Lorsqu'on ouvrira cette lettre, ce sera accomplie une destinée qui, depuis ma plus tendre enfance, n'aura jamais cessé de hanter mon esprit. J'aurais pu mourir hier sous les balles des soldats de la colonialisation, je meurs aujourd'hui sous des balles algériennes dans un pays que l'ironie de l'Histoire a voulu que je connaisse après l'avoir combattu les armes à la main. Je meurs sous des balles algériennes pour avoir aimé l'Algérie. Je meurs parce qu'issu du plus vieux peuple du Maghreb, j'avais caressé le rêve de voir ériger ses antiques traditions démocratiques au rang d'institutions. Je meurs seul, dans un pays d'indifférence et de racisme. Je meurs pour avoir naïvement cru qu'il n'y avait qu'une seule démocratie : celle qui, en assurant le respect des libertés fondamentales, redonne à l'Homme sa dignité et les moyens les plus appropriés pour épanouir sa personnalité. Je meurs pour ne pas avoir accepté la compromission et le déshonneur dans lesquels se complaisent le plus grand nombre d'élites du Tiers Monde. Je meurs pour ne pas avoir accepté le silence devant les cris des suppliciés qui hantent les caves des villas mauresques, naguère hauts lieux de pacification. Je meurs pour avoir vu mourir l'Algérie au lendemain même de sa naissance et pour avoir vu bâillonner l'un des peuples de la Terre qui a payé le plus lourd tribut pour affirmer son droit à l'existence. Photo d'Ali Mecili tirée du reportage de Joseph Tual et Alexis Dupont (France 3) sur l'affaire Hassani/Mecili