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Collapsus annoncé du Système de Santé. Le Médecin comme bouc émissaire
Publié dans Le Quotidien d'Algérie le 17 - 08 - 2017

« L'échec de la politique de santé ces vingt dernières années est en réalité directement imputable à l'échec des politiques économiques engagées et à l'essoufflement des leviers de redistribution entretenus jusqu'ici par la rente pétrolière et promus sur le plan social par des compagnes de désinformation médiatique où le désengagement de l'Etat et la faillite des gestionnaires sont maquillés par la diabolisation du personnel soignant »
Après l'inversement fomenté des valeurs et des normes dans une société pétrie d'obscurantisme et gavée de prêt-à-consommer idéologique voici venu à présent le temps du carnage et des bûchers. À l'appel des promoteurs de mobilisation médiatique et celui de la médiocrité institutionnelle, ils se pressent de partout en hordes sauvages, haletants de fièvre et bouillonnants d'impatience, pour venir participer au lynchage et à l'holocauste des personnels soignants. L'attaque est si vaste, l'agression si excessive, la menée si efficace, l'insulte si facile, la critique si démesurée, la généralisation si outrancière qu'aucune démarche analytique ne saurait déterminer les raisons d'une haine aussi profonde si n'était l'évidence d'un conditionnement psychologique instillé des années durant par les autorités ministérielles et certaines chaines de télévisions dont le projet de société nauséabond et rétrograde est identifiable et identifié. Livrés à la vindicte populaire et désignés à longueur de reportages et de colonnes comme seuls et uniques responsables des défaillances pourtant structurelles et organisationnelles du système de santé, les personnels soignants subissent au quotidien un déchainement sans précédent de violences verbales et physiques dénaturant la prise en charge des patients vers plus de défiance et de suspicion. Cette situation d'insécurité permanente -dont les contours et certaines solutions ont été évoqués dans un précédent article(1)– dégrade la cohésion des équipes soignantes, érode leur altruisme et leur empathie au profit d'un désintérêt croissant et d'un comportement d'évitement et de défense qui ne peut se révéler que néfaste pour la santé des patients. Elle engendre une démotivation profonde et un sentiment permanent de vulnérabilité lorsqu'elle ne participe pas à creuser davantage le fossé déjà immense entre les soignants et leurs malades. Par quel mystérieux alignement des planètes on voudrait faire croire que l'ensemble des personnels soignants du pays, du nord au sud et d'est en ouest, dans les grands CHU comme au sein des plus petits dispensaires, se seraient soudainement ligués pour se transformer en monstres sans âme ni conscience ayant comme seul objectif existentiel celui de nuire aux malades par tous les moyens possibles ? Quel est donc ce complot coordonné mobilisant tous les médecins du pays, reconnus pourtant comme incompétents par la vox populi et ses souffleurs stipendiés, pour en faire une armée du mal en guerre totale contre leurs concitoyens, alors que ces mêmes médecins découragés, éreintés, agressés, insultés font les beaux jours des hôpitaux étrangers, notamment français, où ils retrouvent soudainement de la compétence et de la considération avec plus de 20.000 praticiens algériens aujourd'hui exilés ? Comment peut-on à la fois prétendre améliorer les prestations de soins tout en livrant les ressources humaines, la cheville ouvrière de ce secteur, à un bashing médiatique permanent, à l'injure, à la calomnie, à la diffamation, à la violence du mot et celle du geste ? Disons-le clairement en incipit : strictement aucune réforme ne pourra prendre chair sur le terrain sans la reconnaissance et la valorisation des personnels soignants sur le plan moral, social et économique. Aucune contrainte réglementaire, aucune directive ministérielle, aucune coercition, aucune propagande, aucune menace ne pourra jamais se substituer à une politique de santé concertée, débattue dans le respect et la considération du rôle de chaque partie, loin de l'idéologie populiste et des contre-feux démagogiques attisés sans cesse pour détourner l'attention générale des véritables enjeux de santé et plus encore des véritables responsables de cette décadence sanitaire. La force publique n'est plus crédible lorsqu'elle prétend se soucier du bien-être du patient en garantissant l'égalité et l'équité dans l'accès aux soins lorsque ses plus hauts mandataires, responsables de l'organisation et de la gestion de ces mêmes soins, abandonnent les structures hospitalières dans l'anarchie et accourent vers les capitales du monde à la moindre rage de dent.
