L'article de Mr Benbitour, intitulé « des années de disette à l'horizon », paru récemment dans les colonnes d'El Watan, semble être passé inaperçu; pourtant, les perspectives, qu'il laisse entrevoir pour le pays, sont effrayantes, voire effarantes. Il n'y a pas si longtemps, Mr Ghozali, une personnalité incontournable dans le domaine pétrolier, avertissait déjà que les ennuis pourraient poindre dans cinq ans, c'est-à-dire, demain, et seraient le début d'une »lente agonie ». Tout le drame réside, à notre avis, dans ce qui a été fait de la société algérienne; maintenue de force dans un état de dépendance tiers-mondiste, infantilisée, détournée des enjeux cruciaux qui plombent l'essor du pays, au début parce qu'elle était analphabète, mais ensuite parce qu'on l'a empêchée de s'organiser. Au fur et à mesure, la résignation a eu raison des cœurs, et les gens ont renoncé à s'impliquer, se contentant de désigner passivement le pouvoir de tous les maux; l'erreur de ce dernier a été de penser qu'un tel état d'esprit durerait éternellement, et celle de la société de se laisser morceler en îlots disparates, plus facilement manipulables, comme autant de satellites voguant mollement autour d'une planète à l'orbite bien précise. Résultat: quand les experts préviennent que nous allons droit dans le mur ( avec un choc qui promet d'être violent), et que les institutions officielles affirment le contraire, nous nous trouvons avec, au beau milieu, une société civile qui en est encore à tenter d'inventer les moyens de clamer son existence ( à défaut de peser sur le cours de choses en exerçant son droit de regard, pourtant inaliénable, sur les affaires de la cité). Pour ne pas lasser le lecteur néophyte, notre propos ne sera pas d'ordre technique, mais tentera de focaliser l'attention de celui-ci sur deux aspects de la question énergétique, prioritaires de notre point de vue: la consommation nationale, et la polémique concernant les gaz de schistes. Il est une lapalissade d'affirmer que, de tous les portefeuilles ministériels, le secteur de l'Energie est immuablement lié à la vision exclusive du pouvoir; hélas, celle-ci, primaire, voire primitive, se limite à l'augmentation du niveau de la rente à son maximum par une production effrénée des hydrocarbures, et ce, dans le seul but d'acheter une paix sociale (qu'on peut obtenir, d'une manière plus valorisante, par la création de richesses, mais là, c'est une toute autre histoire). Cette frénésie morbide à convertir de l'énergie, non renouvelable, en masses d'argent dont il est patent qu'elles n'ont pas donné lieu à des investissements productifs, relève soit de la folie soit du crime intentionnel. La mission du ministre ne souffrant donc d'aucune ambiguité, le dilemme de ce dernier, devant la contradiction de ses devoirs, est terrible. Nous en avons eu un aperçu récemment. En effet, ce commis de l'Etat a eu le mérite d'avoir osé, il y a deux mois, soulever la question d'une révision des prix à la consommation des carburants et de l'électricité; il a eu, cependant, à faire publier un communiqué dans la même journée qui infirmait ses dires (un cinglant camouflet, dommageable pour son image d'universitaire de haut niveau, qui aurait dû le pousser, ayant atteint un âge respectable, à faire valoir ses droits à la retraite). Or, sans l'élaboration consensuelle d'un modèle qui infléchirait l'ascension affolante de consommation, en incluant nécessairement une vérité des prix graduelle (pour lutter contre le gaspillage, et le transfert informel d'une ressource précieuse vers les pays voisins), la demande va exploser et porter réellement préjudice à la stabilité du pays. Le ministre de l'Industrie abonde en ce sens : » Je ne suis pas tant inquiet par la baisse des exportations d'hydrocarbures de l'Algérie que par la progression inquiétante de la consommation interne de l'énergie », dit-il, et d'ajouter: »La progression extraordinaire de la consommation interne en énergie nous mettra face à de sérieux problèmes d'ici dix ans, tout au plus ». On ne pourrait être plus explicite. Le ministre de l'Energie,qui a pour obligation de fournir l'électricité et les carburants au marché national, avec pour directive de le faire sans attenter à leur prix de cession, semble avoir trouvé la formule idoine pour s'en acquitter tout en veillant à demeurer en totale conformité avec sa mission (qui est, rappelons-le, de procurer toujours plus de ressources financières à l'Etat): prôner l'exploitation tous azimuths de toutes les ressources énergétiques possibles (le nucléaire y compris) pour » assurer le bien-être des générations futures » (sic). Une solution, pour le moins curieuse, qui consiste à produire plus, et à n'importe quel prix, pour gaspiller plus! Nous nageons dans le surréalisme, dangereux qui plus est. Cette fuite en avant constante est suicidaire pour le pays. De même, en ce qui concerne le sujet des gaz de schistes, nous sommes en droit de craindre qu'on nous cache quelque chose, et qu'il soit fait de ce sujet un instrument de tromperie qui égalerait, voire dépasserait, le niveau de catastrophe qu'une certaine loi des hydrocarbures aurait provoqué (heureusement, celle-ci fut bloquée in extremis). Car l'affaire semble être déjà ficelée, avec une législation favorable, et des contrats d'exploration octroyés ou en cours de l'être, alors que la France (gouvernement et société) interdit ce type d'exploitation sur son sol. L'exploitation d'une ressource dont nous ne maîtrisons aucun des paramètres technologiques ou écologiques, dont la rentabilité reste à démontrer, et, comble du mépris, sans que les habitants de ce pays ne soient avertis de ses risques ( pollution potentielle de la nappe phréatique), emprunterait beaucoup, à nos yeux, à l'opération Gerboise de l'ex-colon dont des algériens continuent de mourir. L'importance de la question est telle qu'il est pertinent de se demander si le débat sur la révision de la constitution importe plus que celui sur la problématique de l'énergie; autrement dit, le pays qui a pu survivre à tous les viols faits à la constitution, est-il en mesure de survivre à une crise énergétique dont l'imminence est annoncée? Souhaitons qu'il n'ait pas à y être confronté. Aussi, un Grenelle de l'énergie est impératif. Seules des assises nationales, transparentes, nécessitant le concours de tous (pétroliers, économistes, planificateurs, universitaires, associations environnementales, partis politiques, etc...) seraient susceptibles de déboucher sur la définition la meilleure d'un modèle de consommation soutenable par les moyens réels du pays, et sur les alternatives pour affronter le futur sans nuire aux générations à venir. Les algériens sont capables des plus grands sacrifices (et ils l'ont prouvé au cours de l'Histoire), comme des initiatives les plus louables. Il suffit simplement de faire confiance à leur génie. Pourquoi ce déni, révoltant, méprisable, fait à l'intelligence des enfants de ce pays? Pourquoi former des cadres si ce n'est pour en faire usage lorsque l'intérêt de l'Etat le commande? Concluons en paraphrasant J.J.Bourdin, le journaliste radio français célèbre pour le flot de questions auquel il soumet ses invités: » mais répondez, les algériens veulent savoir! » Bacha Ahmed, retraité, ancien cadre supérieur Sonatrach