‘' Le mensonge a décimé les habitants de la terre. Sectateurs, leurs enfants n'ont pu se lier d'amitié. N'eut été l'inimitié inhérente à leur nature, synagogues, églises et mosquées n'auraient fait qu'une. ‘‘ Abul Ala Al-Maari – Homme de Lettres Syrien (973-1057) N'ayant à se glorifier que de la stérile conscience de comprendre la stérilité de ce qui est, l'homme reste avant tout un fabricateur de dieux; sa consécration suprême. La raison nous avise d'emblée : quand bien même l'idéal religieux espéré serait agonisant, fuyant ou perverti, rien n'indique pour autant que l'homme cessera d'être animé par la volonté de croyance, c'est-à-dire par le besoin de se donner des idoles, des certitudes inébranlables, des points d'appui fermes pour porter et supporter l'existence. Et il est clair, le monde moderne fourmille de pareilles idoles qui ont pour nom ; progrès scientifique, démocratie, droits de l'homme, fondamentalisme, voire élitisme; et qui ne seraient que l'interprétation la plus subtile et la plus voilée de la volonté de vérité à tout prix, donc de la volonté de croyance. En délaissant la quintessence de sa seule et unique visée; le vivre-ensemble et la justice sociale; l'idéal religieux contemporain épouse la forme d'une croyance au masque hideux, donnant ainsi l'illusion à l'homme moderne d'être plus malin que l'hommes du passé, dans des pièges qu'il aura bien du mal à éviter. Cette sublimation de l'idéal religieux n'annonce rien de bon, elle laisse présager une ère d'infinis désordres; car dans le dévoiement du fait divin se joue le destin du nihilisme, donc nullement l'assurance d'un règne de la vérité, de la liberté, de l'homme enfin advenu à lui-même; du coup la question lancinante : quelle sera le devenir de l'idéal religieux? Si cet idéal religieux élusif n'est pas un fait imposé du dehors à la société ; il n'est pas d'avantage la réalité de l'idée morale ou l'image et la réalité de la raison. Il est plutôt un produit de l'humanité à un stade déterminé de son histoire ; il est surtout l'aveu que cette même humanité s'est empêtrée dans une insoluble contradiction avec elle-même, s'étant scindée en oppositions inconciliables qu'elle est impuissante à conjurer. Quand bien même bien son essence reste fuyante, l'idéal religieux est salutaire, même capital à l'homme en ce qu'elle lui donne la force de vivre ; il n'est donc pas à mettre du côté des illusions en tous points néfastes, pas non plus du côté de ces erreurs dont on pourrait se passer facilement. Si l'idéal religieux donne à l'homme la force d'Etre et s'il s'efface, où trouver cette force du vivre-ensemble ? Est-il sûr même que l'homme moderne la trouvera facilement ? L'originalité de cette critique vient de ce que la raison considère l'idéal religieux essentiellement réactive, c'est-à-dire foncièrement instable et contradictoire. Il est bâti sur des contradictions qui ne peuvent que s'effondrer à plus ou moins brève échéance. On dira que l'idéal divin meurt d'un déséquilibre entre sa morale et le dogme. Le croyant est en effet instruit à l'examen de sa conscience, à la rigueur d'analyse de ses actes, à la minutie dans l'appréciation des mouvements de son âme par rapport à une volonté divine. Mais cette éducation patiemment faite au cours des siècles avive l'honnêteté intellectuelle de l'homme de raison formé par la réflexion et la direction de sa conscience. Vient un jour où la probité intellectuelle se retourne sur le système de croyance; celui-ci devient proprement incroyable; foi en une Providence véhiculant un sens à l'histoire, en la bonté divine qui dispose tout pour le meilleur, donc en l'idée d'une finalité morale de l'ordre universel. L'histoire n'avance donc pas sur une trajectoire apaisante, et l'effacement de l'idéal religieux n'a rien de rassurant, parce qu'il permet de mettre en avant l'emprise universelle du nihilisme ; emprise existante depuis toujours en un sens, mais devenue plus évidente aujourd'hui. Face à cette perdition, un tel nihilisme ne peut que s'ouvrir sur des possibilités désespérantes et désespérées: il peut conduire aux effondrements les plus tragiques; règne du non-sens, goût de la mort à travers les guerres, violence généralisée, anarchie destructrice. Dans une éventualité des plus perfides, Il peut déboucher aussi sur de nouvelles volontés de domination d'autant plus impitoyables et inflexibles qu'elles sont l'aboutissement d'une cabale de velléités élitistes désireuses de s'ériger en maitre absolu de ce monde, asservissant l'humanité dans un nouvel esclavage. Errante dans un monde splendide et misérable à la fois; ballottée au grès des écumes d'une Histoire dépourvue de sens, en une tragédie sans cesse renouvelée; l'humanité désespère de l'idéal religieux: elle le désire, mais ne le trouve pas; elle doute de son existence, mais ne renonce pas à le chercher. Quand même bien sa quête n'est que tourment et misère, l'idéal religieux n'aura de sens pour l'humanité que dans la mesure où il sert le vivre ensemble et la justice sociale, c'est à dire être au service affirmatif de la vie elle-même. Khaled Boulaziz