Dans un célèbre film d'Elia Kazan, on voit se superposer deux séquences sublimes, un animateur de télévision extrêmement populaire qui aura sous l'effet conjugué de l'alcool et d'un ego démesuré dépassé toutes les limites et défrayé la chronique quitter son studio pour emprunter l'ascenseur et rejoindre le rez-de-chaussée sans savoir qu'au même instant une femme dans la tourmente et la douleur va provoquer sa chute implacable et révéler à la face du monde sa personnalité controversée. Ce film rend bien compte de ce qu'il ne faut surtout pas faire lorsque l'on n'a plus la tête sur les épaules et pose à sa manière la question des limites à la liberté d'expression, des lignes rouges infranchissables ou qu'il serait malvenu d'essayer de franchir mais également celle de la légitimité ou de l'illégitimité de prétendre rendre justice soi-même ou de se venger sous l'effet de la colère, de l'indignation ou de l'incompréhension . Ainsi Eric Zemmour en cinéphile pourtant averti n'aura sans doute pas été inspiré par ce film mais méditera dans une retraite désormais annoncée par d'autres que dans l'excès sémantique il arrive toujours que l'on commette un jour la faute, celle de trop, celle qui vous est fatale et qui vous oblige à rendre des comptes. Eric Zemmour ne sévira peut-être plus comme il l'aura toujours fait depuis deux décennies concomitamment à la radio, la télévision et dans la presse écrite. Et le glas vient sans doute de sonner pour lui à la télévision mais probablement plus tard ailleurs ou il excelle et fait exploser l'audimat en tenant des propos souvent ambigus et scandaleux. Des rendez-vous avec la justice auront certainement lieu du fait de ses déclarations notamment les plus récentes exprimées dans un journal italien que certains assimilent à de l'apologie de la haine et qui sont désormais passibles des tribunaux et ou il n'hésite plus à demander le départ et la déportation des musulmans d'Europe. Mais pourquoi et sous quel effet ce surdoué des médias, fils de juifs algérois, né à Montreuil, une ville pourtant réputée pour sa diversité culturelle, et qui a commencé sa carrière en tenant une brillante chronique quotidienne dans un journal gratuit distribué notamment dans le métro a-t-il viré dans l'excès, la diffamation, le racisme, la haine la plus abjecte qui soit de l'Islam et des musulmans et qui s'est érigé en nouvelle icône des néocons(*) français et de ceux qui se proclament comme tels, pales reliques de leurs inspirateurs américains, pourfendeurs de l'Islam, artisans du chaos mondial et de son corollaire l'asservissement des peuples, ce chantier infâme et nauséabond que ces nouveaux seigneurs veulent bâtir sur les décombres de l'humanité toute entière et dans les eaux marécageuses du mépris et de la haine. Le monde qui est actuellement et plus que jamais désarticulé avec des réminiscences de la guerre froide et en proie à de nouvelles inquisitions, de violentes et sanglantes expéditions militaires et à la résurgence de vieux démons dont ceux de l'exclusion de l'autre et de l'exaspération des différences raciales, ethniques et religieuses a besoin de paix et de sérénité. Et il serait dangereux de les malmener en portant atteinte à ce sacro-saint respect mutuel, cet ultime lien qui existe encore et qui permet à une si fragile coexistence pacifique entre des peuples si différents d'exister, des peuples pourtant tellement semblables face aux défis qui menacent une planète malmenée par les forces insatiables de l'argent et du profit. De nombreux exemples démontrent hélas que l'excès en général et celui sémantique en particulier mais aussi toutes les autres provocations (médiatiques, cinématographiques, littéraires, etc..) engendrent inévitablement la riposte même de ceux qui ne s'expriment jamais, sèment la confusion et malmènent la cohésion des communautés nationales et augurent du pire. Eric Zemmour, grand journaliste devant l'eternel devenu apologiste de la haine qu'un célèbre polémiste comme Jean-Edern Hallier, qui dans toutes ses extravagances, excès et mises en scène s'est toujours acharné contre l'establishment et les célébrités politiques tout en se gardant de s'en prendre aux convictions les plus intimes des autres, n'a sans doute pas inspiré est crédité depuis longtemps d'envolées sémantiques qui ont défrayé la chronique avec des propos excessifs et provocateurs sur l'Algérie coloniale, des propos ambigus sur la communauté noire et un réquisitoire violent et récurrent contre l'Islam et les musulmans n'hésitant pas au passage à enfiler l'habit de celui qui défend la chrétienneté et qui demande la déportation de millions de musulmans dans une interview à un quotidien italien poussant ainsi, avec d'autres gourous des médias français, à la constitution en France et en Europe d'un veritable front judéo-chrétien contre l'Islam et les musulmans. Ce talentueux journaliste a voulu porté sur ses petites épaules frêles un combat qui n'aurait jamais du être le sien, celui de porter en bandoulière le fardeau du néo conservatisme français, pale relique du néo conservatisme étatsunien en n'hésitant pas à s'ériger pendant plus de deux décennies en terreur du paysage audiovisuel français et en censeur impénitent des rédactions parisiennes. Il était celui qui fixait les règles du jeu dans tous les studios et rédactions françaises, faisait peur à tous ses confrères et qui ne tolérer qu'aucune critique notamment de la politique israélienne ne soit formulée en s'attribuant toujours le beau rôle d'arbitre et en décidant de ce qui est bon ou mauvais aussi bien dans la classe politique française que dans les médias. Ces médias qui décident, exaspérés par ses frasques cathodiques et ses propos racistes, xénophobes et islamophobes, de se prémunir de sa collaboration ou d'envisager de le faire à court terme en y mettant fin pour certains ou en se désolidarisant de ses propos pour d'autres. Cet incorrigible gaffeur capable de tous les excès pour faire exploser l'audimat des médias qui l'emploient ou le tirage des journaux qui lui ouvrent leurs colonnes n'hésite pas à se nourrir dans la gamelle de l'extrême droite qui détient pourtant dans son lexique historique la terminologie la plus haineuse du juif et qui lui renvoie bien aujourd'hui l'ascenseur puisqu'il vient de bénéficier du soutien de son égérie, Marine Le Pen. Peut-on pour autant qualifier ceux qui ont décidé de se séparer d'Eric Zemmour, avec mille et une précautions car l'intéressé peut à tout moment solliciter le sempiternel argument antisémite, d'extrémistes, de radicaux ou de complices ? Bien sur que non. Seul le respect de l'éthique et de la déontologie du métier ainsi que le souci de préserver la paix civile et de recadrer le concept de la laïcité en France, maintes fois dévoyé et travesti par Eric Zemmour, dans sa veritable dimension, celle de garantir le respect de toutes les croyances et de maintenir les conditions de leur coexistence pacifique, auront finalement mis un terme à ces provocations. Dommage, en voulant faire mieux que d'autres dans l'excès et la provocation, en remettant au gout du jour des termes qui ont pourtant fait dans un passé récent tant de victimes et de mal et dans sa quête de la postérité, Eric Zemmour aura malgré un talent indéniable tout perdu y compris le soutien indéfectible de ses coreligionnaires ! Il est comme cet homme dans la foule qui dans ce sublime film d'Elia Kazan a désormais pris l'ascenseur ! (*) Terminologie empruntée à la une d'un hebdomadaire français