Désengagement progressif de l'Etat et fin de la gratuité pour tous ?
Traversée par l'idée originelle d'une protection sociale égalitaire et universelle inspirée par l'œuvre de Bismarck et de Beveridge puis adaptée au socialisme algérien après notre indépendance, la demande de santé n'a eu de cesse de croitre pour être confrontée à une offre en permanente restructuration devant les défis de financement et leurs ressources raréfiées. C'est un poncif de rappeler que si la santé n'a pas de prix pour chaque individu, elle a en revanche un coût grandissant pour la collectivité eu égard à la généralisation des prestations sanitaires et sociales. Un progrès et des acquis qui ont permis à l'Algérie jusqu'aux années 80 de réaliser des avancées notables en matière de santé publique avant de connaitre les affres abyssaux de la déliquescence et du déclassement. Il apparait désormais inacceptable pour une population qui a longtemps bénéficié de ces acquis de les voir mis en difficulté et encore plus de les imaginer remis en cause. Pourtant, si la gratuité des soins pour tous est un élément du pacte social d'un projet de société progressiste où viennent s'articuler les principes de solidarité et de redistribution, elle ne peut se passer des apports d'une économie dynamique et créatrice de richesse pour pouvoir réaliser les grandes valeurs portées par ce pacte. Les beaux et nobles principes nécessaires sont tributaires des leviers d'une implémentation économique efficiente, elle-même conditionnée par un discours pragmatique de responsabilité et de vérité. Car si en théorie la gratuité des soins permet un accès égalitaire et œuvre à maintenir une population en bonne santé et donc socialement et économiquement active, la pratique nous démontre que celle-ci entraîne également une surconsommation anarchique de l'offre de soins, en biens et services, avec pour corollaire une augmentation des coûts et une baisse de la qualité des prestations fournies. Tout comme la marchandisation libérale sans garde-fous du système de santé est contre-productive, la gratuité sans vision stratégique, sans gestion rigoureuse ni compétence managériale entraîne la dégradation de ce même système. Inutile de recourir aux indicateurs de l'OMS pour démontrer que notre système de soins ne répond aujourd'hui à aucune des valeurs de qualité, d'équité, de pertinence ou d'efficience. Il ne satisfait ni les praticiens de santé ni les usagers, se paie le luxe de faire un emploi aberrant des ressources matérielles et humaines disponibles, et demeure discriminatoire sur le plan social et celui de la répartition géographique nord-sud. C'est donc une gratuité de façade qui existe aujourd'hui, entretenant les inégalités entre les citoyens et destinée uniquement à la gestion politique des enjeux de santé. Car en dépit des milliards dépensés et de toutes les structures de proximité construites, la qualité ne cesse de se détériorer réduisant l'offre de soins à un bâti aux murs souvent repeints mais aux ressources humaines dépréciées, disqualifiées, dont la rémunération est la plus faible des pays du Maghreb, rendues à peau de chagrin comme si l'on voulait réduire l'offre publique pour réduire la demande et transférer la satisfaction de celle-ci vers le secteur privé. Que les autorités le disent clairement et renoncent à la politique du pourrissement si elles souhaitent abandonner le caractère universel de la gratuité des soins. On peut même saisir l'argumentaire économique et ouvrir un débat honnête et technique sur le choix du système de santé le plus adapté pour notre pays dans ce spectre des possibles entre le modèle marchand et libéral générateur d'inégalités criardes et celui du tout étatique qui confine à la centralisation, au gaspillage, à l'épuisement des ressources et des personnels et finalement à la médiocrité des prestations offertes. Nous gagnerions peut-être à diversifier les possibilités de financement de notre système de santé et de rémunération des soignants entre les apports publics et privés tout en imaginant les mécanismes d'intégration qu'il est nécessaire de mettre en place pour protéger les plus