17 mars 2019 Le président algérien était en piteux état pour son retour au pays. Récit, de sa sortie de l'hôpital au décollage à Genève. Le Président algérien Abdelaziz Bouteflika prêtant serment après sa réélection pour un quatrième mandat, le 28 avril 2014.p class='credit'(Photo: Keystone)/p Le Président algérien Abdelaziz Bouteflika prêtant serment après sa réélection pour un quatrième mandat, le 28 avril 2014.(Photo: Keystone) Richard Etienne 158 Il était exactement 15h56 et 34 secondes quand l'avion décolle de Cointrin en direction de la base aérienne de Boufarik, près d'Alger. Dans le ciel nuageux de Genève, dimanche 10 mars, le Gulfstream IV s'envole. L'épilogue d'un séjour de quinze jours particulièrement agités au bout du Léman, au consulat général d'Algérie, à Bellevue, et aux Hôpitaux universitaires genevois (HUG), où Abdelaziz Bouteflika était soigné depuis le 24 février. Les yeux de l'Algérie sont alors braqués depuis deux semaines sur Genève, où les manifestations se sont succédé, au Palais Wilson, devant l'hôpital, au rythme des colères exprimées dans les rues maghrébines. Une requête de mise sous curatelle du président algérien, deux jours plus tôt, a exacerbé la pression. Mais le pic de stress, c'est ce dimanche, jour du retour. Tout s'organise tardivement. Le vol est annoncé aux autorités dans la nuit de samedi à dimanche. Le numéro de matricule 7T-VPM, qui serait muni d'appareils médicaux et avait déposé le président le 24 février, indique qu'il prévoit de se poser à 9h56. Il atterrira douze minutes plus tôt. La veille au soir, une entreprise spécialisée dans les transports de VIP a envoyé un SMS à une dizaine de chauffeurs partenaires, des profils habitués aux missions à haut risque. Le message dit qu'il s'agit d'une «very very important person», un «VVIP». Les chauffeurs ont quelques minutes pour accepter, ou non, et se préparer pour un premier entraînement: un voyage à vide de nuit, de l'hôpital à Cointrin, pour repérer le parcours et éviter au maximum les aléas. Le groupe se réunit ensuite sur un parking près de l'aéroport pour déterminer les rôles de chacun. Les chauffeurs sont prêts à partir dès l'aube, mais ils ne seront pas appelés tout de suite. «Jamais un déplacement présidentiel n'a suscité autant d'interrogations et d'incertitudes» À l'aéroport, le Gulfstream s'est parqué dans un hangar antibruit, à l'abri des regards. De nombreux journalistes, «spotters» et autres photographes se sont déplacés pour l'occasion devant la grille qui donne sur l'aviation d'affaires, le long de la route de Meyrin. Le journal espagnol «La Vanguardia» filme en continu. À 11h40, heure prévue du décollage, aucun mouvement. Aux HUG, pour une raison inconnue, le transfert est retardé. Les chauffeurs arrivent au compte-gouttes, pour ne pas attirer l'attention, via la zone de livraison sous le bâtiment Gustave Julliard. Certains véhicules sont néanmoins repérés par des manifestants algériens, qui campent quasi sur place depuis quelques jours. La sécurité essaie de les faire partir, en vain. La porte de la zone de livraison, d'habitude ouverte, se referme après chaque entrée. Un van et une Mercedes noirs arrivent vers 13h 15. À l'intérieur, une nuée de blouses blanches, brancardiers, médecins et personnes en costume-cravate sont sur le point de surgir. Parmi elles, Nacer Bouteflika, le frère du président, donne de la voix: ça ne va pas assez vite Abdelaziz Bouteflika, président algérien dont la candidature à sa propre succession a été officialisée le 3 mars (le lendemain de ses 82 ans), apparaît dans un fauteuil roulant électrique, un modèle haut de gamme muni d'un défibrillateur et d'autres appareils médicaux. Il est à peine conscient, sous assistance respiratoire, sa tête, coiffée d'un bonnet noir, tombant sur son épaule. À l'aide d'une rampe, on le place dans un van, une Mercedes Class V Pack AMG aux vitres teintées et, pour l'occasion, munies de rideaux. Le chauffeur et un policier sont assis à l'avant, les sièges arrière ont été enlevés pour faire de la place au fauteuil roulant. Une infirmière est assise à côté du patient et deux gardes du corps algériens sont à l'arrière. Un peu avant 15 heures, un convoi de sept véhicules noirs quitte les HUG. Le premier, en éclaireur, roule plus de 150 mètres devant. Un hélicoptère surgit des alentours et le suivra jusqu'à l'aéroport. Le cortège grille tous les feux tricolores, privilégie les axes droits. Pendant le trajet, l'infirmière doit intervenir pour aider Abdelaziz Bouteflika à respirer. Le convoi arrive sur le tarmac, moins de dix minutes après être parti, en entrant par la douane située à côté de la halle de fret, vers Palexpo. Il est en retard, l'avion avait reporté son décollage à 15 heures. La route de service destinée aux véhicules de tarmac est bloquée pour laisser passer les invités. Leurs véhicules sont immortalisés par la presse avant de disparaître à côté du hangar antibruit. Puis tout se déroule très vite. Le président est déchargé, son fauteuil mis sur une échelle électrique munie d'une plaque, un modèle similaire à ceux qu'utilisent les déménageurs. Vingt-huit minutes après l'arrivée du convoi, la presse le voit faire le chemin inverse, alors que la porte du hangar antibruit s'ouvre lentement. L'avion sort à reculons, poussé par un tracteur de Jet Aviation. Deux hommes en gilet jaune détachent l'appareil, qui met son transpondeur en route à 15h27. Une erreur, sans doute technique, est alors commise. Le transpondeur de l'avion émet un signal selon lequel il a décollé. Il est 15h32, plusieurs sites de référence, dont le compte Twitter GVA Dictator Alert, indiqueront par la suite qu'il s'est envolé à ce moment. Ce n'est pourtant que 24 minutes plus tard que le Gulfstream part et soulage l'aéroport. «Une fébrilité certaine régnait», selon une source. «Depuis que je travaille sur le tarmac, je n'ai jamais vu que l'on cache un avion de pareille façon pour embarquer un passager», renchérit une autre. André Schneider, directeur de l'aéroport, indique qu'aucune «information ne sera donnée à ce sujet». Contacté, le consulat général d'Algérie à Genève n'a pas répondu. Le 7T-VPM disparaît dans les nuages et les journalistes devant la grille quittent les lieux. Mais sur les sites de tracking des avions, c'est l'effervescence. Flightradar24 nous indique qu'environ 400 000 personnes ont suivi l'appareil du gouvernement algérien sur son site, un chiffre inédit. «Jamais un déplacement présidentiel n'a suscité autant d'interrogations et d'incertitudes», conclut pour sa part le politologue Hasni Abidi dans un tweet cet après-midi-là. En Algérie, les manifestants, qui réclament des changements au pouvoir, l'attendent de pied ferme. source: Le Matin Dimanche