1809-1865) à la philosophie de misère du premier répond la misère de la philosophie du second.
(2)Jacques Généreux, la dissociété, Point-essais, Editions le seuil, 2007
(3) Mustapha Benfodil, Hai Ennakhil, une oasis de désolation à Bachedjerah, El Watan N° 6957 du 28 août 2013
(4)Albert Jacquard avec la participation de Huguette Planes, Petite philosophie à l'usage des non-philosophes, éditions Stock, 2009


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