pauvres sans sacrifier à l'exigence de performance des structures hospitalières. Et même si à notre sens l'Etat doit demeurer le principal bailleur de fonds pour un meilleur contrôle des dépenses et un accès aux soins plus équitable dans le cadre d'une gestion réformée, il est temps de réfléchir sans idéologie préconçue à la possibilité de combiner et d'associer différentes voies de financement. L'Etat et la sécurité sociale continueraient par exemple à prendre en charge les plus démunis ainsi que les classes intermédiaires dont les dépenses peuvent être ajustées par les tickets modérateurs, la hiérarchie et les paniers de soins, le tarif de référence du médicament, la possibilité de contracter une complémentaire santé, tandis que les couches les plus aisées de la population bénéficieraient de la couverture des mutuelles et des assurances privées mises en concurrence. Cette réflexion doit également redéfinir une juste rémunération des praticiens de santé par la révision des tarifs et l'apport additionnel et non exclusif de formules diverses comme la capitation et le paiement à l'acte selon des proportions à étudier et à adapter au contexte qui est le nôtre. Toutes les options peuvent être débattues et méritent mieux en tout cas que cette mise en cause perpétuelle des personnels soignants.
Le cours du Brent et le financement de besoins infinis..
Financé au premier plan par l'Etat Providence, le recul important du prix du baril de brut depuis le début de l'année 2016 a mis en grande difficulté les modalités du financement pérenne de notre système de santé. Et déjà nous assistons à une contraction des dépenses avec le « gèle » effectif d'un certain nombre de projets structurels capitaux comme la réalisation des 5 CHU dans les régions des hauts-plateaux et du sud. Les objectifs gouvernementaux affichés à la faveur de l'embelli financière que nous avons connus et les moyens à présent disponibles sont en décalage. Garantir gratuitement les soins de base pour toute une population désormais consumériste est en contradiction avec la baisse relative du financement du secteur public de la santé. La croissance des dépenses étant plus rapide que celle du PIB, il s'ensuit qu'un ajustement à la baisse est un passage devenu inévitable sur le plan budgétaire. Une contingence dont il serait certes naïf mais légitime de penser qu'elle pourrait être contrebalancée par une levée de l'impôt et par les cotisations professionnelles. Malheureusement, les résultats négatifs d'une économie algérienne moribonde avec un taux de chômage réel très élevé et le manque de volontarisme de l'Etat dans la lutte contre l'emploi informel et l'évitement fiscal grèvent la sécurité sociale de prélèvements importants que l'apport de la fiscalité pétrolière au prix du brut actuel n'arrivera pas à soulager. Une sécurité sociale donc fragilisée qui participe à travers le forfait hôpitaux au financement des structures hospitalières mais dont la contribution est loin de couvrir les frais engagés pour la prise en charges de ses assurés. Une situation qui dans un contexte de difficulté budgétaire et d'absence de diversification des ressources ne pourra pas échapper longtemps à la révision à la baisse du taux de remboursement minimum de tous les frais de santé -déjà faible- alors que ces derniers, au contraire, mériteraient d'être actualisés à l'aune des prix et des coûts réels si l'on souhaitait objectivement améliorer la qualité des services. De fait, la participation des ménages aux dépenses de santé est en constante progression (imagerie, examens biologiques, consultation spécialisée, médicaments) et dépasse à présent le double de l'indicateur maximum recommandé par l'OMS. L'échec de la politique de santé ces vingt dernières années est en réalité directement imputable à l'échec des politiques économiques engagées et à l'essoufflement des leviers de redistribution entretenus jusqu'ici par la rente pétrolière et promus sur le plan social par des compagnes de désinformation médiatique où le désengagement de l'Etat et la faillite des gestionnaires sont maquillés par la diabolisation du personnel soignant.
