Depuis 1962, le pouvoir algérien a étouffé la contestation et les aspirations à l'émancipation. Explication en dix dates. Par Maryline Baumard Le Monde 05/03/19 Avec les accords d'Evian, signés le 18 mars 1962 en Haute-Savoie, l'Algérie en finit avec cent trente-deux ans de colonisation. Mais, très vite, le gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) est dévoré par les militaires du « clan d'Oujda » dirigé par Houari Boumediène, secondé par Abdelaziz Bouteflika. Ce sont eux qui prennent le pouvoir et imposent la candidature d'Ahmed Ben Bella (1963-1965) à la présidence. Le Front de libération nationale (FLN), parti indépendantiste dont M. Ben Bella fut l'un des fondateurs, ne lâchera plus vraiment le pouvoir, hormis pendant de courtes parenthèses. Sous la présidence de Chadli Bendjedid (1979-1992), qui succède à Houari Boumediène (1965-1978), des milliers de jeunes sortent manifester leur colère, en octobre, alors que les conditions de vie deviennent plus difficiles. L'armée leur tire dessus, faisant cinq cents morts. Pour calmer le jeu, une pseudo ouverture politique laisse place à un très factice multipartisme sur lequel croît le Front islamique du salut (FIS). Le premier tour des législatives a lieu et, contre toute attente, le FIS arrive en tête. L'armée interrompt alors le processus électoral et confisque sa victoire au parti islamiste. Les militants prennent le maquis et s'ensuivent dix années de guerre civile, appelées « décennie noire ». Elle fait 150 000 morts et 10 000 à 15 000 disparus. La crainte du retour à un tel chaos a durablement marqué le pays. L'armée va chercher Abdelaziz Bouteflika pour en faire son candidat à l'élection présidentielle. Elu avec 75 % des voix, il propose une amnistie pour les islamistes (hors crimes de sang) puis un projet de loi sur la concorde civile, approuvé à 98 %. En 2005, il y ajoute une « charte pour la paix et la réconciliation nationale ». Des émeutes, rebaptisées « printemps noir », ont lieu en Kabylie. Durement réprimées, elles se soldent par plus d'une centaine de morts et sont devenues un puissant symbole du mécontentement kabyle face au gouvernement national. Cette région souffre de longue date d'une marginalisation culturelle. Ali Benflis, directeur de campagne de Bouteflika en 1999 puis chef de gouvernement, est limogé après avoir montré des velléités d'émancipation. Candidat malheureux aux élections présidentiellesde 2004 et 2014 après sa rupture avec le camp présidentiel, son nom est réapparu comme possible option à la candidature d'Abdelaziz Bouteflika en 2019. Mais le 3 mars, il a dit renoncer à être candidat au scrutin du 18 avril, qui n'a, selon lui, « plus de raison d'être », vue la contestation actuelle. Dès le 3 janvier, des manifestations débutent contre la flambée des prix de produits alimentaires de base. Dans la foulée du « printemps tunisien », la rue algérienne aimerait se faire entendre, mais les policiers sont souvent plus nombreux que les manifestants. La répression est violente et la manne pétrolière permet une fois encore de calmer le jeu, avec des aides et des prêts à taux zéro accordés à la jeunesse. De nouveaux partis sont également légalisés. La maladie s'invite dans la vie du président. Victime d'un accident vasculaire cérébral (AVC), Abdelaziz Bouteflika est soigné à l'hôpital du Val-de-Grâce, à Paris, où il séjourne quatre-vingts jours, avant de passer quelque temps encore à l'Institution nationale des Invalides. Déjà en 2005, il avait fait à Paris un séjour pour un ulcère hémorragique à l'estomac. Depuis ces dates, les apparitions de M. Bouteflika sont rares. Son dernier grand discours à une tribune devant les Algériens a eu lieu en mai 2012, à Sétif ; puis quelques apparitions sporadiques à la télévision, comme lors de l'entrée en fonctions du nouveau président du Conseil constitutionnel, en février 2019. La création d'une Coordination nationale pour les libertés et la transition démocratique (CNLTD) appelle en vain la mise en œuvre d'une procédure d'empêchement du chef de l'Etat pour raison de santé. La démarche réunit pour la première fois islamistes et laïques avec l'objectif de peser dans le débat en faveur d'une transition négociée. Mais la CNLTD vole en éclats en 2017 en raison de divergences entre les partis qui acceptent de participer aux élections législatives et ceux qui s'y refusent – le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) et le Front des forces socialistes (FFS), notamment. En 2014, M. Bouteflika est réélu pour un quatrième mandat, avec 81,5 % voix 22 février : cela aurait pu être un vendredi comme les autres, mais, après la prière du matin, des Algériens sont allés marcher dans la rue pour répondre aux appels lancés sur les réseaux sociaux. Alger et les grandes villes du pays vivent ce premier grand vendredi de manifestations sans intervention de la police, alors que le droit à manifester est interdit dans le pays depuis 2001. Le 26 février, alors que les étudiants et les universitaires rejoignent la contestation, Abdelmalek Sellal, ancien premier ministre et directeur de campagne du chef de l'Etat, affirme que « nul n'a le droit d'ôter à Bouteflika son droit constitutionnel de se porter candidat ».Le chef de l'état-major de l'armée, le général Gaïd Salah, avait au préalable traité les détracteurs du cinquième mandat d'« ingrats », ignorant les « réalisations » du règne de Bouteflika.Article réservé à nos abonnés Lire aussi Militaires, oligarques, obligés… les clans du pouvoir algérien 3 mars : le dossier de candidature d'Abdelaziz Bouteflika, qui a fêté ses 82 ans la veille et est toujours hospitalisé à Genève, en Suisse, est déposé auprès du Conseil constitutionnel, à la date limite des dépôts de candidature pour la présidentielle du 18 avril. A cette heure, vingt et un candidats – dont l'actuel chef de l'Etat – ont déposé leur dossier.Notre sélection d'articles pour comprendre la contestation en Algérie Depuis le 22 février, le mouvement de protestation le plus important des deux dernières décennies en Algérie a poussé des dizaines de milliers de personnes dans les rues pour exprimer leur opposition à un cinquième mandat d'Abdelaziz Bouteflika, avant l'élection présidentielle prévue le 18 avril. Retrouvez ci-dessous les contenus de référence publiés par Le Monde pour comprendre la crise qui traverse le pays :