Par Boubakeur Hamidechi [email protected] Les députés du RCD ont tout à fait raison de parler de «lynchage ». Et la direction de leur parti également en droit de surfer sur l'indignation en s'en prenant à un ministre maladroit et discourtois pour avoir outrepassé sa mission. Plus grave encore, le président de l'APN, M. Ziari, dont le rôle consiste à réguler les débats en ne censurant strictement que le dépassement du temps de parole et les incivilités, pouvait-il s'autoriser alors la stigmatisation d'un courant d'opposition ? Or, il l'a fait lamentablement et avec des arguments spécieux. Sermonneur comme peut l'être un adjudant de caserne, c'est à lui que l'on doit la plus belle stupidité qui ait été dite dans ce Parlement depuis des mois ! Dans un premier temps, il rappelle que cette «Assemblée reste une tribune pour la libre expression», puis il se ravise et met en garde ceux qui «veulent utiliser cette institution (…) comme moyen pour frapper la démocratie et imposer la loi d'une minorité au détriment de la majorité » (sic !). Une double pirouette qui illustre à la fois le ridicule des raccourcis et le tragique de l'intolérance qui la sous-tend. Lui, qui n'est pas sans ignorer que la loi de la majorité s'exprime, en toutes circonstances, par le vote final et jamais dans les débats qui le précèdent, n'avait-il pas saisi l'opportunité d'un clash entre un représentant de l'exécutif et des contradicteurs virulents pour roder ses futures formules ? Une sorte de répétition générale pour aboutir à des approbations musclées et totales. En somme, le côté rampant du chantage politique aux heures graves. Un soupçon de cette nature n'est pas à exclure puisqu'il sera bientôt question de l'amendement constitutionnel et qu'il faudra signifier autoritairement et par des signaux sans équivoque que l'IN-DIS-CU-TA-BLE est également contenu dans l'éthique du Parlement ! A cet effet, rien de tel que les mises en garde personnalisées, car le prochain enjeu ne doit pas se contenter d'une confortable majorité (acquise d'ailleurs par avance), l'unanimisme ne laissera pas un seul député hors de la compromission. C'est ce qu'exige comme réparation la gravissime entorse à la règle de la symétrie des procédures, passant outre l'acte référendaire pour changer la Constitution ou du moins ses fondamentaux. D'ailleurs, Saïd Sadi y faisait allusion en expliquant le montage de cette curée d'hémicycle par «les tensions politiques, dit-il, en cette période particulièrement confuse et incertaine ». Il a fallu que le bâillonnement de la critique atteigne un espace réputé immunisé, pour qu'enfin, les dernières chapelles hostiles aux projets du pouvoir découvrent la nature de celui-ci avec son lot de manipulations, son indifférence aux conséquences et son extraction tyrannique. Il y a tout juste 18 mois, ne pariait-on pas sur la possibilité de «transformer (de l'intérieur) un chaos institutionnel au lieu de le refuser» en restant à l'extérieur ? La thèse de la participation, après une législature (2002-2007) boycottée, avait séduit certains sans convaincre l'ensemble du pôle républicain. C'est ainsi que, plaidant pour le retour aux instances délibératives, Tarik Mira, dirigeant du RCD, estimait en ce temps-là, improductives les analyses et les stratégies adoptées cinq années auparavant (2002) et qui lui semblaient trop marquées par la solidarité avec la contestation de la Kabylie pour être opératoires en termes de réformes à long terme. Faisant le chemin inverse, le FFS renonça, lui, à postuler au Parlement au motif que celui-ci ne sert à rien sinon à conforter le pouvoir d'Etat au détriment de la vocation des partis. Celui-ci, ayant siégé entre 2002 et 2007, aurait-il mieux mesuré le décalage qui en résultait, voire le discrédit auprès de l'électorat, jugeant souvent sur pièces sans connaître avec exactitude l'état de vassalité qui est le sien ? Entre le constat lointain du RCD et le bilan immédiat du FFS, il y avait, en 2007, deux options qui se disputaient la pertinence et la sagacité. Pour Mira et son parti, il n'était plus possible «d'être cantonnés éternellement dans le ministère de la parole et le magistère de la morale» ; et qu'il fallait «sortir du rôle de protestataire éternel, apanage des partis groupusculaires». (1) Un diagnostic qui, comme on le comprend, ne se limitait pas à peser dans les débats — inutiles — du Parlement, mais à fournir une visibilité au parti dont il se priva de la mandature précédente. Un défi collectif et des ambitions personnelles qui, en se conjuguant, envoyèrent à l'APN 19 d'entre eux, aujourd'hui en butte à toutes les hostilités. Mais voilà qu'en moins de 4 sessions, ils découvrent que l'obtention d'un maroquin ne les a pas vaccinés tout à fait des procès d'intention chaque fois qu'ils ont pris la parole. Les allusions insultantes d'un ministre, les mises à l'index à partir du perchoir préparent déjà une opération de «quarantaine» pour laquelle ils n'auraient prévu que la riposte épistolaire et quelques effets de manches. Ce qu'il y a effectivement d'émouvant, à travers cet innommable harcèlement, ce n'est pas tant la coupable démission morale des députés des autres groupes, mais l'impasse intellectuelle du RCD lui-même. Que faire ? Remettre les mandats de ses élus et quitter cette chambre de la lâcheté ? Ou bien y camper violemment jusqu'à pousser le président à engager les procédures extrêmes de levée d'immunité et sonder la capacité des «pairs» à s'y opposer par peur du ridicule dans l'opinion ? Face à l'adversité déloyale, ce parti n'a d'autre choix que de revenir, au «ministère de la parole » affranchie des institutions et au «rôle de protestataire» des rues, quitte à ne se faire valoir que du statut de « parti groupusculaire ». L'utopie mobilisatrice dont parlaient naguère ses dirigeants ne peut envisager des virtualités à son accomplissement que dans le refus frontal de l'autoritarisme hors de la volonté citoyenne. Et ce n'est pas dans les dépendances du pouvoir avec leurs salons lambrissés que pourra germer l'idée de mutation politique et d'alternance pour son exercice, mais dans la dissidence civique. A ce moment-là, les Ziari et tous les exégètes de service, ceux que l'on appelle les constitutionnalistes, apprendront ce que le vocable «majorité» veut dire dans la réalité d'une nation. C'est-à-dire autre chose que les 380 apparatchiks qui approuvent des textes au nom de l'absent. Le peuple simplement. B. H. (1) Les citations sont extraites d'une «tribune» de Tarik Mira, publiée par Le Soir d'Algérie dans son édition du 24 mars 2007. Deux mois avant les législatives de mai auxquelles le RCD participa.