Le réel fantasmé rattrapé par la réalité éprouvée..
La transition épidémiologique, le vieillissement de la population tout comme le progrès technologique produisent de nouveaux besoins de santé qui nécessitent des moyens financiers colossaux et une organisation pertinente pour la prise en charge moderne à la fois des naissances, des actes chirurgicaux, des explorations, des pathologies liées à l'urbanisation, des maladies chroniques, des cancers, de la santé mentale et celle spécifique et coûteuse des sujets âgés. Une situation qui se matérialise au quotidien par l'encombrement des unités d'urgences des centres hospitaliers mais également des structures sanitaires de proximité par la consultation du tout-venant, à toute heure du jour et de la nuit, sans organisation de l'accueil et du tri, sans respect de la hiérarchisation des soins, pour des motifs relevant souvent de la consultation ambulatoire de soins primaires mais pour lesquels les patients exigent une prise en charge immédiate et spécialisée dont ils ne sauraient se satisfaire sans une batterie d'examens complémentaires couteux qu'ils imposent séance tenante sous peine de verser dans la violence et la dénonciation calomnieuse. La répartition sur le territoire national des moyens et des personnels au sein de structures inadaptées est incohérente et déséquilibrée entretenant l'iniquité dans l'accès au soin. Elle ne prend pas en compte les particularités épidémiologiques des différents bassins de population et n'anticipe pas l'évolution démographique de chaque région considérée. Loin de répondre aux besoins réels des citoyens elle ne fait qu'enjoliver les cartes sanitaires ministérielles en offrant à décrire des indicateurs lits/population ou équipement/population qui paraissent satisfaisants compte tenu des investissements colossaux consentis mais dont le déploiement dans la réalité demeure sans efficience aucune pour la prise en charge sanitaire. 14 CHU seulement, tous implantés au nord du pays. 80 % des spécialistes du secteur privé et du secteur public qui exercent dans les grandes villes du nord. Et si n'était l'obligation du service civil, ce chiffre pour les praticiens du secteur public serait encore plus important. Un service civil qui a démontré tout son échec et dont l'aveu le plus bureaucratique est cette circulaire ministérielle venant « réquisitionner » les praticiens privés pour assurer des gardes dans le secteur public après les avoir méthodiquement poussés à la démission pendant des années. Car cela ne suffit plus d'envoyer contraints, dans une politique de la fuite en avant, de jeunes médecins à peine diplômés, qui se retrouvent esseulés dans des régions lointaines, séparés de leurs conjoints et de leurs enfants, devant se contenter d'un plateau technique et de moyens matériels réduits, un corps paramédical insuffisant, une administration hostile et sans compétences en gestion, des difficultés à se loger, une rémunération accablante et dans l'incapacité de pratiquer une médecine digne de ce nom. Cette médecine qui désormais se situe à l'articulation de plusieurs spécialités et qui nécessite l'avis et l'intervention collégiale de plusieurs spécialistes soutenus par des procédés techniques d'exploration, de diagnostic et de thérapeutique que notre système de santé ne peut fournir tant la fracture territoriale entre le nord et le sud en terme de développement est dramatique et coupable. Il serait plus judicieux d'organiser et de coordonner dans un premier temps les spécialités en les regroupant en pôles régionaux de références plutôt que de disperser les équipements, les matériels et les ressources humaines en différentes petites sous-structures éloignées les unes des autres, budgétivores, sans complémentarité ni intégration loco-régionale et sans efficacité sanitaire. Cela permettrait de réaliser des économies d'échelle tout en rehaussant le niveau de synergie entre les structures et la qualité de prise en charge médicale, mais nécessite l'optimisation et la densification des voies et moyens de transport et d'évacuation médicalisés des patients vers ces pôles régionaux. De nouveaux CHU doivent également être installés dans les régions du sud et des hauts plateaux avec des mesures incitatives fortes notamment financières, fiscales, sociales mais aussi logistiques et immobilières permettant d'attirer vers ces structures des praticiens de rang magistral, professeurs, maîtres de conférences, maîtres assistants, participant à la formation des personnels soignants issus de ces régions mais aussi de jeunes praticiens, médecins généralistes et paramédicaux encouragés à s'installer dans le secteur privé afin qu'ils s'inscrivent dans un ancrage local pérenne. La décentralisation comme l'autonomie