A peine plébiscité par l'alliance présidentielle FLN-RND-TAJ-MPA et indépendants, Mouad Bouchareb, successeur de Saïd Bouhadja à la tête de l'Assemblée populaire nationale (APN), s'est installé au bureau de ce dernier, situé au 5e étage, sans passation de consignes. Une autre violation de la loi, sachant que Bouhadja n'a toujours pas démissionné et, de ce fait, il reste, au vu de la loi, le président légitime. Par cette situation de «fait accompli», le nouveau président de l'Assemblée n'a pas attendu pour «rétablir» ce que Bouhadja avait «osé» changer dans la gestion administrative de cette «boîte de Pandore» qu'est l'Assemblée. Quelques heures seulement après son «intronisation», il reçoit l'ex-secrétaire général Bachir Slimani, pour lui réitérer sa promesse de le réintégrer à son poste. Sitôt promis, sitôt fait. Mouad Bouchareb annule la mise de fin de fonctions de Slimani, signée par Bouhadja, et appose, pour la première fois, sa signature en tant que président de l'Apn sur la décision de sa réintégration à son poste de secrétaire général. En fait, Bouhadja ne savait certainement pas que son secrétaire général est un personnage «extrêmement important» au sein de l'institution qu'il préside. Il est au cœur même du système des privilèges et du partage de la rente, mais aussi sa boîte noire. Un statut qui le rend intouchable, et ce, depuis des années. En intellectuel assez prudent, Mohamed Larbi Ould Khelifa, le prédécesseur de Bouhadja, l'avait licencié en 2014, et désigné chef de cabinet, comme intérimaire. Le même groupe, qui a mené la fronde durant les trois dernières semaines, a exigé sa réintégration sous prétexte que c'est la Présidence qui l'a décidé. Mesurant le degré des alliances d'intérêt au sein de l'Assemblée et à l'extérieur, Ould Khelifa a préféré céder en réintégrant Slimani. Ce dernier prend de l'assurance, mais aussi de la puissance. «Par sa connaissance de tous les fonctionnements de l'administration, les points forts et les points faibles des uns et des autres et leurs secrets, il est devenu intouchable», nous dit-on. Mais Saïd Bouhadja – avec toute son expérience dans les «magouilles politiques» et les «mouvements de redressement» en tant qu'ancien mouhafedh (commissaire du parti du FLN) – n'a pas mesuré la «puissance» des «réseaux» du secrétaire général et leurs ramifications à l'extérieur de l'Assemblée. Il avait engagé une opération d'assainissement de la gestion de l'Apn, ce «panier à crabes», qu'aucun des présidents qui l'ont précédé n'a pu faire. Son erreur, révèlent certains députés bien informés, est de ne pas avoir changé le personnel administratif, comme le lui confère le règlement intérieur. Bouhadja a «franchi la ligne rouge» en demandant à son secrétaire général l'état des lieux du personnel, du parc automobile, du budget de la pièce détachée, de la consommation de carburant, des frais de missions, etc. En bref, il venait de mettre le pied dans le guêpier des privilèges. «Depuis des années, les vice- présidents, les présidents des commissions, les chefs des groupes parlementaires mais aussi de simples députés aux puissantes connaissances s'octroient des avantages hallucinants», nous dit-on, précisant : «Certains s'offrent de longues listes de recrues, dont plusieurs ne viennent même pas à l'Assemblée. Le cas de Bahaeddine Tliba est révélateur. En tant que vice-président, il a fait recruter 87 personnes, d'autres comme lui circulent avec 2, 3 voire 5 véhicules de l'Assemblée, sans compter leurs collègues qui passent leur temps à voyager d'un pays à un autre avec des frais de mission dépassant l'entendement.» Ce n'est là que la partie visible de l'iceberg et le premier responsable qui gère toute cette rente n'est autre que le secrétaire général. Il concentre toute l'information à son niveau. Les états demandés par Bouhadja ne lui parviennent pas. Il se débrouille pour en avoir une partie d'ailleurs. La situation est «catastrophique», dit-il lors de ses nombreuses sorties médiatiques. C'est alors qu'il commence à sévir. Il exige la récupération des nombreux véhicules affectés à des personnalités extra-Assemblée, mais aussi à l'annulation des conventions avec plusieurs ateliers de mécanique qui assurent l'approvisionnement en pièces détachées (qui a coûté, en 2017, pas moins de 120 millions de dinars) et l'entretien des véhicules du parc. Bouhadja, une menace pour les intérêts et les privilèges Rien ne va plus entre le président et le secrétaire général. L'opposition de ce dernier à l'augmentation des frais de mission du chef du protocole devant accompagner Bouhadja à l'étranger est considérée comme un affront. Du coup, Bouhadja, usant de son pouvoir que lui confère la loi, met fin aux fonctions de Slimani. Le même groupe de députés, qui a réintégré ce dernier en 2014, revient à la rescousse. Il exige de Bouhadja sa réintégration sur la base du message de la Présidence qu'il dit détenir. Mais Bouhadja surprend tous ses détracteurs en disant que la décision était déjà prise et que la Présidence n'avait pas besoin d'intermédiaire pour prendre attache avec lui. La réaction était imprévisible. Elle suscite des réactions violentes, surtout qu'elle intervenait quelques jours seulement après la décision de récupérer les deux véhicules avec chauffeur qui étaient mis à disposition du secrétaire général du FLN. La gestion de Bouhadja commence à menacer les intérêts et les privilèges aussi bien des députés du FLN que du RND et des petites formations politiques qui vivotent autour d'eux. Du coup, Bouhadja était devenu l'homme à abattre et tous les moyens, aussi vils soient-ils, étaient permis. Retrait de confiance qui n'existe nulle part dans la loi, gel des activités parlementaires créant une situation de vacance, fermeture des accès de l'Assemblée avec chaînes et cadenas pour empêcher Bouhadja de rejoindre son bureau, convocation illégale du bureau de l'Apn pour déclarer la vacance du poste de président, validée par la commission juridique, sans aucun habillage légal, et arriver à la fin de ce parcours à une plénière qui entérine toutes les violations et plébiscite un successeur, Mouad Bouchareb, la figure de proue de l'opposition à Bouhadja. Ses premières décisions prises quelques heures seulement après son intronisation lèvent le voile sur les véritables raisons qui ont mis la troisième institution du pays au centre d'une crise politique très grave. La première a été l'annulation de la décision de licenciement du secrétaire général de l'Assemblée, Bachir Slimani, et sa réintégration à son poste. La deuxième décision de Mouad Bouchareb a été d'annuler l'ordre de Saïd Bouhadja, qui consistait à récupérer les deux véhicules (C5 et Passat) avec deux chauffeurs (rémunérés par l'Apn) affectés à Djamel Ould Abbès, secrétaire général du FLN. Ce dernier ne bénéficiait pas uniquement des voitures et des chauffeurs du parc de l'Assemblée, mais aussi du carburant et de toutes les prestations liées à la maintenance des deux véhicules. Une telle décision démontre à quel point la séparation des pouvoirs en Algérie est utopique. La crise que la troisième institution républicaine a vécue a le mérite de dévoiler l'hégémonie que les partis de la majorité ont fini par avoir sur elle, dans le seul but de continuer à bénéficier d'indus privilèges au moment où le peuple a du mal à supporter les taxes et la hausse des prix induites par la crise financière que traverse le pays.