Après la proclamation du bureau politique (BP), à Tlemcen, le 22 juillet 1962, par la coalition benbelliste, les inquiétudes des politiques, notamment Ben Bella et Khider, face à la noria militaire de leur propre camp, sont palpables. En effet, si l'Etat-major général (EMG), dirigé par Houari Boumediene, « désire ruiner l'autorité du GPRA (gouvernement provisoire de la République algérienne) et du CNRA (conseil national de la révolution algérienne) et ne voit plus leur raison d'être maintenant que la victoire est là », pour reprendre les termes de Mohamed Harbi, il n'en est pas de même des deux chefs civils déjà cités. Car, bien que le chef de l'EMG reste, pour le moment, en retrait, dans les coulisses, c'est lui qui dirige tout. Et cela n'échappe pas aux observateurs. En tout cas, c'est dans ce contexte alambiqué que les deux chefs historiques, Ben Bella et Khider, se rapprochent des chefs de wilayas historiques hostiles au BP. Ce compromis intervient le 2 août 1962. Ces chefs civils sont-ils pour autant prêts à partager le pouvoir ? Ce n'est pas sûr à en croire Mohamed Harbi. Pour lui, « la tactique est d'obliger l'adversaire à reculer, sans le provoquer outre mesure». A-vrai-dire, cette stratégie consiste à atténuer l'emprise de l'EMG. « Ce n'est pas exclu si l'on admet qu'un des mobiles de l'accord du 2 aout était justement la crainte de voir l'état-major devenir la pièce maitresse de la coalition benbelliste », argue-t-il. En effet, il n'est pas dans l'intention de Ben Bella de céder la moindre parcelle de pouvoir à ses détracteurs. Bien que l'accord du 2 août, intervenu entre le groupe de Tlemcen et le groupe de Tizi Ouzou, soit porteur d'espoir, les intentions hégémoniques de la coalition Benbelliste transforment cet espoir en illusion. Et pour cause ! Malgré l'acceptation de Mohamed Boudiaf d'intégrer le BP –accord trouvé lors de la rencontre entre Krim Belkacen, Mohand Oulhadj pour le compte du groupe de Tizi Ouzou et Rabah Bitat, Mohamed Khider pour le compte du groupe de Tlemcen –, et dont la mission est de préparer les élections à l'Assemblée nationale constituante et la session du CNRA, la coalition benbelliste ne joue pas le jeu. « Et ce fut donc le parti de Ben Bella qui à lui seul commença à fabriquer les listes. Mais, pour se concilier les wilaya(s), le bureau politique les avait laissé intervenir dans la désignation des candidats. Or les régions contrôlées par les wilaya(s) 2, 3 et 4, rétives ou hostiles, représentaient près des deux tiers des candidats à élire. Le bureau politique risquait donc d'avoir sur les bras une assemblée où ses opposants seraient majoritaires », souligne Gilbert Meynier. Doté d'une force de feu largement supérieure à celle des maquis intérieurs, le chef de l'EMG siffle la fin de la récréation. Pour lui, les tractations ont assez duré. Dans la foulée, cela provoque aussi la démission de Boudiaf du BP, le 25 août 1962. A partir de là, les choses vont se précipiter. « Vers le 28, les chefs militaires de la coalition benbelliste se réunissent à Bou-Saâda et décident de forcer les portes d'Alger et de n'accepter aucun compromis », note Mohamed Harbi. Enfin, la fin du coup de force n'intervient que le 9 septembre avec la neutralisation des wilayas hostiles au BP. Ecrasant tout sur son passage, l'armée des frontières cause la mort d'un millier d'Algériens. C'est le prix du sang pour prendre le pouvoir. Et quand Ben Bella parle de la victoire du peuple, l'éminent historien algérien, qui, de surcroît, était un de ses conseillers en 1962, rétablit la vérité en écrivant : « Ce n'était pas vrai. Le Bureau politique a triomphé grâce aux troupes de l'état-major. Et si Ben Bella voulait l'ignorer, la réalité viendra frapper sans cesse à sa porte pour le lui rappeler, jusqu'au jour fatidique du 19 juin 1965 ». Pour conclure, il va de soi que l'élimination du GPRA, instance légitime de la révolution algérienne, ouvre la voie aux aventuriers. D'ailleurs, l'alliance entre l'EMG et les trois chefs historiques, Ben Bella, Khider et Bitat, s'est faite contre le GPRA. Mais, quand on accepte de faire partie des putschistes, le pouvoir risque de changer de main très vite. Cela devient effectif à partir de juin 1965. Ait Benali Boubekeur