financière de ces structures doit correspondre à un projet sanitaire établissant des objectifs spécifiques à la région et au bassin de population concerné en termes quantitatifs et qualitatifs, mesurables selon des indicateurs scientifiques, atteignables par la mobilisation de tous les acteurs dans le cadre d'une concertation sereine et un dialogue permanent, réalistes par la capacité à lever des financements et à les rationaliser pour les adapter aux besoins selon le ratio coût/efficacité, mais aussi avec la définition d'un échéancier précis pour les atteindre qui n'omettra pas de prévoir les outils d'évaluation des données issues du feed-back indispensable. L'absence de processus dévolus au recueil normatif de ces données sanitaires, tant sur le plan épidémiologique que celui de la gestion des personnels, des moyens et des structures ne permet pas une vision claire de la réalité de notre système de soins et entrave toute projection et toute planification avisées. La confusion qui en résulte aboutit à des modalités de gestion erratique aux décisions approximatives n'autorisant pas l'adaptation des moyens aux besoins réels, et fait la part belle à la tentation du populisme et à la démagogie dans la formulation du discours pour finalement aboutir à la dispersion des énergies et des ressources déjà faibles. Il n'y a aucune pertinence économique à ce que les structures hospitalières continuent à être financées par une dotation budgétaire globale ne prenant pas en compte la réalité de l'activité de chaque établissement au sein d'une région déterminée et n'employant aucun mécanisme ni outil d'évaluation à même de mieux identifier les besoins locaux afin de leur allouer au plus près les financements justes et les personnels adéquats selon un principe de subsidiarité. La dotation globale encourage la gabegie et masque les défauts de gestion. Sur le plan du maillage des soins de premier recours une refonte de notre système de santé doit faire obligatoirement de la médecine générale une spécialité à part entière afin de rehausser le niveau de compétence et de maîtrise de ces médecins généralistes qui représentent l'articulation nodale des soins primaires et constituent actuellement le fer de lance de la prise en charge sanitaire à l'intérieur du pays, tant pour la consultation ambulatoire que pour l'activité d'urgence. Ils pourraient incarner les gate-keeper d'un système de santé où les dépenses nécessaires aux soins secondaires et tertiaires seront optimisées par leur action d'amont. Leur efficacité contribuerait à réduire les séjours hospitaliers et permettrait de réaliser des économies substantielles pour la collectivité. Des économies qui pourraient être dévolues à la création de services de gériatrie et de soins de suite, inexistants aujourd'hui, capables d'assurer une prise en charge spécialisée de nos ainés tout en libérant des lits d'hospitalisation dans les différents services de médecine et de chirurgie. Comment ne pas évoquer également le recul de la qualité de formation des soignants comme l'une des raisons du marasme et du mécontentement ambiants. Une formation privilégiant la commande politique de la quantité au dépend de l'exigence académique de la qualité avec des services hospitaliers saturés, incapables d'intégrer la masse importante d'externes, d'internes, de résidents, et de leur assurer un parcours d'apprentissage qualifiant. Une massification de l'accès aux études médicales sans renforcement des structures ni valorisation statutaire de la condition professorale, à laquelle est venue s'ajouter l'hémorragie ininterrompue vers l'étranger depuis 15 ans de milliers de médecins et d'encadrants hospitalo-universitaires, entrainant une baisse générale du niveau des savoirs et des compétences. Et c'est ainsi que des étudiants en spécialité se retrouvent sans référentiel de cours voire sans cours du tout, soumis au nomadisme entre des services où règnent un apprentissage pratique aléatoire et une évaluation le plus souvent purement formelle et administrative(2). Il en résulte indubitablement une dévalorisation de la profession médicale et une perte de confiance du citoyen plus enclin désormais à dénoncer avec force violence toute hésitation et tout manquement à la qualité de sa prise en charge. Il suffit par ailleurs de constater l'insignifiance scandaleuse du budget alloué à la formation continue des médecins et à leur recyclage pour saisir le peu d'intérêt que les pouvoirs publics accordent au retard scientifique et technique que nous sommes en train de prendre. Un numerus-clausus réduirait la tension sur les capacités de formation et constituerait à terme un élément de la rationalisation des dépenses de santé
De l'éthique et autres actes manqués...
