Nacira ZELLAL, Directrice de l'URNOP, Université d'Alger 2 www.urnop-alger2.com 12/02/2017 À travers le lien : http://www.theses.fr/2016ROUEL008, j'ai lu le résumé du doctorat fraîchement soutenu par mon ancien étudiant en Orthophonie, Smail Layes, enseignant à l'Université d'El Oued. Soutenu sous la direction du Pr Mohammed Rebai, à l'Université de Rouen, ce doctorat de psychologie est intitulé : « Facteurs métalinguistiques et cognitifs prédictifs de la dyslexie chez l'enfant arabophone apprenant le français (L2) ». Parfaitement écrit en langue française, ce qui veut dire que Layes est subitement devenu excellent en écriture dans la langue de Voltaire, le résumé qu'il a publié, révèle toutefois, qu'un problème grave est abordé avec des thèses inappropriées. Structuraliste, son approche concerne le graphème et le mot, à l'heure du cognitivisme et de la linguistique du texte. La dyslexie est définie à travers la compréhension du concept de lecture. Lire n'est pas déchiffrer des graphèmes et des mots, c'est construire le sens d'un texte d'auteurs consacrés et le texte c'est la langue dans ses 02 règles : cohérence et cohésion. Discursivité, argumentation, capacité de comprendre, de faire vivre, bref, de créer l'idée que véhicule le texte, confèrent, au lecteur, ces 02 règles. Un même texte peut avoir autant de sens que de lecteurs et différents sens, lorsqu'il est lu à différents moments. La compétence en lecture se mesure donc à la capacité de synthétiser les données qu'il renferme, afin d'en dégager sa propre thèse. Or, la littérature enfantine est absente à l'école algérienne : comment donc en taxer l'élève de dyslexique ? Ses troubles structuraux sont la conséquence d'une pédagogie, qui contrarie son développement cognitif. Ainsi et pour un orthophoniste, converti psychologue de surcroît, l'erreur est assez grave, puisque Layes confond entre « lecture » et « gnosies visuelles de lettres et de mots ». Or, les gnosies visuelles littérales et verbales sont des concepts orthophoniques, utilisés donc dans la spécialité des troubles de l'écrit (comme en aphasiologie, dans les lésions occipitales ou du pli courbe) et dans le secteur des troubles spécifiques de l'oral, avant l'entrée à l'école. Ceci veut dire qu'observer la morphologie et la voyellisation des mots en arabe, à travers (de très) multiples tests (adaptés selon quelle méthodologie ? Etalonnés ? Travail d'adaptation-étalonnage évalué par quel expert spécialisé à la fois dans le maniement des tests et en linguistique arabe ?), afin d'aboutir à des conclusions étiquetant l'élève algérien comme « dyslexique », pose non seulement la question de validité du diagnostic, mais aussi et surtout, un problème d'éthique, notamment par rapport aux parents, qui, eux, croient que c'est leur enfant, qui est anormal et non la pédagogie, qu'il subit. Dire que l'élève algérien de 4ème, 5ème et 6ème années est dyslexique est donc un pur pré-jugement. Il est patent que l'élève algérien lirait et comprendrait le plus normalement du monde un texte et dans n'importe quelle langue, s'il était soumis à la pédagogie linguistique universelle, celle qui développe le bagage cognitif ! J'ai fait couler assez d'encre à ce sujet : l'agnosie visuelle, le trouble morphologique et de la conscience phonologique, l'aphasie et la dyslexie sont, en fait, créés par l'école algérienne, du simple fait que l'élève est prisonnier de la phrase, jusqu'à son entrée au cycle secondaire, c'est-à-dire de 06 à 12 ans, alors que la phrase est acquise à 12-18 mois. À 06-10 ans, l'enfant développe le schéma narratif et la fonction hypothético-déductive : il suffit donc de le gaver de textes, qui l'intéressent et qui développent sa curiosité, son accès à l'abstrait, bref, son intelligence, comme cela se fait dans le monde entier et il ne sera pas dyslexique. Les prolongements pédagogiques du cognitivisme et l'apport de la linguistique du texte à l'apprentissage linguistique font qu'en France, par exemple, en Cycles I, II et III (de 06 à 11 ans), des milliers de poèmes, de romans, de pièces de théâtre, de livres d'histoires sont absorbés par l'élève. À l'école algérienne, aucun texte n'est proposé à l'enfant, d'où ses problèmes en lecture, qui ne sont pas de la dyslexie, en présente-t-il le symptôme. Un être qui a des nausées, qui peuvent être dues à une maladie ou à la vue d'un chat crevé, prend des médicaments dans le premier cas et dans le second, il lui suffit de quitter le lieu où se trouve l'objet d'une répulsion. L'approche de la nausée est alors différente, selon son explication. Ainsi en va-t-il pour l'approche des troubles de la lecture. Ce travail de Layes pose clairement un problème de diagnostic différentiel : dyslexie versus troubles d'apprentissage acquis lors d'une pédagogie contraire à l'épanouissement cognitif normal de l'enfant. En science, on recherche des solutions à des problématiques, c'est pourquoi on explique le fait approché, on ne se contente pas de le décrire, afin de le résoudre. Sans diagnostic différentiel, la constitution de l'échantillon des cas pathologiques observés par Layes, qui leur a trouvé de profonds troubles cognitifs, prédictifs de la dyslexie développementale, n'est pas fondée ni expliquée, elle rend donc d'emblée, caduques ses résultats. Il faut donc, plutôt, une réflexion au sujet de la simple question de la prévention de troubles d'apprentissage, par l'instauration, en Algérie, d'une pédagogie de la norme. Ceci nécessite, évidemment, non seulement, une bonne maîtrise des causes de l'échec scolaire en Algérie depuis les années 80, mais aussi une formation de base en psychologie génétique et en thèses d'acquisition-apprentissage. Quant à voir « comment le facteur phonologique en L1 (autrement dit, l'arabe dialectal traduit en arabe écrit) serait un élément prédictif essentiel dans l'apprentissage de la lecture en L2 (autrement dit, le français) », il faut juste rappeler 1) que cette problématique d'ordre social n'est posée qu'en Algérie. Norme universelle, avant 06 ans, la L1 l'enfant acquiert le langage oral ; après 06 ans, il accède, normalement aussi, aux apprentissages par la langue, les règles de l'écrit en L2, s'agit-il de l'arabe, de l'anglais, du chinois ou du français. Il n'est plus dans le langage, une fois à l'école ; 2) qu'en Algérie, les meilleurs arabisants et francophones des générations qui ont fait l'école avant la Réforme des années 70, ont, comme L1, le berbère ou l'arabe dialectal et 3) qu'en classe de 6ème, nous faisions des poèmes en français, bien qu'à notre entrée à l'école primaire, nous ne connaissions pas un mot de cette langue. En conclusion, tout travail scientifique et toute recherche, pour être crédibles, valides et utiles, doivent se fonder sur une bibliographie complète et actuelle et sur un terrain analysé.