Nos structures de santé sont devenues un théâtre de la comédie humaine où l'on fait semblant d'assurer la permanence des soins et de pratiquer une médecine aux exigences modernes, où l'on fait semblant de former, d'encadrer, de soigner, de prendre en charge, de gérer, de réformer et où les personnels soignants découragés, paupérisés, violentés en sont réduits à jouer le rôle que les autorités leur assignent, celui de chair à canon, abandonnés sur l'un des fronts les plus décisifs du maintien de la paix sociale. Divisé en de nombreuses entités syndicales aux intérêts étroits, le corps médical est dépossédé de toute capacité de protestation probante en raison notamment de ce devoir éthique et de cette obligation légale de garantir la continuité des soins en toutes circonstances qui le contraint à toujours préférer le maintien du fonctionnement des services au détriment de ses propres intérêts. Il n'a donc aucun moyen de se faire entendre ni d'exercer le moindre lobbying politique tant pour participer au débat institutionnel sur le système de santé que pour dénoncer la déchéance de sa condition socio-économique. À l'exception du Dr Merabet, président du SNPSP(3), qui ne ménage pas ses efforts et son talent pour dire le vrai et dénoncer la cabale, les personnels soignants s'étonnent du silence apathique de la dizaine de syndicats aux longs acronymes et autres associations professionnelles qui à grand renfort de congrès photogéniques et de réunions ministérielles à petits fours soignent la forme et ajustent leurs costumes sans jamais effleurer le fond. Pourquoi, alors que notre honneur et notre dignité depuis des années sont livrés quotidiennement aux chiens et que l'éthique et la déontologie font pourtant du médecin le premier défenseur de l'intérêt du malade, n'avons-nous jamais vu de manière volontaire et audible monter au créneau le conseil de déontologie médicale de l'ordre des médecins ou encore le conseil national de l'éthique en science de la santé, ou tout autre autorité morale, Professeurs, Chefs de Service, Praticiens de santé publique ou hospitalo-universitaires pour dénoncer publiquement l'insulte, la violence et les conditions de travail inacceptables, notamment au sein des maternités et des pavillons d'urgences où la médecine de guerre est pratiquée plus souvent qu'en Iraq ou en Syrie. Des structures où l'éthique est bafouée continuellement de par les conditions d'accueil des patients et celles d'exercice des soignants, finalement opposés les uns aux autres dans une arène du perdant/perdant où le pauvre-patient-pauvre fait face au pauvre-médecin-pauvre. Est-ce que l'éthique est respectée et la déontologie confortée lorsque des parturientes par centaines sont prises en charge par des structures qui ne peuvent en accueillir que quelques dizaines ? Est-ce que la déontologie est sauve lorsqu'elles sont parquées à plusieurs dans un même lit et leurs nouveaux-nés enserrés tête-bêche dans les couveuses ? Est-ce que l'éthique est rehaussée lorsque des patients avec plaies et fractures sont renvoyés faute de places, faute d'anesthésistes-réanimateurs, fautes de plateau technique, faute de temps médical disponible ? Est-ce encore de la déontologie lorsque ces derniers sont tout de même hospitalisés mais se retrouvent sur des brancards brimbalants, des nuits et des jours entiers dans des couloirs, à attendre qu'une place se libère ? Est-ce que l'éthique a encore un sens lorsque au sein des urgences, deux, trois, quatre, parfois cinq malades sont examinés en même temps, l'un debout, l'autre assis et l'autre encore couché sans aucun respect ni de l'intimité, ni du secret médical et au détriment de toutes les règles, non pas seulement de l'examen clinique, mais aussi de la pudeur la plus élémentaire? Est-ce que l'éthique est respectée lorsque des centaines de patients décèdent faute d'accéder à temps à des séances de radiothérapie ou lorsque les protocoles de chimiothérapie sont modifiés faute de produits adéquats ? Est-ce que l'éthique existe encore lorsqu'un médecin spécialiste se retrouve contraint d'assurer plusieurs gardes d'affilée sans récupération, au détriment de sa santé physique et psychique et devenant par là même dangereux pour ses patients ? Est-ce de la déontologie lorsqu'un chirurgien doit adapter son indication en fonction du seul matériel disponible ? Tout cela est bien pire encore fut accepté et intégré par les personnels soignants comme une routine, certes mortifère, mais inéluctable sans que jamais aucun mandarin ni aucune autorité médicale disposant d'une légitimité et d'une capacité à agir, vienne dire avec force : « Cela suffit ! Nous n'acceptons plus cette maltraitance envers nos patients car chaque petite atteinte à leur dignité nous ampute d'une grande partie de la nôtre ! ». Et c'est ainsi que seuls les jeunes médecins aux quatre coins des pavillons d'urgences et d'une carte sanitaire improvisée par de vagues bureaucrates se retrouvent sacrifiés en traversant le détroit de Médecine entre le Charybde des gestionnaires et le Scylla des usagers en colère. Soumis continuellement à une violence et un stress éprouvants, c'est dans un silence complice que nous assistons à une véritable hécatombe de jeunes médecins trentenaires sujets à des syndromes coronariens, des pics de tension, des états dépressifs, des burn-out et qui finissent par décéder de plus en plus tôt d'infarctus du myocarde et d'accidents vasculaires cérébraux. Ces médecins, majoritaires, qui accomplissent leur devoir avec conscience et abnégation sont également les victimes de certains de leurs collègues qui profitant du désordre général et poussés par la désespérance, l'absence de considération, le manque de reconnaissance sociale et institutionnelle, vivant dans l'inconfort matériel, ont renoncé à toute éthique en détournant dans l'illégalité des malades vers le privé et en délaissant leurs devoirs de soins et de formation dans le service public. Le respect des valeurs morales, la dignité dans l'exercice, la rigueur et l'exemplarité permettaient une indépendance, une hauteur de vue et une liberté de ton et d'action décisives, désormais ensevelies sous les agglomérats des atermoiements et des compromissions successives. Les personnels soignants auraient dû gagner en crédibilité en refusant de travailler dans des conditions qui n'ont cessé de se dégrader depuis des années et qui finalement aboutissent aujourd'hui après l'injure et les coups, après l'humiliation et le mépris, après la patience et le sacrifice, à plus de 20.000 procédures judiciaires, à l'emprisonnement injustifié d'une consœur, à l'exil et aux décès prématurés de beaucoup de praticiens, à la mise au ban inique de toute une corporation. Nous avons toléré que des gestionnaires incompétents, à tous les niveaux, dégradent les structures de santé et le statut des soignants. Il serait peut-être temps que nous nous impliquions pleinement et efficacement dans la prise des décisions structurantes qui à la faveur de la nouvelle loi sanitaire en préparation vont conditionner toutes les orientations stratégiques de notre système de santé pour la décade qui vient. Pour la santé de nos patients comme pour notre condition future de personnels soignants c'est ici et maintenant que le Rubicon doit être franchi.
Dr SIFI Nazim
Médecin
(1) : « Violences à l'encontre des personnels soignants (Etat des lieux et Propositions)»- El Watan/Le Quotidien d'Oran
(2) : « Les Médecins Résidents et la réforme du système national de santé» – El Watan
(3) : Syndicat National des Praticiens de Santé publique


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